Qu’est-ce que le référé audiovisuel ?
Le domaine de la communication audiovisuelle est trop sensible pour être laissé sans mécanisme de contrôle et de surveillance. Le référé audiovisuel fait partie de la palette d’outils à la disposition du Conseil supérieur de l’audiovisuel (C.S.A.) pour réguler le secteur. Il a pour objet de faire respecter, par une procédure juridictionnelle, caractérisée par sa rapidité, les obligations légales existantes en matière de communication audiovisuelle. C’est l’article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986, dont la dernière rédaction est issue de la loi du 9 juillet 2004, qui régit cette procédure :
« En cas de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi et pour l’exécution des missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel, son président peut demander en justice qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Cette demande peut avoir pour objet de faire cesser la diffusion, par un opérateur satellitaire, d’un service de télévision relevant de la compétence de la France dont les programmes portent atteinte à l’un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15 » .
Arme de censure au potentiel destructeur ou instrument de limitation des excès des chaînes télévisées en général et des émissions outrageantes et sordides en particulier, le référé audiovisuel ne doit pas, quoi qu’il en soit, nous laisser indifférent. Retour sur une institution du PAF pas comme les autres ...
Qui ?
La procédure de référé audiovisuel est à l’initiative du président du CSA mais c’est le président de la section du contentieux du Conseil d’État qui décide de sa mise en œuvre, c’est-à-dire de prendre ou non les mesures nécessaires. Ce dernier peut ordonner, même d’office, toute mesure et prononcer une astreinte pour l’exécution de son ordonnance. On remarque donc que le CSA a un rôle limité dans l’exercice de cette procédure. Cela peut expliquer la faible utilisation d’une prérogative que l’institution perçoit avant tout comme un pouvoir au profit du juge administratif.
Outre la possible frustration de l’institution, il est intéressant de noter que, depuis la loi du 17 janvier 1989, toute personne qui y a intérêt peut intervenir à l’action introduite par le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et ainsi participer à l’instance. Cette faculté est importante car elle ouvre une porte aux associations culturelles et de défense des téléspectateurs pour faire valoir leurs opinions. L’intention du législateur est louable mais sa mise en œuvre est insatisfaisante. La publicité du déclenchement de la procédure du référé est quasi-nulle ; de cette manière comment les associations peuvent-elles efficacement intervenir ?
Comment ?
C’est le seul président du CSA qui saisit le juge administratif. C’est un pouvoir discrétionnaire au profit du président du CSA. Il n’a pas besoin de solliciter l’opinion ou l’autorisation de ses pairs. De son côté, le juge statuera suivant la procédure applicable en matière de référé, c’est-à-dire avec rapidité tout en respectant les grands principes de l’organisation juridictionnelle (droits de la défense, publicité des débats, impartialité, ...).
Le juge des référés prescrit toutes mesures de nature à mettre fin aux manquements constatés mais aussi à en empêcher le renouvellement. Il ne peut pas, par contre, ordonner le paiement d’indemnités. Le juge peut enjoindre des modalités d’exercice qui éviteront la fraude à la loi. L’obligation de diffuser de certains pourcentages d’oeuvres d’expression originale française ou communautaire en fournit un exemple. Le juge des référés a ainsi enjoint de ne pas consacrer les heures de la nuit à cette diffusion, car les audiences y sont quasi-nulles.
Le juge des référés en matière de communication audiovisuelle a le pouvoir d’assortir, le cas échéant, ses injonctions d’une astreinte. Cette forme particulièrement efficace d’amende consiste à faire payer au contrevenant une somme tant qu’il ne satisfait pas à l’exécution de la décision du juge. Les astreintes sont décidées en fonction de la gravité des manquements à prévenir et éventuellement adaptées en fonction d’un calcul économique fait sur l’avantage financier que procure l’absence de respect de cette obligation. Il en résulte que les astreintes décidées peuvent être très dissuasives. Par exemple dans une décision de 1988, pour l’injonction de ne pas diffuser plus de 10 minutes 48 secondes de messages publicitaires pendant toute période d’une heure calculée à partir d’un moment quelconque, l’astreinte a été fixée à 16 000 francs par seconde de dépassement pour la société TF1.
Pourquoi ?
A l’origine, le référé audiovisuel avait pour but de remédier à l’une des faiblesses constatées de la législation existante, en ce qui concerne l’effectivité des pouvoirs de contrôle de la Haute autorité et du gouvernement sur les autorisations qu’ils délivraient respectivement. Selon l’article 86 de la loi de 1982, la Haute autorité de la communication et de l’audiovisuel et le gouvernement disposaient d’une seule sanction possible : le retrait des autorisations en cas de manquement aux obligations posées par la loi. Or ce système était inefficace car la sanction étant beaucoup trop forte, la menace n’était pas sérieuse. Ainsi, de nombreuses violations mineures opérées sciemment par les chaînes ne pouvaient être sanctionnées. Au final, le CSA était face à une situation inconfortable du « tout ou rien ». L’instauration d’une procédure intermédiaire a permis une évolution du rôle du CSA et un meilleur respect des obligations légales.
Le champ d’application du référé audiovisuel est très large. En effet, il peut être mis en œuvre pour tout ce qui concerne l’exécution des missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ces missions peuvent correspondre à des obligations que doivent respecter les éditeurs et les distributeurs de services de radiodiffusion sonore ou de télévision soumis à autorisation ou assimilés. En vertu de l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986, le référé peut permettre, entre autres, d’assurer « le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public » mais aussi de garantir l’égalité de traitement entre les diffuseurs, l’indépendance et l’impartialité du secteur public de la radiodiffusion sonore et de la télévision. D’autres dispositions du texte fondamental régissant le droit de l’audiovisuel sont également susceptibles de jouer un rôle non négligeable dans l’utilisation du référé audiovisuel. L’article 15 de la loi précise par exemple que "le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille à la protection de l’enfance et de l’adolescence et au respect de la dignité de la personne humaine dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle". C’est pour l’exercice de cette mission que le président de la CNCL, « ancêtre » du CSA a pu saisir le président de la section du contentieux d’une requête tendant à ce qu’il soit ordonné à la société "La Cinq" de ne pas diffuser le jeudi 20 octobre 1988 à 20 heures 30 le film "Joy et Joan".
Dans la pratique, on observe que le référé audiovisuel a principalement été utilisé dans trois domaines : la protection de la jeunesse, le temps maximum consacré à la diffusion de messages publicitaires et le pourcentage d’émission consacré à la diffusion d’oeuvres en provenance de la communauté économique européenne ou d’expression originale française.
Bilan
Si le droit de l’audiovisuel a beaucoup évolué au cours du temps, notamment sous l’influence des alternances politiques, le référé audiovisuel fait figure d’exception. Depuis sa création en 1986, il n’a jamais été remis en cause. En dépit de cette apparente solidité, cette procédure de référé ne semble plus correspondre à une nécessité ressentie par le CSA. Après une utilisation significative à la fin des années 80 et au début des années 90, la procédure est tombée en désuétude. Les dernières applications semblent remonter à 1994. La philosophie actuelle du CSA l’a fait incliner vers la régulation plus que vers une fonction répressive, notamment pour éviter d’être considéré comme un censeur. Le référé audiovisuel et les sanctions à sa disposition sont avant tout des armes dans le cadre d’une négociation avec les chaînes et les autres acteurs du PAF. Mais cela est-il suffisant ?
Au final, les caractéristiques du référé audiovisuel et l’utilité d’une telle procédure nous poussent à nous interroger sur une réforme de l’institution. Pourquoi ce pouvoir, dont l’efficacité est garantie par sa rapidité, ne serait-il pas directement mis en œuvre par le CSA, soit d’office, soit à l’initiative d’association ou des chaînes ? Lors de la création de cette procédure, on en confia le soin au juge administratif car on craignait de conférer un pouvoir de sanction trop important à une autorité non juridictionnelle. Mais, compte tenu de l’élargissement de pouvoirs dont bénéficie le CSA depuis 1989, cette restriction a perdu de son intérêt et constitue presque, dans une certaine mesure, une procédure a minima. D’un autre côté, favoriser le référé audiovisuel ne serait-il pas un moyen pour réinstaurer une forme de censure étatique dans le domaine audiovisuel ? Le débat est ouvert, il appartient à tout intéressé d’y participer ...