Spooks [MI-5] - Saison 5 • (2006)
"It’s one thing to get rid of democracy. It’s much harder to get rid of the monster you replace it with." Home Secretary
Par Dominique Montay • 11 octobre 2007
Saison 5 - 2006
Production : Kudos (Royaume-Uni)
Diffusion : BBC (Royaume-Uni)
Créateur : David Wolstencroft
Avec : Rupert Penry-Jones (Adam Carter), Ros Myers (Hermione Norris), Peter Firth (Harry Pearce), Raza Jaffrey (Zafar Younis), Nicola Walker (Ruth Evershed) et Miranda Raison (Jo Portman)

« Spooks » est devenu une place forte de la télévision anglaise. Une de ces oeuvres qu’on met au premier plan et qu’on est content de voir représenter sa nation à l’étranger. Certains observateurs US sortent même des clivages habituels entre les deux pays pour louer sa qualité, son rythme, son impertinence. Allant même jusqu’à dire (de manière assez pertinente d’ailleurs), qu’elle renouvelle le genre et relègue les expéditions punitives de Jack Bauer au rang de vieux dinosaure à l’agonie. Et « Spooks » de se dire qu’il y a une brêche, et qu’il faut s’y engouffrer. De série d’espionnage purement UK à ses débuts, « Spooks » saison 5 [1] marque un véritable tournant. Dans ses moyens, ses effets visuels, « Spooks » s’américanise et s’offre la possibilité de conquérir un nouveau marché. Cette logique de pur marketing, si elle permet à la série d’être de plus en plus ambitieuse sur la forme, provoque une sensible baisse au niveau du contenu. Comme si l’avalanche de moyens bloquaient des auteurs autrefois forcés de se creuser les méninges pour trouver des retournements de situations à la force de leur plume et aujourd’hui dans la position où il est possible de se dire "et pourquoi pas une explosion ?".

Depuis le début de la série, « Spooks » a perdu ses deux scénaristes majeurs : David Wolstencroft — qui n’écrit plus même s’il reste aux commandes du show — et Howard Brenton, le plus prolifique et le plus talentueux d’entre eux. « Spooks », avec ces éloignements / départs ou encore ce changement de philosophie chez Kudos, perd-il totalement de ses qualités ?

La tendance remarquée lors de la saison 4 s’affine encore plus dans la suivante. Il n’y a plus de toile de fond thématique. Même si les cauchemars d’Adam Carter sont récurrents, ils ne débouchent pas sur une vraie reflexion sur le sujet.

Attention les yeux

« 5x01-02 », sobrement appelés « Part 1 » et « Part 2 » (la saison n’a d’ailleurs aucun titre associés au numéros de production), commence la saison où la précédente s’arrêtait. Mais au lieu d’avoir une résolution, voire une vraie continuité à l’épisode « 4x10 Diana », la trame s’engage sur une histoire complètement différente. Le seul lien reste en fait la grave blessure d’Adam Carter. Lorsqu’il se remet de ses blessures, il apprend que le pays est dans un état de chaos total. Des actes terroristes dans la totalité de la Grande Bretagne forcent le Premier Ministre à enterriner des mesures drastiques envers ses administrés. En colère, le peuple se soulève, alors qu’un groupe de presse discrédite le gouvernement. En fait, c’est une grande manipulation pour transformer la démocratie en dictature et mettre des hommes de pouvoirs mal intentionnés à sa tête, avec l’aide du MI-6. L’histoire est passionante, même si un peu confuse, embrasse le thème du complot à pleine bouche, est très rythmée et offre aux membres du casting des expositions intéressantes et presque égales. Qu’il s’agisse de Jo chargée de surveiller le fils du Premier Ministre, de Ros, nouvelle venue qui travaille pour le MI-6 et qui ne comprend pas encore à quel point les ordres qu’elle reçoit sont dirigés par la soif du pouvoir, ou surtout de Harry, qui nous offre une prestation mémorable lors d’un face à face dans un restaurant avec Oliver Mace, leader du MI-6. Là, on retrouve le grand « Spooks », offrant des morceaux de bravoure dans un cadre minimaliste. Le problème de ce double épisode, c’est le choc visuel qu’il représente. Abus de l’accéléré-ralenti lors des introductions de scènes, explosions à profusion, et, summum, scène de combat de style kung-fu. Du kung-fu. Dans « Spooks ». Et très chorégraphié, en plus. C’est trop, et ça se voit.

Du très bon

Du minimaliste, on en retrouve dans le « 5x03 », histoire d’infiltration dans une cellule terroriste. Deux bonnes raisons d’aimer cet épisode : il nous offre encore un regard loin de tout manichéïsme sur les terroristes, ou plutôt ces gens paumés qui sont endoctrinés pour une cause sans fondement si ce n’est la haine de l’autre et l’obscurantisme. Et Zaf mène l’épisode de bout en bout. C’est un évènement pour la série, qui offre peu de temps à l’acteur de nous montrer son talent. Le but de Zaf est de transformer deux endoctrinés en agent-doubles. Zaf ment, le MI-5 utilise la petite amie de l’un d’entre eux pour l’aider à choisir le bon camp. On y retrouve donc les thèmes habituels de la série, qui fonctionnent si bien. Le MI-5 manipule (de la même façon que les leaders extrèmistes le font), mais sous couvert de défendre la patrie. Du déjà vu, en mieux dans la série, mais bien maîtrisé.

Le « 5x04 » offre un scénario plus fouillé cette fois ci. Zaf et Ros sont envoyés sous couverture dans un congrès international ayant pour centre des discussions la pauvreté en Afrique. Adam est aussi de la partie, en tant que membre de la sécurité. Le but est simple, convaincre les représentants français et américains de voter "dans le bon sens", c’est à dire dans le sens de l’Afrique. Une nouvelle tombe : un homme politique africain va être assassiné. L’équipe sur place se lance à la recherche de l’assassin. Une fois arrêté, cet assassin révèle que le notable qu’il allait tuer est un criminel de guerre. Un épisode fort sur un axe complexe mais très bien maîtrisé. On passe d’une simple intrigue de manipulations chez les puissants à un véritable cas de conscience : faut-il laisser l’assassin s’évader pour éliminer un monstre ? Un bien bel épisode qui a peut-être tendance à trop appuyer l’attitude d’Adam Carter au final de l’épisode alors qu’il croît revivre l’assassinat de sa femme. La suite de la saison ira dans le même sens, les auteurs ont du mal à être fins concernant ce personnage, qui truste malgré tout toutes les intrigues.

Bye-bye, Ruth

Sortez les mouchoirs. Le « 5x05 » nous propose de dire adieu à l’un des personnage les plus aimés de la série en plus d’une de ses interprête les plus talentueuse. Ruth s’en va, prise dans un piège dont elle ne peut se défaire. Artificiellement, les auteurs avaient créé un démarrage de romance entre Ruth et Harry. A défaut d’être vraiment intéressant, la chose sonnait juste et ne trahissait pas les personnages. Très gênés, rigides, leurs tentatives de rapprochement déclenchaient surtout le sourire. Les deux personnages se ressemblaient trop, et surtout partageaient un respect commun beaucoup trop fort pour que tout se fasse simplement. Mais ce rapprochement n’était qu’un effet de manche pour préparer le départ de Ruth de manière encore plus émouvante. Mais à vrai dire, il n’y avait pas besoin de ça. Ruth a été, 4 saisons durant, l’un des personnages les plus touchant de la série, de par son haut sens moral et son attitude respectueuse. Elle était aussi drôle et d’une intelligence supérieure, mais avec une retenue et une humilité sans faille. Sans cette histoire d’amour développée trop rapidement, le départ de Ruth aurait quand même été un crève coeur. Nicola Walker quitte donc la série après un épisode tournant autour d’elle, pour avoir juste voulu enquêter sur le suicide d’un homme. Autour d’elle, toute l’équipe va tenter de trouver un moyen de lui venir en aide, sans succès. Et Ruth embrasse sa condition de fugitive forcée en se disant que de toute façon, elle n’avait aucune chance de s’en sortir. Au revoir Nicola, et merci.

Des faux semblants

Le double-épisode « 5x06-07 » nous offre encore un gros morceau de conspiration, avec pleins de faux semblants et une taupe. Pour résumer, le gouvernement anglais veut vendre la technologie nucléaire contre du pétrole à vie avec les saoudiens. Le MI-5 veut empêcher ça et envoie Ros, qui fini par être prise en otage. C’est complexe, parfois compliqué, et on a vraiment l’impression d’assister à un épisode de « 24 » (enfin, une saison de 24h, en deux épisodes), les grosses ficelles en moins. L’épisode n’est pas très palpitant, et on se dit que si Ros ne survit pas, de toute façon... Non pas que le personnage ne soit pas intéressant, bien au contraire, c’est surement le plus intéressant de la saison, mais elle n’est pas vraiment attachante. Donc on suit cette enquête, assez longue, et qui joue sur ce qui va être le fond de commerce de la saison. Les terroristes rencontrés sont souvent considérés comme venant d’Al Quaieda. Or, souvent, au terme des épisodes, on apprend que les apparences sont trompeuses. Ici, par exemple, l’ennemi s’avère Israëlien. Ce retournement arrive à de nombreuses reprises dans la saison (souvent avec les Israëliens, d’ailleurs), et peut s’interprêter de deux manières. La première, c’est la volonté des scénaristes de ne pas traiter exclusivement du terrorisme moyen-oriental. Et ne pas faire comme les américains. La seconde, c’est que la série ne veut pas se mettre à dos la communauté musulmane (qui a bon dos, en ce moment). Quoi qu’il arrive, même si la volonté est louable (un peu ras-le-bol des "méchants arabes", un peu comme à une époque les "méchants ressortissants du bloc de l’est"), elle n’est pas amenée finement, et fait plus lapin sorti du chapeau qu’autre chose : pourquoi passer 75% de l’épisode à dire qu’il s’agit d’Al Quaieda à chaque fois qu’on traite des terroristes si c’est juste pour prouver que tous les terroristes ne sont pas d’Al Quaieda.

Du traumatisme traumatisant

Le « 5x08 », qui traite du terrorisme chrétien est à la fois osé et bien mené. Enfin, jusqu’au final. Cet épisode offre une belle galerie de personnages, de l’ecclesiastique dépassé par les évènements pour avoir recruté un fanatique pour propager la bonne parole, à ce fanatique, justement, qui rapelle les meilleurs sales types de la série. Oui mais voilà, la scène finale gâche un peu tout. Derrière une excellente idée : Adam subit enfin les syndrômes du stress post-traumatique et se retrouve complètement figé en pleine mission, le traitement est pauvre et mal adapté. A coups d’images subliminales aussi peu élégantes qu’esthétiquement moches, essayant de mettre en avant qu’Adam a peur de ne pas être capable de protèger son fils comme il ne fut pas capable de protéger sa femme, Adam vit une crise qui ne touche pas autant que s’il était resté là, prostré, sans explication (que le spectateur aurait bien compris). Non, là, les auteurs de Spooks ont décidé de prendre la main du spectateur en lui expliquant, lourdement, ce qui arrive à Adam. C’est vilain, c’est grossier, et c’est indigne d’une série autrefois si fine et pertinente. Le problème, c’est qu’Adam subit ce traitement grossier pendant la majeure partie de la saison, qu’il s’agisse du traumatisme de la mort de sa femme, de ses doutes en tant que père, et surtout de cette histoire qui frise le ridicule avec la (très jolie) nourrice de son fils avec qui il finit par coucher. Adam est très servi, mais relativement mal, et son capital-charisme en prend un sacré coup.

« 5x09 » voit revenir une ancienne connaissance d’Adam Carter, Niko Grecic, qui agit comme un traitre depuis des années. Mais qui en fait est un agent double. Un épisode qui ne laisse pas grand souvenir et qui reste assez confus dans sa construction.

Répondez à ces exigences ou nous innondons Londres ! Voilà le crédo de ce dernier épisode qui souffre considérablement de la comparaison avec ses prédecesseurs. La menace, aussi énorme soit-elle, ne semble pas réalisable. Les révélations qui en ressortent (les américains et les anglais se seraient mis d’accord pour ne faire aucun effort concernant le réchauffement de la planète, mais pour se renforcer économiquement et militairement afin de contrôler les ressources dans l’avenir) sont abracadabrantes, et le final manque de punch, abandonnant le traditionnel cliffhanger pour lui préférer une image d’Epinal.

Un bilan mitigé

Une saison bancale, qui offre tantôt des épisodes trop redondants, tantôt très réussis, et d’autres tellement éloignés du style habituel de la série qu’ils semblent un ton largement au-dessous (alors que dans n’importe quelle autre série, on parlerait de bonne intrigue). C’est un peu le problème de « Spooks », la barre a été placée tellement haut et les attentes sont tellement fortes qu’on réclame constamment l’excellence. Ca ne fait pas de « Spooks » saison 5 une mauvaise saison, mais le sentiment de voir une grande série devenir simplement bonne est assez décevant. Mais on n’est exigeant qu’avec ceux qu’on aime.

Dernière mise à jour
le 9 octobre 2007 à 21h06

Notes

[1Crédits :

Scénario
Ben Richards (5x01 Part 1 ; 5x02 Part 2 ; 5x03 Episode 3)
David Farr (5x04 Episode 4 ; 5x10 Episode 10)
Zinnie Harris (5x05 Episode 5)
Raymond Khoury (5x06 Episode 6 ; 5x07 Episode 7)
Julian Simpson (5x08 Episode 8)
Neil Cross (5x09 Episode 9)

Réalisation
Omar Madha (5x01 Part 1 ; 5x02 Part 2)
Julian Simpson (5x03 Episode 3 ; 5x08 Episode 8)
Kenny Gleenan (5x04 Episode 4 ; 5x05 Episode 5)
Andy Hay (5x06 Episode 6 ; 5x07 Episode 7)
Julian Holmes (5x09 Episode 9 ; 5x10 Episode 10)