PRODUCTION — Les budgets trop lissés font-ils des séries lisses ?
Robinet d’eau tiède contre chaud et froid
Par Dominique Montay • 15 mai 2012
Et si la différence principale entre la fiction française et la fiction anglo-saxonne venait avant tout du budget. On ne parle pas de taille, attention. Mais de répartition. Un article qui n’affirme pas, mais questionne autour d’une vive impression.

Tiède.
C’est généralement à cette température qu’on règle le jet de la douche. Ou le remplissage de notre bain (si on a envie de dire merde aux histoires de réchauffement climatique). Ça n’est pas forcément comme ça qu’on imagine une série. L’adjectif tiède, accordé avec un terme artistique ne présage rien de bon. C’est pourtant comme ça, qu’en France, on l’imagine. Je ne parle pas de qualité, de cette propension qu’ont certaines chaînes à faire des fictions qui ne choquent personne, qui “rassemblent”. Tièdes.
Non, je pense budget. Un budget tiède.

Quand un producteur français s’avance vers nous pour dire combien a coûté une saison (c’est assez rare pour être souligné car parler d’argent, en France, c’est MAL), il nous donne un chiffre. Parfois vertigineux (« Pigalle la nuit » me vient en tête, pas seulement parce « Pigalle la nuit » me vient souvent en tête, ni parce que je pense que c’est trop, mais parce qu’il s’agit d’une série chère.). Parfois ridiculement faible (« Hero Corp » me vient en tête... même raisonnement que pour « Pigalle la nuit », mais à l’opposée).

Peu importe le chiffre, la plupart du temps quand on regarde une série française qui a coûté... disons 12 millions pour 12 épisodes (c’est un beau chiffre, mais c’est surtout simple à calculer), on a presque toujours l’impression que chaque épisode a coûté 1 million. D’un point de vue proprement mathématique, ça tient la route. Sauf qu’à l’écran, un peu moins. Si on compare avec les séries américaines, on fonctionne dans une logique toute différente.

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Pigalle, la nuit
Une très chère série qui nous est très chère

Grand huit contre départementale

La série américaine est un grand huit. Avec des périodes basses, des périodes hautes. Des épisodes qui nous ébahissent, d’autres qui nous laissent de marbre, voir nous agacent. Sur 12 épisodes (restons dans les mêmes proportions), certains coûteront très chers, et d’autre moins. Le pilote, généralement, est plus dépensier. Il place l’univers, tente de montrer le terrain de jeu dans tous ses recoins, possède généralement une ou deux scènes "morceau de bravoure", donc dispendieuses.

Le finale fait généralement de même, de par la densité de son intrigue, il a tendance à multiplier les points de vue et les lieux de tournages. Et, par-ci, par-là, généralement motivés par des échéances calendaires (les sweeps [1], par exemple), un épisode va coûter un bras. Pour relancer l’intérêt de la série, pour raviver la flamme, pour booster les audiences. Il y a là-bas une vrai notion d’“épisodes spéciaux”, d’évènement créé dans une œuvre dont l’ADN est celle d’un rendez-vous. Le but est de marquer les esprits ponctuellement, pas forcément de laisser une empreinte homogène dans l’esprit du téléspectateur.

Ce qui veut dire généralement que les autres épisodes bénéficient par fois d’un budget moins élevé, plus "bouts de ficelle". Il faut bien, pour compenser. Certains souffrent d’un manque flagrant d’ambition. Les lieux sont les mêmes que d’habitude, le casting n’est pas présent intégralement. Si une série a l’habitude de montrer deux-trois scènes avec beaucoup de figurants, cette fois-ci il n’y en aura pas... Ces épisodes nécessaires ne sont pas tous pour autant inintéressant (ce qui manque en pyrotechnie peut être compensé par un scénario bien écrit), mais ils sont clairement moins dotés.

Épisode en bouteille

Les américains possèdent même une technique pour faire des épisodes à très moindre coût, tout en créant un événement autour de ces épisodes, générant parfois de purs chefs d’œuvres. Les “bottle episodes”. Littéralement, épisodes en bouteilles. Nous on appelle ça un huis-clos, et c’est un gros mot en France. C’est angoissant, parait-il. Étonnant, dans un pays aussi marqué par la culture théâtrale,que l’idée d’une histoire contée dans une unité de lieu fixe, de temps courte et avec un casting restreint à sa plus simple expression, pose autant problème.

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Un bottle episode dans "Community"
qui prouve qu’on peut y voir de la nudité “wink-wink”

Les exemples sont légions : "The Chinese Restaurant" de « Seinfeld ». "Fly" de « Breaking Bad ». "The One Where No One’s Ready" pour « Friends ». Une pelletée d’épisodes d’« X-Files ». Souvent mémorables. Parfois de purs bijoux. Il est compliqué en France, d’imaginer quelque chose de similaire. Une saison de série ne devrait pas être un robinet d’eau tiède, même si la température est parfaite. Elle doit posséder ces petits moments qui brisent la routine, qui stimulent le téléspectateur.

Quand je pense à « Urgences » et à ses 9 saisons (je ne suis pas allé plus loin), même si la qualité de l’ensemble reste présent dans mon esprit, deux épisodes me viennent en tête : le 19e épisode de la première saison "Love’s Labor Lost", qui montre comment le Dr Greene va être obligé d’accoucher une femme deux semaines avant terme car le service obstétrique n’est pas disponible. Un épisode avare des autres personnages, un épisode coup de poing qui verra Greene s’effondrer psychologiquement à son terme. L’autre, c’est un épisode de la saison 2 (le 7e) "Hell and High Water", ou Doug Ross tente de sauver un garçon d’une inondation. Des images fortes, mémorables. Le premier a dû couter une misère, l’autre certainement un avant-bras.

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ER - Hell and High Water
George Clooney joue à Noe. Sans bateau ni animaux.

Une homogénéité étonnement visible

Avec le même budget, nous aurions certainement fait deux épisodes homogènes, avec quelques subtilités, mais guère plus. Cette façon d’aborder les choses sclérosent l’écriture, et enlèvent des “armes” aux auteurs. Pour certaines séries c’est évidemment plus flagrant que pour d’autres, elles ressemblent à des catalogues de passages obligés : on tourne là, puis là, puis c’est la scène de boite, puis l’extérieur, là c’est le numéro musical, le deuxième extérieur, la scène mystique, puis on finit là...

Encore une fois, il se peut que ce raisonnement ne tiennent pas la route, que certains prods viennent nous voir (ils sont les bienvenus jusqu’en juillet, parce qu’après on ferme, ma bonne dame) pour dire que non, les budgets épisodes par épisodes sont très différents. J’ai du mal à imaginer que, comme au États-Unis, on passe fréquemment d’un budget de 1,5 million pour un épisode à 500 000 pour le suivant.

Cette impression s’étend à l’écriture. Nous n’avons pas la tradition de l’épisode spécial en France. Celui qui créé l’évènement, qui fait parler. On doit y penser à l’écriture, se dire “attention, celui-là, on met les moyens”. Il est vrai qu’avec le système de diffusion française, cet épisode spécial et dispendieux peut se retrouvé diffusé à 22h00 après un bloc de deux épisodes moins attrayants...

Un mode de fonctionnement qui interdit le changement

Le plus gros problème, chez nous, au delà de la façon dont on alloue l’argent aux épisodes vient peut être de la façon dont on les tourne. Notre méthode est de découper par blocs de production, par 6 ou 8 épisodes. Une méthode avec des points positifs (le tournage se gère par lieux, limitant les coûts, les réalisateurs sont les mêmes sur cette durée), et un très négatif : l’identité de l’épisode.

Tout se mélange, les épisodes, le jeu des comédiens... et le budget, fatalement. On ne raisonne plus en terme de coût par épisode, mais en terme de coût de bloc de production. Tant que la production sera gérée ainsi (et on les voit mal faire marche arrière si ça permet de faire des économies, volonté toute légitime), il sera compliqué de changer cette impression. A moins de l’intégrer avec force et conviction dès l’écriture.

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Hero Corp
Une série française qui fonctionne comme une américaine.

Si cet article est totalement dans le faux, et que, oui, les productions françaises n’allouent pas DU TOUT le même budget à chaque épisode, ça ne se voit pas du tout. La seule série en France qui donnait cette impression de non-homogénéité, qui au final fonctionnait comme une série américaine alors que tout chez elle respire l’artisanal, on va encore en parler (et la pleurer), c’est « Hero Corp ». Un exemple à suivre pour tous, qui n’est plus là pour prouver que oui, dans une fiction, alterner le froid et le brûlant, c’est vital.

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