BONNES FEUILLES — Russell T Davies lève le voile...
Le scénariste publie un livre qui revient sur ses quatre années à diriger « Doctor Who »
Par Sullivan Le Postec • 19 septembre 2008
Au moment où ses années à la tête de « Doctor Who » prennent fin, Russell T Davies lève le voile sur les coulisses de la série et sur sa personnalité.

« Doctor Who : The Writer’s Tale » sortira le 25 septembre en angleterre chez BBC books. L’ouvrage est le fruit d’un échange de courriers électronique entre le scénariste et Benjamin Cook, qui s’est étalé entre février 2007 et avril 2008. L’auteur, peu loquace habituellement et très réservé dans ses rapports avec le public, en dévoile beaucoup sur les coulisses de la série, mais aussi sur lui-même. Le Times en publiait les bonnes feuilles mardi et mercredi.

Un processus mental

Russel T Davies explique qu’il a peu d’éléments physiques à fournir qui pourraient documenter la manière dont son écriture se met en place. ‘‘J’y réfléchis, j’y réfléchis, j’y réfléchis, et au moment de passer à l’écriture, beaucoup de choses ont été décidées’’. Et puis il y a tout ce qui n’a pas été décidé, et là, l’auteur se fait confiance autant qu’il se fait peur à propos des éléments d’histoire en suspens, non résolus, des Possibilités.
Les histoires futures en gestation l’accompagnent tout le temps, il ne consacre pas de moments particuliers à y réfléchir ; ces pensées sont permanentes : ‘‘pendant que je marche, quand je vais en ville, au moment de prendre le thé, en regardant la télé. Le reste de votre vie devient simplement la surface des choses, ce qui recouvre les Possibilités... et les doutes. Tout — et je veux dire chaque histoire jamais écrite où que ce soit — est accompagnée par un constant murmure : c’est nul, je suis nul, et ça doit être terminé mardi !’’
Quand Davies se met-il à écrire ? ‘‘J’attends jusqu’à la dernière minute. Et puis j’attends encore un peu. J’attends jusqu’à ce que la situation soit désespérée. C’est vraiment le mot. Je pense toujours que je ne suis pas prêt à me mettre à écrire, que je ne sais pas ce que je fais, que ce n’est qu’un flux d’idées disparate, qu’il n’y a pas d’histoire, que je ne sais pas comment A se connecte à B, que je ne sais rien ! Je me mets dans un état de réelle panique. Sauf que dit comme cela, ça a l’air excitant. Ca a l’air agité et plein d’adrénaline. En réalité, cela ressemble plus à un sombre nuage de peur et d’échec.’’

Le démon de l’auteur

A partir du milieu de la vingtaine et pendant dix ans, Russel T Davies a eu une période... intense qu’il raconte en évoquant ces écrivains connus pour leurs addictions diverses. ‘‘Je sortais toutes les nuits, réellement toutes les nuits, dimanche inclus, danser, et boire et m’évader de mon esprit en prenant Dieu sait quoi.’’ Davies raconte le retour à la maison à 5h, l’arrivée au bureau à Grenada à 9h, où il vomissait un coup dans les toilettes et assurait sa journée. Tout cela jusqu’à une nuit de 1997, qu’il n’évoque en filigrane. C’était trois jours après la mort de Diana, et un instant, Russel Davies s’est dit : ‘‘si je meurs, il n’y aura même pas un petit titre en bas de page, c’est tout pour Diana !’’
L’expérience, cette unique nuit, l’a sevré. Ou presque. Il lui a juste fallu trois ans. Et la voix, celle qui dit ‘‘démonte toi la tête, et il te viendra bien une bonne idée’’, cette voix est toujours là. ‘‘Je ne suis pas 100% clean. Je ne voudrais pas me faire passer pour un saint. Une fois par an, ou quelque chose comme ça, je sors encore, seul, et je me défonce, et je finis Dieu-sais-où... ha ha, pathétique... mais ensuite, je peux l’emprisonner à nouveau’’.

A la soirée de lancement de la troisième saison, une journaliste lui dit qu’il écrit toujours des histoires d’amour à sens unique. ‘‘J’y pense beaucoup depuis. Je ne suis pas sûr de ce que cela dit à mon sujet. Je ne suis pas sûr que cela soit très sain.’’

Les coulisses d’un départ

C’est pendant la période de ces échanges que Russel T Davies a annoncé aux dirigeants de la BBC qu’il ne rempilerait pas pour une cinquième saison de « Doctor Who ». Il a annoncé la nouvelle à Peter Fincham, à l’époque contrôleur de la BBC, le 12 mars 2007. Davies confie que l’homme, s’il est vrai qu’il leur donne de l’argent, sa confiance et promeut leur travail, n’a aucune idée de la somme de labeur que cela représente, ni conscience du fait que l’équipe doit vivre des mois à Cardiff où se déroule le tournage.
Un mois plus tard, Jane Tranter, la directrice de la fiction de la BBC se rend à Cardiff pour assiter à une lecture d’épisode en pré-production. Elle demande à rendre visite à Davies chez lui, en la présence de Julie Gardner (productrice exécutive de la série pour la BBC). Jane Tranter ressent le besoin de lui redire ‘‘officiellement’’ qu’elle et la direction de la BBC souhaiteraient que Davies demeure en poste. Davies confirme son départ. ‘‘Ce n’est pas une question d’argent, Jane et Julie le savent’’. Davies, à cette époque, dit ne pas être tenté une seule seconde de changer sa décision. En fait, au moment du tournage de « Doomsday », le final de la seconde saison de « Who », Davies et David Tennant avaient envisagé le futur, et s’étaient fait la promesse qu’il se déroulerait ainsi : une montée en puissance jusqu’à ‘‘un grand final pour la saison 4, la troisième de Tennant,’’ après quoi la série disparaitrait pendant une courte période, le temps de se ressourcer et de mettre en place une nouvelle équipe.
Le 12 juillet 2007, Russel Davies envoie un mail à Steven Moffat pour finalement parler ‘‘de l’éléphant qui se trouve dans la pièce : est-il intéressé par le poste ?’’ A cet instant, Davies est aussi curieux de connaître la réponse que n’importe quel fan de « Doctor Who »...

Tensions autour d’une pause

En septembre 2007, les plans pour la série sont révélés par un communiqué de presse. « Doctor Who » est renouvelée pour une cinquième saison, mais celle-ci n’arrivera sur les écrans qu’en 2010, après une année de pause en 2009 pendant laquelle seul quelques épisodes spéciaux (finalement cinq répartis entre Noël 2008 et le premier janvier 2010) seront diffusés.
En coulisse, le plan média avait été minutieusement préparé. Mais une brochure du Royal Shakespeare Theatre paraît tout à coup, qui annonce que David Tennant sera sur scène pour la prestigieuse compagnie en 2009. Le communiqué doit finalement sortir dans la précipitation et après une semaine de rumeurs...
A cette époque Peter Finchman, contrôleur de la BBC, est au cœur d’un scandale impliquant des images manipulées de la Reine. Dans la pression de cette affaire qui le conduira finalement à démissionner (après qu’il s’y soit initialement refusé), il réagit au communiqué diffusé par sa propre chaîne comme s’il s’agissait d’une information nouvelle. Evidemment, il a été associé à la décision. A cet instant, il est prêt à tout remettre en cause. Au même moment, Davies reçoit les premiers effets finalisés de « Voyage of the Damned »... et éprouve un soulagement supplémentaire quand le Docteur empêche le Titanic spacial de détruire le Palais de la Reine !

Le début d’une nouvelle ère

Le 24 septembre 2007, Steven Moffat doit dîner avec Jane Tranter, directrice de la fiction de la BBC et Julie Gardner. Enfin, Jane, Julie et Russel vont connaître la réponse à la question posée deux mois plus tôt. Steven Moffat accepte de reprendre les reines de la série.
Un mois plus tard, Steven Moffat transmet à Davies le scénario de la première partie du double épisode qu’il doit écrire pour la saison 4. « Silence in the Library » introduit un personnage qui a toutes les chances de jouer un rôle important dans le futur. Comme tout le monde, Davies pressent que River Strong pourrait être l’épouse du Docteur. Il ne demande pas confirmation. Mais le 21 décembre, quand l’actrice qui jouera le rôle signe son contrat, il s’enthousiasme : ‘‘Alex Kingston est la femme du Docteur !’’...

Le 13 janvier 2008, Russel T Davies reçoit un mail de Steven Moffat. Presque en passant, celui-ci glisse : “Autre chose : j’ai commencé. J’ai écris les premières pages de mon premier épisode. Je ne pouvais pas m’en empêcher. C’était comme de l’incontinence. Enfin, j’espère que ce n’est pas complètement comme de l’incontinence.’’
‘‘Il a commencé,’’ s’exclame Davies. ‘‘Je suis de l’histoire ancienne !’’

Casting stars

Être le showrunner de « Doctor Who », c’est aussi vivre de l’intérieur tout ce qu’apporte l’immense popularité de la série. Dans l’ouvrage, Davies confie au jour le jour ses réactions lorsqu’il apprend que Kylie Minogue souhaite jouer dans la série, puis quand son apparition sera officialisée. Au même moment, Davies est aussi en contact avec Dennis Hopper, qui n’apparaîtra finalement pas dans « Voyage of the Damned » car il n’était pas en mesure de se libérer assez longtemps. Celui qui a le plus impressionné Davies dans la distribution de l’épisode de Noël 2007 n’est pourtant pas celui qu’on pourrait croire...
‘‘Russell Tovey interprête l’Enseigne Frame, et c’est mon choix d’acteur favori, parce que c’est un futur grand. Il est incroyable. Je crois que j’en ferai le onzième Docteur...’’

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Russel Tovey
dans « Voyage of the Damned »

Apparitions publiques et médias

Russel T Davies évoque également les difficultés lié au statut de personne publique qu’il doit assumer, près de dix ans après que « Queer as Folk » ait fait de lui un auteur-star, ce que son passage sur « Doctor Who » n’a fait qu’amplifier. Les caméras qui s’alignent pour recueillir les unes après les autres les mêmes non-informations égrenées dans une forme de langue de bois qui semble avoir été inventée pour ces occasions. Les moments embarrassants qui s’enchaînent dans un désemparant désordre : avoir l’air un peu idiot pendant une interview, se sentir vieux et moche devant 500 paires d’yeux qui vous dévorent, apprendre que Russel Tovey n’est pas seul mais venu avec son boyfriend, se retrouver à s’applaudir bêtement soi-même après que quelqu’un ait fait une présentation de vous qui ressemble plus à un discours de béatification, répondre en souriant aux journalistes qui viennent d’écrire que vous ne valez rien, et réaliser que les deux types gay magnifiques avec qui il discute au bar avaient 13 ans à la diffusion de « Queer as Folk ».
Un jour, Davies lit ce qui a été rendu d’un entretien accordé au Guardian. Une autre interview où il est décrit comme gloussant et quasi-muet. Dans celle-ci, il est raconté qu’il n’a pas arrêté de s’accrocher au bras du journaliste et qu’il est passé à deux doigts d’éclater en sanglots. ‘‘Quel tas de m*rde ! Comme si. J’ai lu tellement de ces interviews montées en sauce, maintenant. Je commence presque à suspecter qu’elles soient vraies. Voilà qui donne à réfléchir.’’

L’épisode spécial de Noël 2008 qui ne sera pas

Russel T Davies admire le travail de J.K. Rowling, l’auteure de « Harry Potter ». En 2004, il lui a proposé d’écrire un épisode de la série, ce qu’elle a décliné. A la fin du mois de juillet 2007, Davies vient de lire le tome final de la saga du jeune Sorcier, qu’il a adoré. Et il pense déjà à l’épisode spécial de Noël 2008, qu’il devra écrire six mois plus tard, en janvier. Il se dit qu’ils n’arriveront pas à recruter un acteur qui puisse surpasser la célébrité de Kylie Minogue. C’est alors que les deux idées entrent en collision. Demander à Kowling d’écrire un épisode ? Mais pourquoi ne pas plutôt lui demander d’apparaître dans un épisode : ‘‘On a fait Dickens, Shakespeare, Agatha Christie... Pourquoi les enfants devraient-ils penser que tous les grands auteurs sont morts ?’
Russel T Davies imagine déjà la suite : ‘‘Une froide veille de Noël à Edinburgh. J.K. Rowling avance dans la neige, poursuivie par un journaliste. ‘Qu’allez-vous écrire après Harry Potter ?’
La difficile étape du second album... Un peu plus tard, J.K. s’assied pour écrire. A cet instant, un insecte spatial (peut-être le même que Donna dans le 4.11), probablement mis là par le journaliste à la Rita Seeker, grimpe sur son dos. ZAP !
Le fruit de l’imagination de J.K. devient réel ! Un monde de magie Victorien remplace le monde actuel. Le Docteur arrive et doit batailler dans un monde de sorcières et de magiciens, avec des baguettes et des charmes et des merveilles générées par ordinateur, pour atteindre J.K. Rowling au cœur de tout cela... C’est soit génial, soit plutôt comme un cross-over avec Blue Peter
 [1]. C’est différent et cela mérite d’être essayé.’’

Davies fait immédiatement part de son idée à Julie Gardner qui tente alors d’entrer en contact avec l’auteure. Mais, un mois plus tard, l’idée est en train d’être mise de coté, et Russel Davies revient à son projet initial, mettant en scène des Cybermen dans une Londres Victorienne. En effet, David Tennant n’aime pas l’idée mettant en scène Rowling. ‘‘On se doit de le rendre heureux,’’ explique Davies. ‘‘Lui nous rend heureux.’’ Le scénariste est ravi des rushes qui viennent d’arriver du premier épisode tourné pour la quatrième saison, celui mettant en scène Agatha Christie.

L’épisode spécial de Noël 2008 qui sera

Dans les mails échangés au début de cette année 2008, Russel T Davies en révèle donc plus, alors que cet épisode est en train de prendre sa forme définitive. Si vous souhaitez aborder l’épisode de Noël prochain vierge de toute information, ne lisez pas ce dernier paragraphe.

‘‘Des Cybermen, l’ère victorienne, un combat à l’épée sur le toit avec des Cybershades (sorte de semi-cybermen avec un tête d’androïdes sur un corps enveloppé de robes noires flottant au vent), des enfants esclaves... Ce sont tous les éléments d’histoire normaux. Mais le vrai cœur se trouve au début : le Docteur arrive, entend une demoiselle en détresse, s’avance pour la sauver... quand cet autre homme (qui sera joué par David Morrissey) arrive, fougueux, brillant, étonnant, intelligent, plein d’esprit et s’occupe de tout. Le Docteur demande : ‘Qui êtes-vous ?’ L’homme répond : ‘Je suis le Docteur !’
Le Docteur devient son compagnon. J’aime bien ça. Il y aura une jolie femme, bien sûr, mais c’est vraiment l’histoire du Docteur avec un nouveau Docteur’’

« The Two Doctors », « The New Doctor », « The Next Doctor » ? En mars, Russel Davies s’interroge encore sur le titre à donner à cette histoire. En tout état de cause, Davies a découvert pendant l’écriture que ce cœur dramatique a pris de plus en plus le pas sur l’histoire en toile de fond impliquant les Cybermen. Cela lui demande du travail pour que le tout reste cohérent, mais il est satisfait de cette évolution.
Quel que soit son titre, cet épisode sera à découvrir le 25 décembre prochain sur BBC1.


« Doctor Who : the writer’s tale »
Par Russel T Davies et Benjamin Cook
Publié chez BBC Books, le 25 septembre 2008.

Dernière mise à jour
le 17 février 2011 à 00h17

Notes

[1Une émission pour enfants de CBBC.