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« Black Books » [1] raconte le quotidien d’un bouquiniste, Bernard Black. Chez lui point d’envie de partager sa passion des livres, pas de volonté de gagner vraiment de l’argent, aucun sens de la vente ni de la façon de tenir les rênes d’un magasin. En fait, la seule chose que Bernard passe son temps à faire, c’est boire (en grande quantité et surtout du vin), insulter ses clients et discuter avec la patronne d’un magasin de déco juste en face, Fran, sa seule amie.

Lorsque la série débute, c’est pour nous conter la rencontre entre Bernard et Manny, sorte d’hurluberlu hirsute et barbu rongé par le stress et qui déteste son boulot. Manny vient chez Bernard afin d’y acheter « Le petit livre du calme ». Suite à une série de quiproquos bien amenés (Bernard perd son comptable, Manny est viré, avale le petit livre du calme, devient un gourou pacifiste...), Manny est embauché par Bernard. Pour être son assistant. Et s’occuper des comptes. Et du ménage. Et de préparer les repas. Et de s’occuper des clients. En gros, travailler à sa place.

Affreux, sales, et potentiellement méchants (surtout Bernard)

Bernard Black est le point d’ancrage de cette série. Il est donc d’emblée détestable, ne fait aucun effort pour se rendre sympathique, et quand c’est le cas, il adopte une gestuelle et un phrasé qui peut provoquer chez son interlocuteur une violente envie d’appeler les forces de l’ordre. Pour ne rien gâcher, il est sale. Très sale, ses tentatives d’embellissement cosmétique se résumant à un brossage de dents avec la brosse des toilettes. Bernard ne gère pas son magasin, refuse l’idée même de vendre des livres (parce qu’après il faut en recommander), a une notion toute personnelle du marchandage (80% du prix, 80% du livre) et ne possède qu’une seule amie, Fran. Black est interprété par Dylan Moran, comique anglais génialissime. Moran démarre sa carrière d’humoriste début 90 après avoir quitte l’école à 16 ans et passé quatre années à boire et écrire de la mauvaise poésie. Il accumule prix et récompenses pour ses one-man-shows. Il se retrouve propulsé à la télé dans la série « How do You Want me » pour la BBC en 98-99 et enchaîne avec la création de « Black Books » . Moran prétend que la création de Bernard Black s’inspire d’un personnage réel. « Il avait l’air d’avoir avalé une tasse de lait caillé tout en s’urinant dessus. Il avait le teint vert et bileux, des années de mécontentement avaient façonné son visage », dit Dylan à son propos. L’inconnu appréciera.

Manny Bianco est le souffre douleur de Bernard. Sa Cosette avec une barbe et des chemises à fleur. Manny est l’incarnation du relax, du cool. Pas très malin, mais sympathique, il gagne sa place à Black Books alors que Bernard est complètement saoul. Alors qu’il ne s’en souvient plus, Bernard est forcé par Fran de l’embaucher, elle qui pense que Manny aura une influence positive sur Bernard. C’est vrai que la mentalité de Manny est à l’opposé complète de Black. Joyeux, positif, motivé, il va essayer tant bien que mal de faire de la boutique de Bernard un endroit un peu plus agréable. Manny est interprété par un autre comique anglais génial, Bill Bailey. Une sorte de touche-à-tout multitâche, comédien, musicien, showman avant tout. Et drôle. Dans les années 80, il fut le guitariste du groupe The Famous Five (qui comprenait quatre membres), où il tentait de placer des blagues entre les morceaux. Un échec qui le mena au one-man-show et à la carrière de comique. A la télé, il fut le show-runner de « Is it Bill Bailey », émission à skecthes, joua dans « Spaced » en tant que patron du personnage principal avant d’être associé à Dylan dans le projet « Black Books » .

Fran Katzenjammer (qui en allemand veut dire gueule de bois, tout un programme) est la seule amie de Bernard Black, une compagne de beuverie qui tient accessoirement un magasin de déco juste en face de Black Books. Un magasin où potentiellement, on peut être aussi bien servi que chez le bouquiniste étant donné que Fran elle-même ne sait pas ce qu’elle vend. Fran est célibataire, alcoolique, et tente parfois (désespéramment) d’améliorer son niveau de vie, que Bernard arrive à faire retomber très vite dans le vin et les lendemains de cuite difficiles. Tamsin Greig incarne le personnage à la perfection. Pas vraiment jolie, gauche et maladroite, dénuée de tout sens de la séduction, elle balade son allure dégingandée, coincée entre Bernard et Manny. Elle possède un très fort sens comique, aussi bien dans son phrasé que sa gestuelle. Actrice de télé, Tamsin obtient avec « Black Books » son premier vrai rôle majeur et récurrent dans une série.

3 saisons et puis s’en va

« Black Books » comporte 3 saisons de 6 épisodes réalisés dans la plus pure tradition du sitcom anglais. Tournage en studio et multi caméra, présence de public, donc de ses fous rires. Mais la formalité très basique de la série n’enlève rien à ses qualités : les dialogues sont excellents et les situations burlesques et nonsensiques à souhait.
Les épisodes à ne pas manquer sont assez nombreux. Le pilote, « Cooking the Books » - 1.01, nous présente un Bernard Black qui vient de perdre son comptable pour de sombres problèmes juridiques. Se retrouvant obligé de faire ses comptes, le voir lire sa déclaration et tenter de comprendre ce que les termes juridiques veulent dire est immanquable. Il se retrouve obligé d’embaucher Manny, qui a récemment ingurgité et assimilé « le petit livre du calme » et qui sort des phrases profondes telles que « Mettez une goutte de lavande dans du lait, quittez la ville en blanc et orange, et prétendez en rire ».
« Grapes of Wrath » - 1.03, raconte comment Manny embauche un nettoyeur pour s’occuper du magasin, car comme il le dit « Je suis en train de manger des œufs brouillés dans une chaussure avec un peigne ! ». Manny et Bernard sont forcés d’aller vivre chez un ami de ce dernier en attendant. Un ami qui possède une belle collections de vins très coûteux auquels il ne faut pas toucher. Vous imaginez la suite.
« The Blackout » - 1.04, est à voir pour Manny, dopé aux expressos, pris pour un policier alors qu’il poursuivait un voleur, qui finit par interroger un suspect aux côtés d’un vrai flic, jouant sur le classique bon flic-mauvais flic et aller beaucoup trop loin dans son rôle de bon flic.
« The Entertainer » - 2.01. Manny nous montre qu’on peut jouer du piano, de l’intérieur de l’instrument, avec des cuillers.
« Fever » - 2.02, juste pour entendre Bernard déclamer « Elle sera ma petite amie pour l’été. Elle aura des cheveux. Et des amis estivaux qui sauront comment s’amuser dehors. Elle... elle fera du tennis et portera des robes et sera pieds nus. Et à l’automne, je la larguerai, parce que c’est ma petite amie pour l’été. »
« Blood » - 2.04, où quand Manny transforme Black Books en magasin de livres à la mode avec du café, des tables et des canapés qui mangent des humains. Et quand Bernard attrape la folie des grandeurs et se décide d’en faire un restaurant.
« A Nice Change » - 2.06. Un départ en vacances chaotiques à cause du magasin d’à côté qui réalise des travaux. Où comment, lorsqu’on veut économiser de l’argent, on se retrouve à passer plus de temps dans les aéroports qu’en vacances même.
« Manny Come Home » - 3.01, montrant Manny travaillant dans le magasin de livres d’à côté, tenu par Simon Pegg, la star de « Spaced ».
« Elephant and Hens » - 3.02, peut-être le meilleur épisode de la série. Alors que Fran se rend à une réunion avec d’anciennes copines d’écoles qui vire au règlement de compte alcoolisé, Manny et Bernard décident d’écrire un conte pour enfant. « Voilà l’éléphant. Il est content, il a un ballon. Oh, non ! il a disparu. Où est il ? Pas derrière le Rhinoceros ! Regarde dans la gueule de l’Alligator. Pas là non plus ! Oh ! Le singe dans l’arbre l’a ! Il le rapporte, et ils boivent de la limonade »
« Moo-ma and Moo-Pa » - 3.03... les parents de Manny viennent lui rendre visite.
« Party » - 3.06. Manny, Bernard et Fran se rendent à une fête où Manny semble attiré par une fille.

Comment ça marche ?

« Black Books » , c’est donc une sitcom dans le plus pure style anglais. Les amateurs d’« Absolutely Fabulous », de « Father Ted » ou à un degré moindre de « Bottoms » s’y retrouveront. Les protagonistes partagent ce goût immodéré pour l’alcool. Pas forcemment pour son goût, mais plutôt pour les effets qu’il provoque.
Bernard Black passe son temps à être soit extrèmement désagréable parce qu’il n’a pas bu, soit encore plus désagréable parce qu’il a bu. Les tentatives malheureuses de Fran pour améliorer son style de vie ne son que des passades et elle retombe très vite dans ses travers. Quand à Manny, si on ne le voit pas tant boire que ça dans la série, c’est surtout parce qu’il ne semble pas en avoir besoin pour avoir l’air d’un parfait imbécile.
Voir ces trois losers se mettre dans des situations impossibles et souvent non-sensiques est un régal pour les yeux et les zygomatiques.
Au niveau de la structure, les personnages évoluent peu, sauf peut-être Fran, qui va changer de boulot en vendant sa boutique. Mais les rapports resteront les mêmes entre eux. S’il est possible de regarder les épisodes dans le désordre, la saison 2 se termine quand même par un cliffhanger. Les scénaristes ne se posent pas foule de questions sur la cohérence (dans le pilote, Manny est comptable, dans la saison 3, on apprend qu’il connaît des gens du « milieu » pour l’avoir fréquenté). Ils cherchent plus à déclencher le rire, peu importe les moyens mis en œuvre.
La seule pointe de déception qu’on peut ressentir, c’est cette fin de série un peu queue-de-poissonesque. L’épisode « Party » - 3.06, au demeurant excellant, n’apporte aucune conclusion sur les personnages, aucun sentiment de clôture ne ressort. On a tout sauf l’impression d’assister au dernier épisode, alors que les créateurs savaient pertinemment que ce serait le cas. Ou alors s’agit-il d’un moyen supplémentaire de nous faire comprendre que, malgré la forme très conventionnelle de la série, les régles ont tout de même été transgressées dans le fond.

Où sont-ils ?

« Black Books » fut un franc succès sur Channel 4 (Canal + a diffusé la série pour la France). Ses comédiens en profitèrent. Bill Bailey continue d’être un excellent comique scénique, a fait la voix d’une baleine dans “H2G2” et jouera dans “Hot Fuzz”, prochain film avec Simon Pegg.
Tamsin Greig joua par la suite dans un épisode de « Dr.Who », a eu un rôle régulier dans « Love Soup », une série humoristico-romantique, et fut surtout une des têtes d’affiche de « Green Wing », série médicale farfelue ayant duré deux saisons. Une valeur sûre de la télé anglaise, donc.
Dylan Moran enchaina « Black Books » avec un rôle complètement délirant de gynécologue dans « A Cock and Bull Story » et sera à l’affiche de “Run, Fat Boy, Run”, sous la direction de David Schwimmer et aux côtés de Simon Pegg (et oui, encore lui).

« The End.
I’m Gonna Read it again ! » Manny Bianco (ep. 3.02 - « Elephants and Hens »)