BRAQUO - Saison 1
On ne rigole plus
Par Dominique Montay • 9 octobre 2009
Sombre, désabusée et à l’ambiance pesante. Voilà les premières impressions qu’on ressent en plongeant dans « Braquo », création d’Olivier Marchal. Pour autant, un auteur talentueux et un univers graphique marqué font-ils une bonne série ?

« Braquo » ouvre la saison 2009-2010 des créations maison de CANAL+, après une saison qui a vu, entre autres, « Mafiosa » triompher, et « Reporters » mordre la poussière. « Braquo », c’est une série de flics très noire, un genre déjà présent dans la grille de CANAL, avec « Engrenages ». Mais à la tête de « Braquo » se tient un auteur à succès, au cinéma comme à la télé, qui dirige les 8 épisodes. De la plume pour la totalité (avec une équipe de scénaristes), de la caméra pour les 4 premiers. Et forcemment, « Braquo » est l’illustration, dans le bon comme le moins bon, de l’univers d’Olivier Marchal.

Max est chef de groupe à la PJ. Sous ses ordres, Eddy Caplan, Théo Vachewski, Walter Morlighem et Roxanne Delgado. Max va déraper, interrogeant de façon trop musclée un suspect dans une affaire de viol. Calomnié, trainé dans la boue, lâché par ses supérieurs, Max se donne la mort et déclenche une envie de vengeance et de ne pas respecter les règles dans son groupe. Et vu leurs méthodes habituelles, ils n’avaient pas besoin de ça pour franchir la ligne jaune.

La fine équipe

Olivier Marchal a du talent pour diriger ses comédiens. Un métier qu’il connaît et qu’il pratique avec beaucoup de savoir faire. Alors pour « Braquo », il a monté un casting en béton, fait de gueules cassées qui n’auraient pas dépareillés dans ces polars qu’il affectionne tant. Jean-Hughes Anglade est en contre-emploi total et s’en sort plutôt avec les honneurs, même si son personnage n’est pas écrit, suite à une volonté d’Olivier Marchal d’en faire quelqu’un dont on ne connaît rien. L’épaisseur de Caplan, Anglade lui donne au fil des épisodes, mais il faut attendre une demi-saison pour ça. Joseph Morligem, qui interprête Walter, la grande brute cabossée, qui a des problème de jeu, deux enfants et une femme malade, est souvent touchant. Duvauchelle (Vachewski), après des débuts assez fracassants rentre un peu dans le rang à mesure que son personnage de drogué fêtard un peu tête brûlé devient un taciturne queutard qui balance de temps à autres une insulte assez grasse. Karole Rocher se sort à merveille d’une rôle pas évident de flic en dépression, malgré le statut assez bâtard de son personnage, toujours entre deux feux et jamais vraiment dans le cœur de l’action.

Le groupe des quatre fonctionne plutôt bien, et on pourrait presque étendre ça à tout le casting si des soucis de dialogues ne venaient pas gâcher le plaisir. Si la truculence de certaines lignes est assez savoureuse, si le ton général est assez juste, on se serait passé des longues tirades existentialistes qui, souvent, n’apportent rien de plus que les images, et qui parfois, font assez mal aux oreilles, la faute à un texte trop respecté et pas assez mis en bouche. Parler avec un langage si peu châtié et cependant respecter les liaisons et tout articuler avec attention, ça détonne.

Flics ou voyous ?

« Braquo » est assez intrigant et fascinant lorsque Marchal parle de son ancien métier. Quand il nous conte les histoires de ces hommes et de ces femmes qui n’ont finalement que peu de différences avec ceux qu’ils pourchassent. Même langage, mêmes codes vestimentaires, mêmes mauvaises fréquentations, mêmes addictions. Une scène à extraire. Afin d’obtenir des informations, Vachewski se rend dans un bar fréquenté par des malfrats. Ne s’annonçant pas flic et rentrant dans le lard d’un des client, il se fait rouer de coup comme n’importe quel autre petite frappe. La séquence traduit à elle seule l’invisibilité de la ligne qui sépare les deux mondes. Si facile à franchir, à oublier.

Pourquoi avoir comparé « Braquo » à « The Shield » ? Qu’avait en tête Olivier Marchal ? L’envie d’allécher ? D’assoir son assurance ? Alors oui, ça parle de flics ripoux. Oui, ça se situe dans un endroit assez surprenant pour un commissariat (et un peu improbable, en passant). Oui, c’est parfois choquant, à la limite du montrable. Mais non, ça n’est pas « The Shield ». Ni à la française, ni à autre chose. « The Shield », une œuvre monumentale de 7 ans qui a revisité, réinventé certains codes du Cop-Show à l’américaine en les pervertissant. Comment se réclamer de ça ? C’est se tirer une balle dans le pied. En appuyant la comparaison, Olivier Marchal la provoque, une attitude étrange dans une fiction française qui souffre déjà de cette comparaison systématique dans la bouche du téléspectateur lambda. La comparer à un Western classique aurait été plus correcte. On y retrouve les thèmes du paria, cette réalisation proche des visages, ce ton désabusé et sombre, cette volonté de faire du hors-la-loi un héros.

Mon ripoux, ce héros

Durant toute la saison, Olivier Marchal le dit, le répéte, ce qu’ils font, ils ont raison de le faire. Plutôt que d’être mis au piquet, ils devraient être portés aux nues. Mais pourquoi ? Qu’y a-t-il de si héroïque dans leur progression ? Ils semblent plutôt essayer de sauver leur peau alors que tout s’écroule autour d’eux. Est-ce réellement héroïque ? Ou juste la nature humaine ? Le problème de « Braquo », c’est aussi un problème de contrepoids. D’un côté, les "gentils" du groupe Caplan, de l’autre les "méchants" de Vogel. Au milieu... presque personne, à part peut-être Michelle Bernardi (Isabelle Renauld) la comissaire principale et surtout Valérie Borg (l’excellente Laëticia Lacroix), flic de l’IGS terriblement humaine, et qui jusqu’au bout aura comme souci d’être intègre. Coincée entre ces deux forces qui s’opposent mais qui usent des mêmes méthodes expéditives et répréhensible, elle semble hélas un peu seule.

« Braquo » a la fâcheuse tendance à mettre la logique de côté quand ça l’arrange. Dans l’épisode 1, Louis Bordier (Denis Sylvain), le commissaire principal annonce sa mutation dans le sud et son départ prochain. Il assène avec force et assurance "En regard aux évènements (le suicide de Max Rossi), il n’y aura ni pot d’arrivée, ni pot de départ". Et que se passe-t-il en fin d’épisode 4 ? Un pot de départ dont l’utilité est assez secondaire dans l’intrigue, voir inutile. Par la suite, un personnage secondaire annonce avec fracas s’en aller "demain très tôt" pour fuir les évènements. Et ce personnage d’être présent plusieurs jours après, sans explications.

On regrettera enfin, de façon très cosmétique, ce cliffhanger magnifique de fin d’épisode 1, un de ces moment qui nous font dire, nous spectateur "mais comment vont-il s’en sortir ?", mais qui se retrouve placé pour des raisons totalement incompréhensibles en tout début d’episode 2, quand la vraie fin du 1 est en comparaison assez molle.

Un final courageux

Et on saluera le courage des auteurs de « Braquo », et ce parti prix risqué de faire, pour le coup, une réelle fin de saison en cliffhanger pur. On a , du coup, l’impression d’avoir réellement assisté à un premier opus, quand tant de séries françaises (à raison, souvent), ont tendance à fermer beaucoup de portes et à préparer le terrain à une éventuelle annulation. Olivier Marchal aurait-il reçu l’assurance de CANAL+, lors de l’écriture, de l’existance d’une seconde saison, ou Marchal a-t-il simplement pris l’option du risque ? Les habitudes françaises de renouvellement de séries et la personnalité de Marchal donnent la réponse assez rapidement.

« Braquo » débarque Lundi 12 octobre sur les écrans de CANAL, et le moins que l’on puisse dire, c’est que tout à été fait pour qu’elle soit vue. On l’a stigmatisé par le passé assez suffisamment pour reconnaitre quand c’est bien fait. La promo et la comm’ autour de « Braquo » est un modèle du genre. Site web dédié, pubs sur les autres chaînes, 4x3 dans les rues. Le travail est en tout point remarquable et, on le souhaite, doit devenir le point de départ de la révolution que doit entreprendre CANAL pour la promotion de ses oeuvres.

Noir c’est très noir

« Braquo ». Étouffante. Sans respiration réelle et c’est sûrement là son plus grand problème. La pesanteur de l’histoire, la noirceur de ses personnages pour lesquels il est très difficile de ressentir la moindre empathie finissent par être très difficile à encaisser, surtout quand on pense à la logique des deux épisodes diffusés à la suite de CANAL. Ceux qui aiment Olivier Marchal de façon inconditionnelle se retrouveront dans « Braquo » et dévoreront le tout avec un grand appétit. Car sans en avoir le terme, Olivier Marchal est le showrunner de « Braquo », la raison de sa réussite ou de son échec, seul maître à bord. Une vision d’artiste en résumé. Qu’on adhère ou non.


Et vous, qu’en avez-vous pensé ? Rendez-vous sur le forum.

Post Scriptum

« Braquo »
Canal+ - Saison 1, 8x52’
Produit par : Claude Chelli, Hervé Chabalier pour Capa Drama
Créée par : Olivier Marchal
Réalisée par : Olivier Marchal et Frédéric Schoendoerffer

Crédit photo : Tibo & Anouchka / CAPA DRAMA / CANAL +

Dernière mise à jour
le 2 mars 2010 à 04h37