AVANT-PREMIERE — Borgen, épisodes 1 & 2
Le Danemark fait son « West Wing »
Par Sullivan Le Postec • 5 février 2012
Les séries politiques sont rares sur les écrans. La politique, c’est une matière fantastique, mais qui n’est pas facile à apprivoiser par la fiction, pas facile à dramatiser. Le Danemark s’y essaie avec succès dans « Borgen »

Si je vous dis série politique, vous me répondez « The West Wing » / « A la Maison Blanche » le chef d’œuvre du genre est connu de tous (même si, en France, il n’a pas forcément été aussi vu que cela). Mais c’est aussi une série dans l’ombre de laquelle la fiction politique a du mal à exister. Difficile de trouver sa voie quand existe une référence aussi intimidante. Difficile, aussi, de mettre en scène une vision plus européenne de la politique, c’est-à-dire un peu plus psychologiquement nuancé.

Alors des séries politiques, il y en a eu peu. Il y a les exemples anglais (de « Party Animals » à la satirique « The Thick of It »). Il y a eu quelques tentatives peu concluantes américaines (« Commander in Chief »). En France, il y a eu le hors-sujet « L’Etat de Grâce » mais surtout l’excellente « Reporters ». Aujourd’hui, le Danemark, qui nous avait déjà offert « The Killing » l’année dernière (un remake américain pour AMC a été produit) s’essaie au genre avec « Borgen », qui compte 20 épisodes pour ses deux premières saisons. Nous avons vu les deux premiers, et c’est effectivement une réussite. La série arrive sur Arte dès jeudi 8 février.

Une élection surprise

Nous sommes à trois jours des élections générales. Notre héroïne est Birgitte Nyborg, la leader du Parti Modéré, sorte de Modem local. Les élections Danoise se jouent au centre, et le Parti Modéré peut souvent faire le gagnant suivant les alliances. En effet, les différents partis élus au parlement forment ensuite une majorité via une coalition qui décide du Premier Ministre. Le Parti Modéré mène campagne au coté du Labour, l’opposition au Premier Ministre conservateur au pouvoir. Mais le leader du Labour fait soudain dans les médias une déclaration électoraliste et populiste, par crainte de voir trop de voies partir vers le Freedom Party, un parti populiste de droite xénophobe. Le premier ministrable du Labour se déclare ainsi pour l’enfermement des réfugiés politiques qui arrivent dans la pays, et pour qu’il leur soit interdit d’obtenir un travail au Danemark. Apprenant ces propos en pleine interview en direct, Birgitte Nyborg déclare que s’ils sont avérés, la coalition avec le Labour ne sera plus possible, au grand désespoir de son spin-doctor.
Dans le même temps, le Premier Ministre a des difficultés avec sa femme, qui passe son mal-être alors qu’elle l’accompagne à Londres en achetant pour 12000 dollars dans une boutique. Mais sa carte est refusée. Son mari arrive sur place, n’ayant sur lui que sa carte officielle avec laquelle il est donc obligé de régler l’achat. Il produit du même coût un reçu explosif, qui va faire irruption dans la campagne électorale.
Mais le peuple danois rejette autant le Premier Ministre sortant que le leader du Labour qui a dénoncé cet achat de manière extrêmement agressive lors du dernier débat télévisé. Le Parti Modéré se retrouve donc en tête, à la surprise générale. Mais Birgitte Nyborg, qui ne s’imaginait pas première ministrable trois jours avant les élections, va-t-elle réussir à former autour d’elle une coalition pour arriver au pouvoir ?

« Borgen » est ambitieuse et relativement novatrice dans son traitement de la politique. Son premier épisode fait d’ailleurs peu de concession avec le public qui connaîtrait peu ou mal le système politique local.

De manière amusante, la série se base sur un postulat qui n’est pas si éloigné que cela de « L’Etat de Grâce » : en effet, Birgitte Nyborg va devenir la première femme Première Ministre Danoise, et elle a un profil un peu atypique par rapport aux politiques traditionnels. Mais là où la série de France 2 traitait cela de manière complètement irréaliste et pour tout dire ridicule, « Borgen » s’attache à rester crédible.
D’abord parce que Birgitte Nyborg reste une femme politique, même si son profil est un peu décalé. Ensuite, son accession surprise au pouvoir est longuement justifiée par une série de rebondissements.

C’est clairement là que le bas blesse dans l’épisode pilote : la volte-face du leader du Labour, la crise de la femme du Premier Ministre et son achat illégal, ainsi que la mort du Directeur de Cabinet du Premier Ministre, qui permet à la facture de circuler, se passent tous au même moment, à trois jours des élections. Le rythme enlevé, la crédibilité des personnages de la description du système en place fait un peu passer ces coïncidences qui confinent à l’invraisemblance, mais cela reste quand même beaucoup.
Heureusement, le deuxième épisode donne l’impression que ces scories étaient bien un passage obligé pour permettre l’élection d’une héroïne au profil atypique pour un élu à ce niveau de responsabilité. Il se concentre en effet intégralement sur les tractations en coulisse pour former la coalition et décider de qui sera Premier Ministre. Birgitte Nyborg part avant l’avantage de sa large majorité en sièges, mais avec l’avantage de son inexpérience et risque donc de succomber à un bluff tactique de ses adversaires.

Une analyse politique pertinente

Avec les élections et les tractations pour la formation du gouvernement, ces deux épisodes se focalisent forcément davantage sur la politique politicienne que sur les idéaux ou les grands sujets politiques concrets. Néanmoins, la série laisse déjà entrevoir qu’elle situe son propos politique clairement dans le grand clivage politique de notre temps, montrant donc que ses auteurs semblent analyser avec pertinence la situation actuel.
Nous sommes en effet à une charnière entre deux grandes générations politiques. La génération déclinante est celle de la revendication par le conflit et l’affrontement, héritière du marxisme et des conflits politico-sociaux qui se sont produits à travers le monde dans les années 60 et 70 (mai 68 en France). Mais les plus jeunes, en gros les moins de trente ans, abordent aujourd’hui la politique avec un état d’esprit complètement différents : ils supportent de moins en moins les clivages entretenus dans une forme de violence, au moins, verbale. Ils prônent la conciliation, la réunion des intelligences collectives autour de l’intérêt général. C’est ce mouvement politique de fond, et mondial, qui porta Obama en pouvoir dans un pays, les Etats-Unis d’Amérique qui abritent une très grosse proportion de jeunes dans sa population. Tant pis pour certains activistes plus âgés qui trouvaient, et continuent d’autant plus aujourd’hui de trouver, Obama trop mou dans ses prises de positions.

Mais le paysage est complètement différent en Europe, ou le vieillissement général des populations est un phénomène général qui ne va que s’aggraver dans les quelques décennies à venir. Ici, ce sont les personnes âgées qui font les élections, selon des grilles de lectures parfois héritées d’un autre monde. D’où un sentiment chez les jeunes d’une absence totale de prise en compte de leurs aspirations par le champ politique.
L’élection très particulière de « Borgen » permet à cette élue atypique qui tient ce discours conciliateur de s’imposer alors que les deux principaux Premier Ministrables se sont mutuellement détruits en poussant trop loin la culture du conflit et de l’affrontement. Dans le second épisode, on continue de voir que Birgitte Nyborg agit selon un logiciel politique complètement étranger aux apparatchiks des représentants du système. Il sera très intéressant de voir où elle amènra ce conflit dans ses futurs épisodes, une fois que le gouvernement en place sera amené à traiter de questions politiques concrètes.

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Les personnages

La réussite de « Borgen » tient pour beaucoup à ses personnages, excellemment joués. Birgitte Nyborg est extrêmement attachante, et le couple qu’elle forme avec son mari (qui n’est pas sans rappeler la dynamique des Taylor de « Friday Night Lights », sauf que c’est elle qui a la place exposée) est extrêmement intéressant et offre à la série une ancre émotionnelle qui lui sera probablement très bénéfique.

On citera aussi la figure du leader populiste du Freedom Party, traité de manière intéressante par les scénaristes qui en font une sorte de vieux monsieur iconoclaste mais étrangement sympathique dès lors qu’il parle d’autre chose que de ses idées politiques — il s’avèrera d’ailleurs à l’origine d’un conseil utile à Birgitte Nyborg dans le deuxième épisode, lorsqu’il lui suggère d’occuper symboliquement le pouvoir dans les négociations, elle dont le premier instinct est de traiter d’égal à égal avec ses interlocuteurs. Il y a aussi le spin-docteur de Nyborg, force de propulsion de la candidate qu’il essaie (sans trop de succès) de convaincre de renoncer un peu à ses idéaux en faveur de la stratégie politique – au risque d’aller trop loin. Et puis la ‘‘vieille’’ journaliste de la télévision, virée à la veille de l’élection pour cause d’alcoolisme, mais qui se révèle clairement comme la meilleure journaliste de cette rédaction, capable mieux que n’importe qui d’autre de décrypter les signes émis parles coulisses du pouvoir et d’en deviner juste la signification.

Ces personnages et quelques autres composent une galerie qu’on a très envie de suivre. « Borgen » arrive dès jeudi prochain, 8 février, en première partie de soirée sur Arte.

Post Scriptum

« Borgen ». Le Gouvernement
Danemark, 2010.
Ecrit par Adam Price ; réalisé par Søren Kragh-Jacobsen.

Sur Arte à partir du 8 février 2012.

Dernière mise à jour
le 5 février 2012 à 09h21