CLARA SHELLER 2 - Une victoire du scénario ?
Clara revient. Tout a changé. Sauf le scénariste.
Par Sullivan Le Postec • 18 novembre 2008
« Clara Sheller » revient en seconde saison, trois ans après. L’intégralité de la distribution a changé. Le réalisateur aussi. C’est donc un pari risqué, porté par le scénariste Nicolas Mercier (illustration ci-dessous). En cas de succès, ne serait-il pas temps d’en tirer des leçons sur la place de l’écriture à la télé ?

La télévision est un univers lisse, gouverné par la langue de bois et la bonne humeur forcée. Aussi, lorsque commencera la diffusion de la seconde saison de « Clara Sheller » ce 18 novembre sur France 2, rien ne laissera voir le chemin de croix qu’a été sa production...

Tout commence par le manque de projection en avant, et la frilosité.
Quand France 2 diffuse la première saison de « Clara Sheller » au printemps 2005, le succès est au rendez-vous. Le soir de la diffusion des deux premiers épisodes, la chaîne publique bat TF1. Le tout grâce à une série profondément originale vis-à-vis du reste de la fiction française, puisque dénuée d’argument policier ou para-policier. Au contraire, elle est tout entière centrée sur son propos, qui consistait à dire que la vie sentimentale est la préoccupation majeure de l’être humain. ‘‘C’est quoi la réalité ?’’ interrogeait Clara dans le dernier épisode. ‘‘C’est les trucs graves qui se passent dans le monde ? Ou alors c’est des trucs super palpitants genre ‘je suis à découvert’ ou ‘ma chaudière est en panne’ ? Ce qu’on ressent, les sentiments, si on est heureux ou malheureux... Ca, ça passe pas au journal télévisé alors il ne faut surtout pas faire comme si c’était plus important que le reste !’’
Mais ce succès prend tout le monde de court. A France 2, on ne s’est pas vraiment posé avant la question de la suite (il faut dire que la diffusion en prime-time n’avait déjà été que le fait d’un changement de stratégie : la série avait été développée en pensant à un passage à 21h45). Manque de projection.
Frilosité, aussi, car il y a derrière une logique économique : il s’agit de ne pas débloquer des budgets avant d’être sûrs que les premiers épisodes marchent suffisamment pour justifier une suite. Typiquement le genre de choses qui vont avoir du mal à s’arranger avec la précarisation en cours du Service Public.
Et puis il y a les éternels changements d’équipe, que la première saison avait déjà eu à gérer. Il a fallut attendre l’arrivée de Jean Bigot, qui succédait à Perrine Fontaine, pour que la saison 2 soit fermement commandée.

Il y a alors eu une tentative d’écriture en atelier, dirigé par le scénariste de la première saison, Nicolas Mercier. L’expérience n’a pas été concluante, et il est finalement décidé de revenir à la formule originale : Nicolas Mercier écrira seul. Tant mieux pour la série, sans doute. Tant pis pour le délai supplémentaire que cela implique.

Sauf que, et c’est là que le psychodrame semi-public commence, quand la phase d’écriture approche de sa fin, fin 2006, Mélanie Doutey, la Clara Sheller de la première saison, fait savoir que tourner la suite ne l’intéresse plus. C’est qu’entre-temps, elle a entamée une carrière au cinéma qu’elle juge suffisamment prometteuse pour tourner le dos à la télé. Diefenthal, qui a l’expérience pour lui, évoque, amer “l’art [des français] de scier la branche sur laquelle ils sont assis”.
La raison officielle de l’absence de Doutey est ‘‘un agenda surchargé’’. Diefenthal avancera finalement la même raison lui-même, quelques six mois après sa partenaire, pour se désengager à son tour, bientôt suivi par Thierry Neuvic.

Entre-temps, une dizaine de noms d’actrices ont été cités dans la presse et démentis par la production. Surtout, la rediffusion de la première saison en juin 2007 est un échec. Il faut dire, quand même, que les DVD se sont bien vendus et que la série n’est pas très difficile à trouver sur Internet où le public jeune qui constitue son cœur de cible n’aura pas eu de mal à la revoir.

Alors qu’un réalisateur, Alain Berlinier (« La vie en rose »), a été choisi pour succéder à celui de la première saison, la décision est prise de tenter l’expérience d’une redistribution complète, des premiers aux seconds rôles. A certains moments, on sent une pointe d’hésitation du coté de la production. Faut-il rebaptiser la série « La Nouvelle Clara » ? Faut-il changer la musique du générique ? Au final, c’est la continuité qui est choisie. Ces six nouveaux épisodes ne sont pas un nouveau prochain. Ils sont bien, tout simplement, une saison 2. Et cette réalité s’impose avec force au visionnage, qui fait presque oublier en quelques instants les premiers visages des personnages (ce qui aurait probablement été plus compliqué si seulement le rôle de Clara avait été redistribué).

A l’époque, pourtant, j’étais le premier à trouver cela à la limite de l’absurde. Avec le recul, je réalise que je n’aurais probablement pas voulu non plus jeter les scénarios de cette seconde saison à la poubelle. En effet, elle ne trahit jamais la première, mais développe toutes ses qualités d’originalité, d’audace et de fantaisie, tout en corrigeant son principal défaut : elle fait preuve d’une vraie unité au fil de ses six épisodes, et son récit s’achemine vers une conclusion logique, ni facile, ni désespérée : simplement juste.

Cette seconde saison est un pari relativement risqué. Reste que c’est un pari justifié par la qualité et une certaine exigence artistique. Un pari qui, s’il est couronné de succès, doit amener de légitimes questions.
Que reste-t-il de « Clara Sheller » saison 1 dans cette saison 2, sachant que le réalisateur, ainsi que tous les acteurs ont changé ? Réponse : une productrice, Joëy Faré, et surtout un scénariste, Nicolas Mercier, et ses créations : des personnages, un ton, un univers.
De la réussite artistique de la saison 2 de « Clara Sheller », et de son éventuelle réussite à l’échelle de l’audimat, que je souhaite, on devra tirer les conclusions qui s’imposent. Loin avant toute autre chose, la fiction télévisée est d’abord une question d’écriture. Celle-ci doit donc logiquement être mise au centre des enjeux de développement, elle doit se voir allouer les budgets qu’elle mérite. La série télévisée n’a pas besoin d’un acteur star installé pour atteindre le succès. La vérité, c’est qu’un bon scénariste fera de n’importe quel comédien décent une star...

Une telle idée est une véritable révolution dans l’univers de la fiction audiovisuelle en France, où l’on traine l’héritage de la Nouvelle Vague comme un boulet (indépendamment des chefs d’œuvres que celle-ci a pu fournir au cinéma). Reste qu’à la télévision, devant la crise profonde que la fiction française depuis la fin de l’ère « Navarro », cette idée fait lentement son chemin. Puisse « Clara Sheller » lui permettre de faire encore quelques pas...