La machine déroulait son train-train, devenu particulièrement monotone, sans aucune variation dans la mélodie. Le premier prime-time en direct de la quatrième saison de
Nouvelle Star avait vu une élimination de masse (comme l’année dernière) : quatre candidats renvoyés chez eux. parmi eux des chouchous du quatuor de jurés qui se sont offusqués du résultat (comme l’année dernière). Les discussions de machine à café comme celles des chroniqueurs média remettaient en cause (avec raison) la justice du système de vote (comme l’année dernière). Freemantle, dans le ‘‘Journal de la télé’’ de J.-M. Morandini déclarait que tout était normal (comme l’année dernière). Les éliminés étaient utilisés une dernière fois pour assurer la rentabilité du groupe M6 en venant exposer leur déception dans Nouvelle Star Continue sur Fun TV (comme l’année dernière). Bref rien de neuf dans la télé-réalité française.
Et puis, peu après 21 heures jeudi soir, un communiqué de presse de la part d’M6 :
NOUVELLE STAR : victime d’un bug informatique
Une nouvelle chance pour tous les participants
M6 Web vient de constater un bug informatique dans le traitement des votes de l’émission NOUVELLE STAR du 29 mars.
Alors que les appels téléphoniques ont été correctement comptabilisés, les votes par SMS, eux, n’ont pas été attribués aux bons candidats, provoquant ainsi un résultat erroné.
Ce problème informatique a été localisé dans la nouvelle interface mise en place entre M6 Web et les centres serveurs qui assurent le traitement et la consolidation des votes par appels téléphoniques et SMS. Ce bug a été identifié et corrigé aujourd’hui.
M6 souhaite présenter toutes ses excuses aux candidats, au jury, aux votants et à tous les téléspectateurs.
La direction de la chaîne a décidé d’annuler le résultat erroné de l’émission du 29 mars et décide de remettre les 14 candidats en compétition lors d’une nouvelle émission en direct le mercredi 5 avril.
La totalité des recettes liées aux votes des téléspectateurs, lors de l’émission du 29 mars, sera reversée au Sidaction.
S’il s’agit d’une première en France, cette situation n’est pas complètement étrangère à la franchise
Pop Idol : un vote de la quatrième saison d’
American Idol (2005) avait été annulé, lui suite à une erreur humaine. Une mauvaise saisie avait laissé apparaître sur les cartons incrustés à l’écran des numéros d’appels erronés pour certains candidats. Les prestations des chanteurs amateurs avaient été rediffusées le lendemain lors d’une nouvelle émission suivie d’un nouveau vote.
Les rumeurs plus ou moins bien informées de résultats des votes « suspects » n’ont pas manqué depuis l’arrivée en France en 2001 de la télé-réalité sponsorisée aux appels et SMS surtaxés. On ne compte plus les témoignages sur des serveurs régionaux saturés empêchant de voter, ou des sociétés de productions affolées réquisitionnant leurs propres employés pour téléphoner et sauver les candidats qu’elles ne souhaitent pas voir éliminés. Il semble donc faire assez peu de doute que c’est la véracité prouvable du bogue, et le potentiel dévastateur d’une communication non maîtrisée qui a poussé la chaîne a prendre les devants avec cette annonce et cette décision. Avec un bon plan média, l’affaire pourrait même se révéler bénéfique pour le télé-crochet de M6 en suscitant la curiosité.
Par ailleurs, comme nous le laissions entendre, la crédibilité de ce type d’émission n’est, en France, plus à ça prêt, s’établissant déjà à proximité de zéro. C’est vrai autant chez les français dans leur ensemble que chez les spectateurs de ces programmes, différentes enquêtes d’opinion en attestent. Montages orientés, sous ou sur-expositions stratégiques de candidats, opinions martelées par les croisements d’interviews déconnectées de leur contexte et d’incrustations de commentaires écris ultra-redondants, etc., n’auront échappé à personne, n’en déplaisent aux responsables français des Endemol ou Freemantle qui veulent continuer de se croire très supérieurement intelligent à leurs téléspectateurs.
Pour ce qui nous concerne, l’incident nous pousse plus que jamais à jouer de la comparaison avec les émissions équivalentes à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis. L’amateurisme et les ficelles de la manipulation apparentes quasiment à chaque plan des émissions françaises contrastant avec le sérieux académique des équivalents étrangers.
Un seul exemple : aux Etats-Unis, une émission d’une heure, publicité comprise, montre dix candidats interpréter une chanson librement choisie dans les limites du thème de la semaine (on a même vu le choix de deux candidats se porter sur la même). C’est seulement à la fin du programme, après que les prestations aient été récapitulées, que les standards sont ouverts sur des numéros gratuits pour une durée prédéterminée. Les résultats sont donnés le lendemain.
En France, il faut deux heures trente pour que les candidats chantent, saucissonnés qu’ils sont par des reportages sur leur vie privée, les incessants appels au vote des téléspectateurs sur fond de « c’est très serré ». Au mieux, ils ont pu choisir leur chanson sur une liste limitée à moins de cinq titres fournie par la production, au pire elle leur a été imposée. Les votes à des numéros très surtaxés sont lancés dès le début du prime, avant que le moindre candidat n’ait ouvert la bouche. Les derniers sont donc mathématiquement défavorisés. Enfin la production arrête les votes au moment où elle la souhaite, dans une échelle de quelques minutes, ce qui lui offre la possibilité de choisir le gagnant en cas de bataille serrée puisqu’elle a les résultats en temps réel. Le nombre de voix et les pourcentages ne sont quasi-jamais communiqués...
On le constate, et sans même entrer dans des considérations morales ou déontologique, la télé-réalité française souffre ironiquement des mêmes maux que sa fiction télévisée : elle est contrôlé par une poignée d’exécutifs persuadés qu’ils s’adressent à des imbéciles qu’il convient de manipuler entre deux réclames pour boissons gazeuses.
Un
article du FLT à lire ici détaillait en octobre dernier ces différences de conception en s’appuyant sur les exemples de
Survivor et
Kho-Lanta.