Publié : 25 févr. 2003 20:39
par Sullivan
CHANGEMENTS IMPOSES
X-Files a duré 9 saisons, 202 épisodes, ce qui lui permet de figurer parmi les séries de prime time les plus longues de l’histoire de la télé. Cette longévité exceptionnelle s’est traduite par des changements qui deviennent inévitables dès lors qu’une série dépasse la centaine d’épisodes. Mais, alors même que la télé Américaine devient de plus en plus furieuse, bien des séries se voyant conçues et reconçues plusieurs fois durant leur parcours, il est étonnant de voir à quel point X-Files est restée étonnamment stable. Nombre d’épisodes sont déplaçables à volonté. On pourrait même retourner à l’identique plusieurs épisodes de la neuvième saison en donnant toutes les répliques de Reyes à Mulder, celles de Doggett à Scully, et placer le résultat au beau milieu de la quatrième saison sans que rien ne choque. Bref, à y regarder de plus près, si X-Files a changé en près de dix ans, elle ne l’a fait qu’en cas d’absolue nécessité, en veillant à faire le moins de remous possibles.
Chronique de modifications forcées.
Cette idée en tête, il est amusant de revenir un à un sur tous les changements intervenus dans la série, et de constater à la lumière des informations aujourd’hui disponibles sur les coulisses de la série, que pratiquement chacun d’eux a été opéré sous la contrainte.
Dans sa première saison, X-Files était pratiquement une série anthologique, ne bénéficiant d’aucune construction ni progression dramatique. A la limite, et en forçant un peu le trait, on en viendrait à penser que la présence de Mulder et Scully à chaque épisode n’est qu’une concession à l’audimat. Au sommet de cet édifice, ‘‘The Erlenmeyer Flask’’, le season finale, pourrait sembler tomber comme un cheveu sur la soupe. Personnages et situations y évoluent en effet d’un coup : Scully est ébranlée dans ses convictions, Mulder conforté dans les siennes, la conspiration gouvernementale prend de l’ampleur, Gorge Profonde est assassiné, le bureau des X-Files est fermé... Autant d’éléments qui semblent changer brutalement la série en feuilleton. L’intuition est en vérité rigoureusement exacte, tout ceci venant à peine d’être improvisé à l’annonce de la grossesse de Gillian Anderson. Il est fascinant de se rappeler aujourd’hui que toute la structure de la série repose sur un tel événement fortuit, ce dont Carter ne s’est jamais caché (il a admit plusieurs fois avoir conçut la mythologie pour justifier l’absence de Scully au moment de l’accouchement d’Anderson). Au début de la saison 2, cette structure feuilletonesque est prolongée, pour permettre de mettre en retrait Scully, dont on peine à cacher l’adorable mais encombrant ventre proéminent.
Mais au premier tiers de la saison, lorsque Gillian Anderson réintègre l’équipe, Carter choisit d’appuyer sur ‘‘reset’’ : X-Files retrouve une structure plus proche de son origine, les éléments feuilletonesques étant strictement conscrits dans les épisodes qui leur sont consacrés. La structure type de la saison X-Files est fixée. Elle n’évoluera pas d’un iota, quitte à ce que toute tentative de dresser une chronologie sombre dans le ridicule : nos héros affrontent la conspiration lors d’enquêtes doubles se déroulant systématiquement en novembre, février et mai !
De l’humour...
Après la résolution du problème bébé, la prochaine crise ne se fait pas attendre. Elle s’incarne en un homme, engagé parmi d’autres à la mi-saison 2 pour combler le départ de Glen Morgan et James Wong : Darin Morgan. Il commence à travailler sur ses premiers scripts. Horreur, le résultat est affreusement... comique ! Un comble pour une série dont la vocation était d’effrayer chaque vendredi soir, et de quoi provoquer des remous à 1013 Productions. Après quelques ré-écritures destinées à atténuer cet aspect, le script est accepté et tourné. L’épisode, ‘‘Humbug’’, s’avère un énorme succès. C’est ce fait-là qui valide la pérennité de ce changement. Cela et puis la fascination personnelle de Carter pour le travail de Darin Morgan, qu’on le rependra même à essayer de reproduire (‘‘Syzygy’’). En fait, l’admiration qu’il peut avoir pour le travail d’autres auteurs (Darin Morgan ou les Wong) semble être la seule chose qui puisse pousser Carter à effectuer un changement volontairement.
A ce stade (fin de la saison 2) la formule de la série est maintenant en place. Elle restera inchangée pour les trois saisons à venir, même si les épisodes à veine comique tendront à devenir de plus en plus nombreux – et ce moins par volonté que parce que c’est ce qu’aura voulu l’inspiration.
X-Files est un formula-show, dont on se dit que rien ne pourra l’ébranler. Vingt saisons pourraient passer et Mulder en serait toujours à chercher sa sœur, Scully à voir tout avec scepticisme, quand bien même elle est impliquée dans une vingtaine de cas paranormaux par ans, et CSM à comploter en fumant des cigarettes une colonisation toujours imminente, mais pourtant sans cesse repoussée aux calendes Grecques. Si un immobilisme certain prévaut sur la structure de la série, c’est en fait tout autant le cas en ce qui concerne les intrigues.
Immobilisme ?
Soudainement, on réalise alors avoir probablement mis le doigt sur l’un des principaux défaut – sinon *le* principal défaut – de la série télé selon Chris Carter. Une formule établie dans un Pilote n’est jamais destinée qu’à être recyclée à l’infini, jamais dépassée. Certaines choses deviennent alors brusquement plus claires, telle que la colère noire et la brouille définitive de Carter et de Morgan et Wong à l’issue de la seconde saison de Millennium. Ils avaient osé rompre le statut-quo, remettre en cause le paradigme. Du coup, on se pose certaines questions, inquiétantes : Carter n’avait-il l’intention que de nous proposer, avec Harsh Realm, que 7 années entières de ‘‘Tom Hobbes court après Santiago sans le rattraper tout en écrivant des lettres à sa fiancée qu’il aime mais ne peut pas voir’’, sans rien remettre en question ? Où bien avait-il déjà, à cette époque, compris qu’une série ne peut se contenter de faire du sur-place ? On ne le saura probablement jamais (même si certains indices tendent à me faire pencher vers la seconde solution).
Aux questions ainsi soulevées, 1013 Productions aurait répondu et, peut-être, répondrait encore aujourd’hui : Pourquoi changer une formule qui gagne ?
Tout simplement parce que un entretien constant des pièces permet d’éviter la panique à bord quand, inévitablement, l’une d’elle finit par lâcher. A cet égard, n’est-il pas un peu triste que David Duchovny et Gillian Anderson aient passé deux à trois ans à militer dans le vide pour que la série s’ouvre à plus de personnages, lorsque l’on voit qu’après le départ du premier, il a fallu introduire en catastrophe un nouveau personnage principal ? Alors qu’il aurait été plus simple pour les auteurs, et plus facile à accepter pour le public, d’amplifier simplement le temps d’antenne d’un second rôle établi au sein du FBI... si un tel personnage avait existé ! Mais nous reviendrons plus loin sur les deux dernières saisons d’X-Files, tant son histoire permet d’expliquer à la fois les erreurs commises et l’accueil glacial réservé à cette variation du mythe originel.
Trop tard !
Car, à l’époque de la saison 5, tout espoir n’était pas perdu. D’inévitables changements étaient à venir, parce qu’il était impossible de sortir sur les écrans un long-métrage qui forcerait les fans à sortir leur porte-monnaie sans que celui-ci ne soit un ajout indispensable à X-Files. Ainsi, après 120 épisodes (!), l’existence et la présence des extraterrestres, ainsi que la réalité de la colonisation à venir, se voient validés. X-Files renonce à une certaine forme d’ambiguïté. Trop peu et trop tard, d’ailleurs : la presse plus généraliste lapide souvent le film pour son incapacité à franchir certaines barrières : si le fan suit toujours, le grand-public, lui, à déjà largement commencer à décrocher devant les faiblesses de la narration. Les chiffres d’entrée en salle, en France comme aux Etats-Unis, en témoignent de manière évidente.
Mais le film n’est pas le plus gros des problèmes. En coulisse, les tensions s’accumulent autour de David Duchovny qui veut rentrer chez lui, à Los Angeles. Au final, il signe un contrat pour la sixième saison : 22 épisodes s’ils sont tournés sous le soleil Californien. Mais seulement 8 si Vancouver reste la patrie des X-Files. Les choses sont claires : d’une manière ou d’une autre, X-Files va devoir se remettre gravement en question.
La saison 6 où comment se réinventer
Sans surprises, Chris Carter choisit la moins traumatisante des options qui s’offrent à lui. X-Files fait donc ses valises et abandonne derrière elle plus qu’un décors fantastique : toute une équipe technique exigeante et rodée aux standards du show.
Mais, là où on craignait de le voir se replier sur lui-même créativement, et nous offrir une saison calibrée, potentiellement aussi peu intéressante que la cinquième, Carter surprend. Pour la première fois – et, malheureusement aussi la dernière à ce jour – de sa carrière, il accepte de prendre un gros risque et de volontairement redéfinir sa série jusque dans ses bases. Les directions définies par le film sont assumées, puis rapidement carrément amenées encore plus loin. Ainsi, il est décidé d’emballer le premier acte de la mythologie pour nous lancer définitivement dans un second chapitre dont l’ambition est de revenir aux origines tant de l’Humanité que des extraterrestres (ce chapitre sera avorté au cours de la saison 7 pour cause d’indécision sur le sort de la série, voir page 35). Parallèlement, Carter assume avoir trop joué avec la MSR (le relation Mulder/Scully) : elle évolue dans le sens amorcé par le film, le seul qui respecte l’intégrité et l’humanité des personnages. Mieux, le tout est fait dans une grande finesse et profondeur d’écriture. Au final, c’est le ton entier qui se trouve transformé, pas seulement en privilégiant l’humour, mais surtout en s’ouvrant franchement au rêve, au merveilleux et à la poésie.
Tout n’est pas parfait pour autant (le bouton reset a encore servi puisque Scully est revenue à son scepticisme d’antan, comme si la saison 5 n’avait jamais existé) mais 1013 Productions nous livre tout de même là l’une des meilleures saisons de la série, et probablement la plus foisonnante d’idées et de dynamisme.
Le résultat ? Un accueil absolument glacial (qu’on a beaucoup moins ressenti de ce coté-ci de l’Atlantique, grâce à quelques voix qui se firent très bien entendre, et à plusieurs papiers très positifs dans la presse). La critique s’étend sur la mort clinique de la série, les fans se divisent (ce n’est que le début !) et, pour la première fois, l’audience est en chute. Le coup de grâce pour Chris Carter, en quelque sorte conforté dans son instinct initial. Il s’empresse d’annoncer un retour aux sources pour la saison suivante. Tant pis s’il n’est pas en mesure de tenir sa promesse (Mulder et Scully ne sont tout simplement plus les mêmes personnages qu’avant !), et tant pis si les épisodes qui essayeront de la tenir se révèleront tous terriblement tristes et sans vie.
Ce que Carter ne comprend pas, c’est que nul autre que lui-même n’est responsable de cette douche froide. Que ces critiques ne sont pas une véritable réponse à la saison 6, mais bien un retour de flamme de ce qui s’est passé dans les saisons précédentes...
Des pantoufles ?
Chris Carter s’est en effet enfermé dans une situation sans issue. S’il ne remet pas suffisamment en cause les soi-disant fondements x-filiens, la critique néophyte lui tombe dessus (le Film). Mais s’il le fait, ce sont les fans qui sont outragés. A trop faire du sur-place, les producteurs de la série se sont créé un fandom tellement enfoncé dans ses pantoufles que, plus royaliste que le roi, il s’est érigé en gardien du culte. Quitte à faire ressurgir les connotations les plus négatives du mot fanatique. Tout un épisode doit alors se conforter à un cahier des charges, liste exhaustive de ce que doit contenir un épisode ancré dans ‘‘l’esprit X-Files’’. S’il ne montre pas patte blanche, il est rejeté, quelques puissent être ses qualités intrinsèques. Sur le plan de la narration, les fans de la série semblent attendre un produit issu des années soixante, pas une progression dramatique moderne. En termes imagés, ils ne veulent pas voir une histoire, un film, mais seulement une photographie/photocopie. Dans cette réalité, chaque changement devient une trahison, chaque avancée de l’histoire un outrage, quand bien même il était écrit depuis les dix premières minutes du Pilote qu’on finirait forcément par en arriver là.
En deux ans, l’hystérie qui avait entouré Chris Carter lors des premières saisons se retourne contre lui. Ceux qui lui érigeaient des statues s’emploient maintenant à organiser des campagnes de calomnies, à répandre des rumeurs, à remettre en cause la participation réelle de Carter à la création de la série ou, plus bassement, à multiplier les insultes. On est passé d’un extrême à un autre et bien sûr, ce nouvel extrémisme est aussi stupide et vain que le premier. Tout cela pourrait n’être que futilité, mais on ne peut en oublier les conséquences : plus jamais 1013 ne fera preuve du courage créatif qui lui avait permis de créer la saison 6.
Les saisons suivantes renouent avec les origines. Bien sûr, elles comportent des changements, peut-être même plus que les 6 premières. Mais chacun de ces changements, loin d’être voulu, ne sera que la conséquence d’un événement extérieur. Carter n’ira plus jamais plus loin. La série cesse donc d’évoluer : elle n’est plus que rapiécée au fur et à mesure. Après une septième saison à la limite du soporifique (mais traversée par des flashes de génie), la huitième pourra éventuellement apporter un peu d’espoir par l’introduction de deux personnages nouveaux, dans tous les sens du terme. Les agents Doggett et Reyes version saison 8 sont en effet deux personnages exceptionnels, sans équivalents ailleurs dans la série (c’est à dire, du point de vu du noyau ‘‘Dur’’ des fans, qu’ils n’y ont pas leur place). Tout cela est toutefois tempéré par la communication autour de la série : on nous promet un énième retour aux sources. S’il est vrai que c’est cette saison qui s’en rapprochera le plus, grâce aux nouveaux personnages, est-ce là vraiment ce qu’attend le public intéressé aux aventures des newbies ? Si la question reste posée, la réponse se laisse tout de même deviner.
La case départ
Lorsque vient l’heure de la saison 9, un constat assez terrible s’impose : les auteurs de la série sont maintenant totalement terrorisés par la simple idée de changement, et obnubilés – même s’ils s’en défendent – par l’avalanche de retours négatifs venus des fans. Le traumatisme de voir Mulder et Scully ‘‘remplacés’’ par Doggett et Reyes sera le seul qu’ils s’imposeront. Les retouches apportées aux deux personnages entre les deux saisons sont des catastrophes. Elles ne visent qu’un but : faire (autant que possible) du nouveau duo une décalcomanie de l’ancien. Autrement dit détruire les bases qui furent installées avec le plus de succès lors de la saison 8.
Doggett était un homme aux pieds fermement ancrés sur terre, simplement pas intéressé par le paranormal en qui il voyait aussi une façon facile pour Scully et Mulder de ‘‘résoudre’’ une affaire. Mais si le paranormal s’imposait à lui, il se montrait très capable de l’accepter et de passer à autre chose, son but restant de mettre des criminels hors d’état de nuire. Un an plus tard, le même est devenu un sceptique pur, simplement borné, qui nie et niera toujours.
Reyes était une femme à la spiritualité vaguement New Age, qui se faisait un devoir de garder l’esprit ouvert. Telle affaire trouvait une explication rationnelle ? Parfait. Telle autre tenait du paranormal ? Toujours parfait pour elle. De plus, elle était dotée d’une forte empathie lui permettant de ressentir les émotions environnantes, ces informations émotionnelles formant souvent la bases d’intuitions. Un an plus tard, la même est purement et simplement une croyante, qui cherche à élaborer des théories paranormales et à en convaincre son partenaire. Elle se trouve habitée de visions elle-mêmes paranormales, qui la renseignent sur les affaires, sans plus avoir rien à voir avec de l’empathie.
La fin de la saison 8 nous avait laissé entrevoir une nouvelle manière fascinante d’aborder le paranormal. La saison 9 nous rejoue le même rapport sceptique/croyant avec une application forcée.
Tout dans cette saison est à cette image, les auteurs préférant réanimer les fantômes de Mulder et Scully plutôt que d’embrasser la nouveauté. Le manque d’intégration de Doggett et Reyes dans la mythologie, qui persiste dans son centrage sur des personnages peu ou pas présents, oubliant les éléments liés à Doggett et Reyes (Knowle Rohrer prononce trois phrases dans toute la saison), le gommage des caractéristiques inhabituelles de Reyes (son sourire, sa tabagie...) et autres reculades lâches de cette saison sont tous le résultat de choix scénaristiques conscients, opéré à la lecture idiote des forums Internet des fans Américains.
Dans ce contexte, on n’arrive pas à être surpris de découvrir à la plume de deux des meilleurs épisodes de la saison (ceux qui définissent le mieux les nouveaux personnages), un nouveau scénariste, pas habitué à l’ère précédente. Simplement au travers de ‘‘4-D’’ et ‘‘Audrey Pauley’’, Steve Madea fait énormément pour la saison et surtout pour ses personnages censément principaux.
Le summum de la redite sera atteint avec l’introduction d’une relation semi-amoureuse entre les agents Doggett et Reyes dont le plus irritant est peut-être qu’elle fait en grande partie mouche. Ce qu’elle doit à 100% à Madea – encore lui – qui saura écrire avec une grande finesse une interaction qui, dans sa profondeur, est totalement différente de celle que Mulder et Scully partageaient.
Quelle approche à l’avenir ?
Une autre approche aurait-elle offert une meilleure reconnaissance à la Nouvelle Génération ? Rien n’est moins sûr, le mal ayant finalement été fait beaucoup plus tôt. Elle aurait en tout cas au moins permis de contenter une partie du public à 100%. A trop prêter attention à la frange la plus vocale du fandom, 1013 n’a pu satisfaire personne : cette frange était de toute manière tellement rétive au changement que rien ne pouvait être fait pour elle, l’autre, celle intéressée par Doggett et Reyes s’est sentie un peu flouée par ces 1001 trahisons. Elle restera persuadée que le duo n’aura jamais été exploité au maximum de son potentiel, loin de là, et devra donc se contenter de l’avoir vu évoluer dans quelques excellents épisodes.
La période à venir sera très intéressante. Des bruits courent sur la mise en chantier d’une nouvelle série par Chris Carter. Quelles leçons a-t-il retenu de l’expérience X-Files ? On le saura très vite, et on continue d’espérer le meilleur...