Zarathoustra a écrit :Désignes-tu par "les journalistes" tous les journalistes de la profession ou seulement ceux exerçant à la télévision ?
Durkheim en son temps croyait en l'école.
Les français aujourd'hui croient en la télévision.
Sinon je ne sais pas, le T de FLT doit vouloir signifier quelque chose mais je ne me souviens pas trop. Peut-être Tortue, Tapis ou Tartiflette ?
La télévision est un acteur social participant à la vie de la cité, on est tout à fait d'accord. Qu'elle se présente donc à nous comme tel une bonne fois pour toutes, et non pas comme un miroir. Car ce que
les journalistes veulent et parviennent à nous faire croire depuis des décennies, c'est que leur métier procède comme une exposition dans laquelle ils se contenteraient d'exposer des peintures réalisées par d'autres. Sauf que non. Ce sont eux qui choisissent quels tableaux seront exhibés dans la grande salle, et quels seront les tableaux qui finiront dans la réserve sous un drap en attendant une hypothétique résurrection. En choisissant quels tableaux montrer et dans quel ordre d'exposition, en choisissant quels tableaux délaisser dans l'oubli, en rajoutant elle-même des couleurs sur certains tableaux pour les rendre plus attrayants, la télévision n'est pas le simple musée neutre et exogène pour lequel elle a toujours voulu se faire passer. C'est un acteur social comme toi et moi uniquement les jours d'euphorie nationale. Les jours de crise elle marche à reculons et se soustrait à cette définition et réfute toute responsabilité. Enfin pour employer un mauvais jeu de mot, toi et moi sommes des acteurs sociaux de seconde zone tandis que
les journalistes ont décroché un premier rôle dans ce très long-métrage. Moi quand je parle, je n'ai pas un auditoire de soixante millions de personnes pendues à mes lèvres.
C'est la différence entre "Super Nanny" et le Journal Télévisé. Dans "Super Nanny", la télévision vous donne de piteux conseils pour élever vos mioches : c'est une émission de divertissement où le happy end est écrit d'avance, par conséquent la télévision y assume ostensiblement son rôle d'acteur social, et mieux que ça, elle le revendique, se présente comme indispensable à notre épanouissement affectif, pratique et intellectuel. En revanche dans le Journal Télévisé, où le happy end laisse systématiquement place à de funestes issues, où l'heure est grave et les rapports conflictuels, la télévision distille le message inverse : nous ne faisons que vous apporter des images, car elles existent, elles nous pré-existent même, et au nom de la liberté d'information nous nous devons de vous les livrer, sachant bien sûr que nous ne sommes pour rien dans le caractère négatif de ces évènements. Dans l'expression d'acteur social, il y a le terme "Action" qui signifie que la personne ou le groupe physique a un effet concret sur l'ensemble de la société. Cette capacité, cette "Action", est revendiquée dans toutes les émissions de divertissement. Elle est réfutée dans chaque Journal Télévisé. D'une manière infantile, on pourrait dire que lorsque tout va bien, c'est grâce à la télévision, et lorsque tout va mal, c'est à cause des gens que filment la télévision.
En fait la morale c'est que la télévision est plus intègre et respectable que toute émeute, que tout gouvernement, que toute mère de famille, que tout bonze tibêtain. C'est pour cela que lorsque Florence Aubenas est détenue en Irak, c'est la France et toute son axiologie qui est touchée au coeur, notamment les médias et a posteriori les autorités, mais que le cas Ingrid Betancourt n'intéresse personne depuis trois ans. Le droit à l'information est une épée à double-tranchant dont la télévision ne retient que le tranchant positif : nous vous apportons l'information, la vraie, celle qui compte, après l'arbitraire sélectif et le tri opéré en amont, mais comprenez que si nous ne traitons pas de tout c'est uniquement pour des raisons de cases horaires à respecter. Mais dans ce cas à quoi sert LCI, chaîne du câble censée diffuser des informations 24/24, et qui a par conséquent tout loisir de traiter de tout ? A rien, puisqu'elle traite exactement des mêmes sujets, les vrais sujets, imposés sur TF1 et France Télévision. L'argument du manque de temps est un mensonge, et tant qu'un mauritanien n'aura pas criblé de balles le Président de la République Française il y a fort à parier que l'esclavagisme en vigueur dans ce pays ne sera jamais un sujet traité au 20H. Les travers ethnocentriques de la télévision française sont tels qu'aucun journal n'a de scrupules à montrer les visages décomposés, les corps calcinés, les têtes arrachées et les cadavres démembrés d'africains ou d'asiatiques du sud aux heures de repas, alors qu'a contrario il est impensable pour notre petit écran de diffuser les images d'un macchabé de type caucasien sauf situations tout à fait exceptionnelles que l'on peut compter sur les doigts d'une main. A ce titre, l'emploi du terme "Ethnocentrisme" est un euphémisme. Un acteur social ? Non davantage que ça, le scénariste social.
En ce qui concerne les voitures brûlées, elles obéissent aux mêmes lois que tous les éléments négatifs télégéniques qui les précèdent : montrer à des hutus faibles d'esprit l'assassinat de la population tutsi par d'autres hutus, ça mène au génocide. Montrer à des adolescents faibles d'esprit des meurtres commis par un fan du tueur du film Scream, ça mène à une épidémie de serial-killers juvéniles masqués. Montrer à des gamins de banlieue des voitures brûlées par d'autres gamins de banlieue tout en leur exposant une théorie rationnelle du pourquoi ils font ça, ça génère des soulèvements nationaux brutaux et contre-productifs. Montrer aux gens des classes moyennes des contrées orientales où l'on boycotte le poulet pour cause de grippe aviaire, ça génère une situation absurde dans laquelle en France les classes moyennes ne mangent plus de poulet. Si ces informations avaient été données par la télévision d'une manière simplement orale et sans recours aux images de l'info-show, TOUT ces évènements négatifs auraient été diminués de moitié dans leurs effets. La télévision le sait parfaitement, mais elle sait également parfaitement que les gens sont attachés au droit à l'information, ce principe flou et corrompu qui de toutes manières est faussé et ne sert plus que d'alibi au spectacle pour l'audimat. L'information visuelle à outrance tue, viole, blesse, salit, condamne, détruit, terrorise, abrutit, détourne. Le plus épatant étant que la télévision, durant des décennies, s'est toujours empressée d'accuser les autres : les jeux-videos, puis les mangas, puis les films, puis ceci et cela étaient les responsables de la violence des jeunes. Depuis quelques jours, c'est le rap dont parle la télévision, choisissant des extraits de vieux morceaux de NTM datant d'il y a dix ans pour co-expliquer l'ampleur des émeutes. De qui se moque-t'on ? D'absolument tout le monde.
La télévision est une mafia criminelle dont
les journalistes sont scindés en deux camps : ceux qui savent et les pions. Elle n'est pas le quatrième pouvoir, elle est le premier puisqu'elle est nécessaire aux trois autres mais dans l'autre sens se suffit à elle-même. Elle est tout sauf un outil de communication puisque la communication sous-entend l'échange, or il n'y a qu'elle qui parle. Et il n'y a que soixante millions de personnes pour l'écouter parler. Ce que le FLT doit réclamer outre un mea culpa transhistorique, c'est que les dirigeants des chaînes de télévision soient élus par les français comme n'importe quelle personne bénéficiant d'un pouvoir exponentiel à l'échelle hexagonale, et que les directeurs de l'information puissent être interpelés par les citoyens au même titre qu'un élu local et certainement pas par le biais de petits mails dans la boîboîte. Le FLT doit également soutenir l'idée d'un cours d'Education A L'Image responsable et dépolitisé, sous la forme non-rébarbative d'un dialogue improvisé concernant le traitement de l'actualité, indispensable à l'école primaire et optionnel au collège. Quant aux casseurs de bagnoles, qu'ils aillent plutôt crâmer les locaux de TF1, ça passera l'envie à certains de filmer cinquante fois les mêmes choses.