Spooks [MI-5] - Saison 3 • (2004)
“We’re in a state of collective desperation here.” Harry Pearce
Par Dominique Montay • 1er juillet 2007
Saison 3 - 2004
Production : Kudos (Royaume-Uni)
Diffusion : BBC (Royaume-Uni)
Créateur : David Wolstencroft
Avec : Matthew MacFayden (Tom Quinn), Keeley Hawes (Zoe Reynolds), David Oyelowo (Danny Hunter), Peter Firth (Harry Pearce), Rupert Penry-Jones (Adam Carter), Olga Sosnovska (Fiona Carter), Nicola Walker (Ruth Evershed) et Shauna MacDonald (Sam Buxton)

Les saisons ont beau être plus courtes en Angleterre qu’aux Etats-Unis, les acteurs semblent souffrir encore plus fortement du syndrome de lassitude. Cette saison 3 [1], pour « Spooks », est surtout marquante à cause de la disparition progressive de ses 3 personnages principaux, le tout en 9 épisodes, et pour des raisons qui n’ont aucun lien entre elles.

« Spooks » va cependant prouver que grâce à la qualité de son écriture, toujours au top, il est possible de survivre à la défection de ce qui fait son âme, les personnages.

Si l’équipe scénaristique bouge peu, donnant à nouveau la part belle à Howard Brenton (qui signe les deux premiers épisodes de la saison de manière brillante), l’équipe de réalisation, un brin éprouvante, est renouvelée à 80%, ne conservant que Justin Chadwick. L’univers visuel bouge peu, malgré tout. On ressent tout juste le contrecoup du succès de la série : il y a plus d’argent !

Le Moi

Coexistance entre deux vies pour la première saison. Gestion du mensonge dans la seconde. « Spooks » est une série qui, dans ses trois premières saisons sait trouver un axe de narration fort, qui englobe la saison tout en lui donnant son cœur. Pour la troisième, il s’agit d’une plongée introspective dans les réflexions et les doutes de ses agents. La progression est logique. Je suis un agent secret, et de ce fait je dois mentir à tout le monde, mais au final, comment bien vivre avec ça ? Au cinéma, on parlerait de trilogie, d’un ensemble cohérent clôturé.

Pour illustrer leur propos, les auteurs se servent de Tom Quinn comme caisse de résonance. Son départ (au terme du deuxième épisode, 3x02 « The Sleeper »), va donner le la de toute la saison et certains personnages majeurs vont commencer à se poser des questions sur leur état. Sûrement plus que si Tom était resté à leur tête, comme si de rien n’était.

Au rayon des menaces, cette saison, des attentats à la bombe, un scientifique pas très bien intentionné, la mafia Turque, des hackers, des rock stars, des terroristes, et puis encore des terroristes.

Another one bites the dust

Ils vont partir, mais démarrent quand même la saison : Matthew MacFayden (Tom Quinn), Keeley Hawes (Zoe Reynolds) et David Oyelowo (Danny Hunter). Ils restent, et c’est tant mieux : Peter Firth (Harry Pearce), Nicola Walker (Ruth Evershed) et Shauna MacDonald (Sam Buxton). Ils arrivent : Rupert Penry-Jones (Adam Carter) et la ravissante Olga Sosnovska (Fiona Carter)

Rupert Penry-Jones, beau, blond, grand, athlétique est amené à remplacer Matthew MacFayden (beau, blond... pareil). Adam Carter n’est pas simple à gérer pour un acteur dans cette première saison. A croire que les auteurs n’étaient pas vraiment préparés à son arrivée. Il semble parachuté plus ou moins de nulle part, possède beaucoup trop de similitudes avec Tom Quinn pour imposer sa marque d’entrée, et surtout, est très mal servi par les auteurs, qui lui préfèrent d’abord Tom, puis Zoe, enfin Danny. Pour le voir s’émanciper, il faudra attendre. Il est même suprenant de voir que les auteurs échouent aussi dans un aspect qui aurait pu être intéressant, faire de Carter notre œil, notre premier relai, qu’on redécouvre le MI-5 sous ses yeux, que tout ce qui nous semblait normal et courant les deux saisons prennent un tout autre sens sous le regard d’un ancien du MI-6. Mais non. Quand bien même, Rupert ne s’en sort pas si mal, car la situation n’est pas évidente du tout au départ. Le seul épisode qui lui fait la part belle est le 3x09 « Frequently Asked Questions », qui le voit forcé de torturer un suspect, sachant qu’il a subit pareille torture par le passé. En dehors de cet éclairage particulier, le brossage de son personnage se résumera plutôt à ses rapports avec ses anciens employeur et à l’insertion progressive de sa femme, elle aussi espionne au MI-6, Fiona, interprêtée par Olga Sosnovska. Charmeuse, aussi sérieuse dans son métier que son mari. Le couple ouvre des possibilités encore non explorées dans la série, la vie de famille chez les espions. Jusqu’ici, les personnages vivaient dans une solitude assez opressante et toute tentative de socialisation semblait impossible. Pour Fiona et Adam, on offre un autre solution, un autre mode de vie, mais qui renforce encore plus cette solitude. C’est eux et leur fils, mais personne d’autre ne semble graviter autour d’eux.

Nicola Walker aura au final peu de situations fortes, hormis l’épisode 3x07 « Outsiders », qui la verra prise en otage. Mais sa façon de transcender le personnage, de lui donner du corps et de le faire évoluer démontre une véritable maîtrise. A se demander si les auteurs, pensant faire de Ruth un personnage secondaire ne se sont pas sentis obligés, à voir Nicola, de lui donner de plus en plus d’importance. Ses relations avec Harry Pearce gagnent en profondeur. Le respect et l’admiration qu’elle lui voue se traduisent à deux reprise, avec beaucoup de finesse. Dans le 3x01 « Project Friendly Fire », afin de rendre visite à Harry, blessé grièvement par Tom, elle fait croire aux médecins qu’elle est amoureuse de lui. Simple prétexte afin de le voir, sorti de la bouche d’une Ruth qui devient aussi maligne que les agents de terrains, ou expression de ses sentiments intimes. Les auteurs jouent sur du velours et on ne peut qu’être admiratif. Enfin, quand Harry se voit proposer un poste plus gradé et doit valoriser son statut, c’est Ruth qui propose son aide et à travers cette assignation, elle transmet à Harry un véritable message d’amour professionnel.

Un Harry Pearce qui va batailler toute la saison durant contre Oliver Mace, directeur général des bureaux joints du MI-5 et MI-6. Ce dernier souhaite former une seule entité et la diriger pour servir ses intérêts. Harry se tient face à lui tel un dernier rempart, et il faut avouer que ses face à face avec Mace valent le détour, à l’égal, mais dans un style différent, des confrontations avec Jools Siviter. Peter Firth connaît d’autres moments de gloire dans la saison, comme celui de ses retrouvailles avec sa fille, membre d’un comité pour la libération de la Palestine (3x04 « A Prayer for My Daughter »). Firth arrive à rendre émouvante des scènes assez convenues dans la fiction : l’enfant qui critique un père absent, ce dernier cherchant le pardon. Il suit un peu comme le spectateur les départs successifs et autres deffection dans son équipe sans perdre pied. Il reste le capitaine, même si le bateau tangue, c’est à lui de tenir la barre. Tout en gardant son humanisme, il assoit son caractère un peu militaire, même s’il garde son irrévérence face aux supérieurs.

Tom Quinn réapparaît avant de disparaître. Après sa fausse noyade, il revient à Londres, sous les traits puants et sales d’un SDF afin de tout tenter pour révéler la machination dont il a été la victime. Réussissant dans son entreprise, il revient à son poste au MI-5. On croit alors à un retour au statu quo au terme du premier épisode de la saison. Le second va tout faire voler en éclat. Harry Pearce va réveiller un agent dormant. C’est-à-dire demander à un ingénieur en chimie qui « doit » quelque chose à la nation, de payer son dû en travaillant pour le MI-5 sur une mission. Tom supervise l’opération, voit l’ingénieur briser sa vie, sa famille, pour le bien de la mission. Son enthousiasme, d’abord débordant (trop), va s’étioler jusqu’à laisser place à un doute profond. Qui sont-ils pour jouer autant avec la vie des autres ? Tom laisse de côté son sens du devoir et va tenter de sauver l’ingénieur, au péril de la mission. Personne ne comprend son geste, ni Harry, ni Zoe, ni Danny. Mais pour Tom, la frontière est franchie, il ne peut plus revenir en arrière. Sa conscience a prit le pas et de cet état de fait, il ne peut plus être un agent secret. Harry va le licencier, le faire disparaître, et cette fois-ci une bonne fois pour toute. La série aurait pu s’arrêter là-dessus tant le message délivré est fort, montrant la prise de conscience de celui qui était le plus dévoué parmi les dévoués, que son travail détruit des vies d’innocents, sous prétexte d’en sauver le plus grand nombre. Matthew MacFayden s’en va donc, pensant avoir fait le tour de son personnage, qu’il n’oubliera pas pour autant. Spooks a fait de lui une star en Grande Bretagne, lui permit de devenir Monsieur Darcy dans une adaptation de « Raison et sentiments » avec Keira Knightley, et lui fit rencontrer la splendide Keeley Hawes, qu’il subtilisa à son mari dans la première saison (faisant le bonheur des journaux à scandales), et qui devint (et resta depuis) sa compagne.

Zoe Reynolds s’en va. Et avec elle tout le charme qu’elle posait sur la pelliculle. Charme qui va crescendo au fil des saisons et de ses relations amoureuses. Sans amour dans la première saison, humiliée dans la seconde, elle trouve son petit coin de paradis au début de la troisième avec un photographe, Will, qui ne paye pas de mine mais qui la séduit presque instantanément. Mais Zoe a du mal à se laisser aller au bonheur. Lorsque Will prend des photos qui peuvent mettre en péril une mission, Zoe lui demande de ne pas les publier. Ce que Will fait. Pas le frère de Will, venu squatter l’appartement de Zoe et se servant des photos pour toucher le pactole. Zoe, traumatisée par son expérience sentimentale précédente, va blâmer Will et le quitter. Avant de se laisser convaincre de reprendre leur relation. L’innatendu va se produire, alors qu’on croît encore la situation revenue à la normale. Mais Zoe va se retrouver au milieu d’une mission qui va très mal tourner (3x06 « Persephone »). Infiltrée dans la mafia turque, elle va jouer de son charme pour obtenir l’assassinat d’un parrain, provoquant ainsi la mort d’un officier de police lui aussi infiltré. La famille du défunt réclame alors la tête de Zoe, et l’obtient. La prison se profile pour Zoe, qui se verra proposer la fuite par Harry et Danny. Le départ de Zoe est poignant, et son ultime échange avec Danny, qui lui avoue son amour, tout bonnement bouleversant. Keeley quitte donc « Spooks », pour une carrière cinéma plus discrète que son conjoint, apparaissant dans des seconds rôles, et prêtant sa belle voix à Lara Croft pour le jeu du même nom. Et pour info, elle retrouvera Matthew pour « Death at a Funeral » - prévu de sortir en 2008, et réalisé par Franck Oz - et sera, logiquement, au casting du spin-off de « Life on Mars », « Ashes to Ashes ».

Danny sera le dernier à quitter la série, au terme de la saison, dans une scène émotionnellement mémorable. David Oyewolo quitte « Spooks » après la saison où il aura été le mieux servi, à croire que Danny Hunter avait besoin que Tom s’en aille pour voler de ses propres ailes. Sa saison oscillera entre son incompréhension face à la décision de Tom, son amour non partagé avec Zoe, et surtout son attitude lorsque cette dernière est obligée de s’exiler. Danny entame une période de désamour envers son métier et se met à saisir ce qui a frappé Tom au début de la saison. Ce questionnement, il l’entame dans l’épisode 3x05 « Love and Death », où Danny et Zoe embarquent dans un ferry où ils doivent convaincre un scientifique de ne pas vendre à un ennemi une technologie hautement dangereuse. D’abord parti pour gérer la situation de manière douce, Adam Carter et Harry Pearce changent les plans et leur demandent d’assassiner le traitre. Cette simple idée bouleverse les deux agents, qui se demandent alors jusqu’où ils doivent aller pour préserver la paix. Danny et Zoe s’apperçoivent, de plus, que cette option était prévue dès le départ. Se sentant trahis, Danny et Zoe entament chacun leur distancement vis-à-vis de leur fonction, gagnant en recul ce qu’ils perdent en investissement. Cet épisode est excellent, mais très risqué, nous y reviendrons plus tard. Danny va continuer à avancer dans la saison, une année qui va de déception en déception, et qui va le plonger dans une dépression profonde. David Oyewolo s’est plutôt bien sorti de son expérience dans « Spooks », se faisant remarquer dans l’excellent « The Last King of Scotland », où il réalise une performance d’acteur à milles lieux de « Spooks », passant de l’agent secret fashion victim au rôle d’un médecin respectable (et barbu). La métamorphose est telle qu’on a du mal à reconnaître David.

La saison

Cette saison 3, si elle marque un peu le pas sur la seconde et la première, est pleine de qualité. Elle est hélàs un peu plombée par les changements de casting, faisant passer les intrigues, par moment, au second plan.

Plus que par des épisodes forts, la saison marque surtout par deux choix, intelligent pour l’un, très risqué pour l’autre. Trois personnages s’en vont, c’est un fait, mais il est important de souligner qu’ils s’en vont pour trois raisons diamétralement différentes. Tom ne croît plus en son métier, Zoe va provoquer la mort d’un policier, Danny va se sacrifier. De plus, aucun de ces départs ne peut être anticipé pour quiconque ne regarde jamais les résumés, ni les castings des épisodes. Dans ce cas particulier, oui les départs peuvent surprendre, voir choquer. Alors non, pas de maladies qui court sur quatre épisodes, pas de super méchant menaçant sur 3 autres... non, ces départs interviennent lors de missions qui pourraient sembler ordinaires. Preuve si ça restait à prouver de tout le talent qui anime le staff de cette série.
L’autre choix est plus risqué. Il se porte surtout sur l’épisode 3x05 « Love and Death », où Danny et Zoe sont forcés par Harry et Adam de tuer un traitre. Risqué parce qu’il met en scène deux personnages que nous aimons, face à une situation éthiquement indéfendable, et qu’en face d’eux se posent, en puppet-masters, un personnage qui reste, Harry, et un autre qui vient d’arriver et qui n’a pas encore supplanté son prédécesseur dans le cœur des fans, Adam Carter. Si Harry s’en sort bien, car ce genre de situation, il les gère depuis la saison 1 avec brio, mettre Adam dans une position « contre » Zoe et Danny peut mettre en péril sa popularité. C’est fait finement, mais oui, c’est gonflé.

Des moments forts jalonnent la saison. Tom qui reste sur sa dimension mythologique acquise en fin de saison 2, revenant tel Edmon Dantès, de la mer à la rédemption en passant par le crime et la vengeance. Son départ au terme de la saison 2, est minimaliste au possible, saluant ses anciens collègues par le biais d’une caméra de surveillance et disparaissant à jamais dans la nuit londonienne. Celui de Zoe, plein d’émotion. L’interrogatoire de Robert Morgan par Adam Carter tournant autour de la torture.

Page tournée

« Spooks » sur ses trois premières saisons forment un tout cohérent, brillant. Quoi qu’on en pense, la saison 4 qui approche annonce un changement. Un autre arc débute, avec Adam Carter en figure de proue, et Harry Pearce comme gardien du temple. « Spooks » ne sera plus pareil, c’est une évidence, mais n’est-ce pas le lot des bonnes séries de savoir se renouveler, de bousculer le statu quo pour éviter les redites. Adam, Fiona et Zafar, bienvenue. Tom, Danny, Zoe, merci... et au revoir.

Dernière mise à jour
le 5 juillet 2007 à 15h47

Notes

[1Crédits :

Scénario
David Wolstencroft (3x05 Love and Death)
Howard Brenton (3x01 Project Friendly Fire ; 3x02 The Sleeper ; 3x08 Celebrity ; 2x10 Smoke and Mirrors)
Robert Walters (3x03 Who Guards the Guards ? ; 3x09 Frequently Asked Questions)
Raymond Khoury (3x07 Outsiders)
Ben Richards (3x04 A Prayer for My Daughter ; 3x06 Persephone ; 3x10 The Suffering Of Strangers)

Réalisation
Johnny Campbell (3x01 Project Friendly Fire ; 3x02 The Sleeper)
Cilla Ware (3x03 Who Guards the Guards ? ; 3x04 A Prayer for My Daughter)
Bill Anderson (3x07 Outsiders ; 3x08 Celebrity)
Justin Chadwick (3x05 Love and Death ; 3x06 Persephone)
Alrick Riley (3x09 Frequently Asked Questions ; 3x10 The Suffering Of Strangers)