NÉS EN 68 - Parties 1 & 2 • MINI-SERIE
40 années de militance. Et ça continue...
Par Sullivan Le Postec • 25 octobre 2008
Mini-série de 2x90 minutes, « Nés en 68 » s’interroge sur les répercussions des événements de mai 1968 jusqu’à quarante ans plus tard...

Olivier Ducastel et Jacques Martineau, scénaristes et réalisateurs, signent une fiction éminemment politique, mais qui ne s’intéresse à celle-ci que du point de vue du citoyen. Sortie en salle dans une version raccourcie d’une demi-heure, la mini-série revient avec nostalgie sur l’héritage de mai 68, quelques mois après une campagne dans laquelle le vainqueur a revendiqué en vouloir la liquidation…

Olivier Ducastel et Jacques Martineau, les deux scénaristes-réalisateurs, sont connus pour leur travail au cinéma : « Jeanne et le garçon formidable », « Un drôle de Félix », « Coquillage et crustacés », « Ma vraie vie à Rouen ». Ils constituent un exemple quasi-unique en France de cinéastes homosexuels, au sens ou ils assument sans hypocrisie la manière dont leur cinéma est façonné de manière essentielle par cette composante de leur personne. On notera par ailleurs la place majeure du Sida au sein de leur œuvre. Elément central de « Nés en 68 », celui-ci l’était déjà dans « Jeanne et le garçon formidable » et « Drôle de Félix ». Sur ce point, on se permettra d’enlever le quasi devant unique.

A propos de « Nés en 68 », évacuons un problème d’emblée : Ducastel et Martineau renouent avec un travers auquel ils nous ont habitué. C’est à dire enchaîner constamment, sans avoir l’air de remarquer la différence, une scène bouleversante de justesse et de sensibilité, et une autre catastrophique de lourdeur, d’irréalisme et aux dialogues si faux qu’on s’en arracherait les oreilles. C’est la même chose avec la direction d’acteur (en même temps certains dialogues sont pour le coup vraiment injouables et sont sûrement plus à blâmer que les comédiens ou la mise en scène). Rare sont les acteurs à maintenir une justesse égale d’un bout à l’autre de « Nés en 68 ».

Pour autant, la mini-série reste très touchante. D’autant plus qu’elle bénéficie d’apparaître finalement à la télévision, un mode de diffusion plus adapté à son traitement de l’Histoire par l’intime et le destin d’une famille de personnages. Dommage cependant qu’Arte ait choisi de diffuser les deux parties à la suite l’une de l’autres. D’autant plus que celles-ci ont été conçues comme suffisamment séparées pour se prêter idéalement à une diffusion à une semaine d’intervalle.

« Nés en 68 » est un film sur le militantisme, sur le combat, sur ses joies et ses profondes désillusions. Il commence quand un trio de vingtenaires nait à la vie sur les barricades de 68 et se termine quand les mêmes, après une vie tiraillé entre la tentation de la compromission et celle de la radicalité totalitaire, assistent en 2007 à l’élection de celui qui promet d’en liquider l’héritage. Entre temps, on aura vu leurs enfants avoir vingt ans eux-mêmes, et se battre à leur tour, loin d’être épargnés, ni par les contradictions de leurs aînés, ni par la violence de leur époque.
« Nés en 68 » offre un raccourci saisissant qui résume son propos avec intensité, un parallèle entre deux scènes : dans les années 70 Catherine et d’autres femmes de sa communauté hippie font un sit-in joyeux et chantant pour revendiquer le libre usage de leur corps, le droit à l’avortement. Vingt ans plus tard, au début des années 90, Boris, son fils homosexuel et séropositif, militant à Act-Up fait un die-in, allongé sur le bitume dans un silence de mort pour réclamer que le tabou de la sexualité, qui n’a pas été levé, ne condamne pas les malades du Sida à l’abandon, et donc à la mort.
De fête pleine d’enthousiasme et d’utopie, la militance est devenue une désespéré contre le silence et la destruction.

Plus généralement, le film n’élude pas le paradoxe et les évolutions de la contestation, par exemple dans cette jolie scène ou le père libertaire et attaché à l’amour libre peine à comprendre ce fils qui milite, en tant que gay, pour avoir le droit au mariage et à la parentalité.
Limiter le mariage et la fidélité à des concepts bourgeois et se les interdire, où bien en changer la nature en dynamitant de l’intérieur leur nature normative ? Deux manières de remettre en cause les pressions castratrices que la société fait peser sur les individus, mais deux manières qui s’opposent et ne se comprennent pas.

La seconde partie est la plus réussie. La première couvre les années 68 à 81, et la deuxième la fin des années 80 à 2007.
Amusante, mais parfois presque agaçante parce qu’elle se laisse un peu trop aller à la facilité et sonne souvent faux, la première partie suit la tentative hippie de fonder une communauté libertaire et égalitaire sur une colline du Lot.
La seconde traite du sujet bien plus original de l’héritage de 1968 après deux puis trois décennies. Contrairement à la première, elle a l’avantage de sentir le vécu, et bénéficie aussi du jeu sensationnel de Théo Frilet (qu’un directeur de casting intelligent doit de toute urgence caster dans le rôle du petit frère de Nicolas Gob). Laëtitia Casta elle-même se montre très juste. Volontairement, Ducastel et Martineau ont choisi une voie minimaliste en ce qui concerne le vieillissement des acteurs : il s’agit plus de suggestion que d’effets de maquillage. Cela fonctionne assez bien le plus souvent, même si quelques scènes, par exemple celles au coin du feu où la lumière met en valeur la jeunesse des comédiens, ne parviennent pas à convaincre.

Ducastel et Martineau sont loin d’éviter le mythe un peu romantique du militant flamboyant, ils n’ont pas été proches d’Act-Up, racontée avec beaucoup de bienveillance, pour rien. Mais ils le font au moins avec un certain recul. Deux scènes en témoignent tout particulièrement. La première montre Yves évitant le service militaire grâce au piston du père de Catherine. Le militaire de l’autre coté du bureau lui déballe alors qu’il n’a pas plus envie que lui d’y être, mais qu’il n’avait pas ses réseaux, ni surtout son refus absolu de risquer de se salir les mains : ‘‘je ne veux pas laisser le pouvoir aux salauds,’’ dit il. L’autre présente la rencontre de Boris, engagé à Act-up, avec un militant de Aides après que les deux aient été arrêtés, Boris s’étonnant que son confrère ait pu s’engager au point de finir dans le panier à salade.
« Nés en 68 » a aussi la capacité de poser des questions justes sur le sens de l’engagement, ses paradoxes, ses dérives, et le sacrifice de soi qu’il exige. L’image finale ne laisse aucun doute — et c’est très bien comme ça — sur le sens de son message :

‘‘Ce n’est qu’un début, le combat continue.’’

Post Scriptum

« Nés en 68 »
Arte / Les Films Pelléas
Scénario : Olivier Ducastel et Jacques Martineau avec la collaboration de Catherine Corsini, Guillaume Le Touze et François-Olivier Rousseau
Réalisation : Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Avec : Laetitia Casta, Yannick Renier, Yann Trégouët, Christine Citti, Marc Citti, Théo Frilet, Edouard Collin...