La succession de Marc Tessier
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Mercredi 25 Mai 2005
Distribution
Le mandat de Marc Tessier à la tête de France Télévisions arrive à son terme en août. Les tractations pour sa succession commencent.
"[Le 30 mai] «le bordel politique» commence. C'est ainsi que Philippe Labarde, ex-membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), décrivait la période précédant la nomination des présidents de l'audiovisuel public (Libération du 24 janvier 2001). Le mandat de cinq ans de l'actuel patron de France Télévisions, Marc Tessier, arrive à son terme en août. Mais le CSA va s'occuper de sa succession dès le lendemain du référendum sur la Constitution européenne. Et la question devrait être réglée au début de l'été.
Qui fera l'affaire à ce poste tant exposé de patron des télés publiques ? Qui saura plaire à Chirac ? Car, ainsi que l'expliquait Labarde, «évidemment, il n'est pas adroit d'élire une personne dont l'Etat, qui reste le financier principal du service public, ne voudrait pas.» Dans la coulisse, les manoeuvres ont déjà commencé.
Pour l'heure, un seul candidat est sorti du bois : Marc Tessier. Le président en place de France Télévisions dit, d'un ton paterne, «ne pas avoir besoin de faire campagne». Il n'empêche : depuis quelques mois, on ne voit que lui. Comme doué d'ubiquité, Tessier s'agite, serre des mains, se montre au MIP TV, le marché international des programmes télé. S'affiche dans des conférences de presse de France 2 et France 3 alors qu'il laissait d'ordinaire le devant de la scène à ses directeurs. S'immisce dans les programmes. Le tout avec un zèle et une bonne humeur inoxydables. Pour un témoin, «Tessier n'a jamais été aussi en forme, détendu et même drôle...» Certains voient le mal partout : dans le retour à l'antenne des Molière, pour s'attirer les faveurs du théâtre, et jusque dans France 4, la chaîne consacrée à la musique et au spectacle vivant, lancée sur la TNT. «France 4 est uniquement destinée au lobbying de Tessier», persifle un ennemi. Un lobbying tous azimuts auquel participe Anne Méaux, genre d'attachée de presse de luxe pour hommes de pouvoir.
Soucis. Pour certains, c'est plié : Tessier n'a aucune chance. Souci n° 1 : il a été nommé sous Jospin, il y a cinq ans, et il est considéré comme plutôt de gauche. Souci n° 2 : Dominique Baudis continue de lui en vouloir pour la façon dont les rédactions publiques se sont emballées pendant l'affaire Alègre. Souci n° 3 : au CSA siègent Philippe Levrier et Agnès Vincent, tous deux virés de France Télévisions par Tessier. Pourtant, si le bilan des programmes des chaînes publiques n'est pas particulièrement reluisant, l'actuel président, inspecteur des finances dans le civil, a pour lui un bulletin de santé économique honorable. Commentaire d'un observateur : «Vu que Tessier a un bon bilan financier, la nomination sera uniquement politique.»
Leurres. Du coup, plusieurs noms de chiraquiens patentés circulent. Roch-Olivier Maistre, ancien conseiller culturel de l'Elysée, Véronique Cayla, directrice générale du Festival de Cannes, Catherine Colonna, ex-porte-parole de l'Elysée et directrice du CNC (Centre national de la cinématographie) et Anne-Marie Couderc, ancienne ministre d'Alain Juppé et qui préside actuellement la branche magazines de Hachette Filippachi Médias (Lagardère). Cette dernière, jointe par Libération, dément formellement. Des pistes ou peut-être des leurres.
Plus sérieux, les noms de Jean-Pierre Cottet et Patrice Duhamel. «France Télévisions marche par cycle, analyse un postulant. En 1999, il fallait un gestionnaire et Tessier l'a emporté. Aujourd'hui, on veut un professionnel de la télé.» Cottet, ancien patron de France 5, actuellement à la tête des chaînes de Lagardère, fait figure de favori. Il aurait même été adoubé par Chirac. Mais, affirme son entourage, «Jean-Pierre ne veut pas y aller». Enfin pour l'instant. Patrice Duhamel, alors ? Le profil de ce vieux routier des médias (TF1, la Cinq, Radio France, France 3, France 2, le Figaro...) plaît au CSA mais beaucoup moins à l'Elysée, du fait de son passé giscardien. Eh oui, c'est ce Duhamel-là qui, à l'antenne aux côtés de Jean-Pierre Elkabbach, fut conspué au soir du 10 mai 1981 au doux son de «Elkcabot au poteau, Duhamel à la météo !» Un défaut qu'il pourrait compenser en s'alliant à Patrick de Carolis, présentateur Des racines et des ailes, en odeur de sainteté du côté de la Chiraquie.
Plus atypique, José Frèches. L'ancien patron du Midi libre, éjecté de son poste quand Le Monde a pris le contrôle du journal, est dans les starting-blocks. Il a même effectué récemment un stage à la BBC.
Baroque. Atypique également, voire baroque, l'hypothèse Robert Namias, directeur de l'information de TF1. «Namias a lancé lui-même la rumeur, siffle une mauvaise langue, et c'était juste pour obtenir le poste de directeur général délégué à l'information de TF1.» Maintenant qu'il a décroché ce titre, pas sûr que la rumeur continue de circuler, d'autant que Namias, 61 ans, serait atteint par la limite d'âge (65) avant la fin de son mandat.
Qui alors ? En réserve de la République, les directeurs généraux de France 2 et de France 3, Christopher Baldelli et Rémy Pflimlin, attendent leur heure. Baldelli a promis de ne pas se présenter contre Marc Tessier. Oui, mais si Tessier se retirait de la course, à la faveur d'une opportune et alléchante offre d'emploi, Baldelli et Pflimlin pourraient tenter leur chance.
Et si, après tout, le CSA reconduisait Tessier ? «Grâce à la loi de l'emmerdement minimum, il peut avoir ses chances, murmure-t-on au CSA, si les conseillers en ont assez d'être tiraillés par les uns et les autres, ils pourraient bien finir par se rabattre sur Tessier qui a l'avantage d'être déjà en place.»"