DEBRIEF’ — Les Beaux Mecs, une série de fille ?
La série signée Virginie Brac avait-elle plus de chance de toucher les téléspectatrices que les téléspectateurs ?
Par Sullivan Le Postec • 11 avril 2011
« Les Beaux Mecs », n’a pas affolé l’audimat lors de sa diffusion sur France 2. La série qui mélangeait les genres — cinématographiques — a-t-elle buté sur une question de genres — sexuels ?

Avec une moyenne de 2,7 millions de téléspectateurs, la série « Les Beaux Mecs » n’a pas affolé les compteurs d’audience de France 2. De multiples raisons sont en cause. Structurelles — les amateurs de bonne télé ont depuis longtemps perdu l’habitude de regarder des séries françaises, et il est dur de les faire venir. Thématiques — les téléspectateurs de France 2 ont zappé en masse au début du premier épisode quand le personnage de Kenz et le décor de la Cité ont été mis en avant. Et puis il y a la simple question du goût : tout le monde n’a pas aimé la série !
Mais il existe une autre explication intéressante sur laquelle on peut revenir : celle du genre.

Une série avec des femmes

« Les Beaux Mecs » a été intégralement écrite par une femme. Cela a des conséquences nettes sur la série elle-même. Le sujet de départ, celui proposé à Virginie Brac par le producteur Jérôme Minet, était de raconter 50 ans d’histoire du grand-banditisme français. La mini-série s’inscrivait donc au départ dans le genre du film de gangster, qui n’est pas celui peuplé par le plus grand nombre de personnages féminins mémorables. Sans démarche consciente pour lutter contre cette tendance, « Les Beaux Mecs » avait beaucoup de chances de ne compter que très peu de femmes d’importance.
Virginie Brac a fait à peu près tout ce qu’il était possible de faire pour s’assurer que des femmes, il y en aurait. Elle explore les figures qui sont traditionnellement liées aux milieux dépeints, comme les prostituées, dont elle propose deux variations très éloignées l’une de l’autre avec La Gazette et Olga. Elle cherche aussi à impliquer les femmes de la vie de Kenz, principalement sa sœur Nassima. Elle s’emploie enfin à lier à l’intrigue principale les femmes de la vie amoureuse de Tony, pour qu’elles puissent avoir une place à l’écran malgré le rythme impossible (50 ans en huit épisodes). C’est le cas de Nathalie, que son militantisme entraîne jusqu’aux milieux terroristes d’extrême gauche. C’est le cas de Claire, qui paie le prix des choix de Tony par la destruction de sa vie dans les années 80.

Au-delà de cette présence de personnages féminins multiples, riches et variés, il me semble aussi que la série elle-même se trouve être extrêmement féminine.

Une série pour les femmes ?

C’est quelque chose qui m’est venu à l’esprit en partie à cause des réactions suscités par la série chez les spectateurs. Et notamment le fait qu’elle a fait le grand écart au niveau de l’empathie générée. Certains (moi, notamment) ont ressenti une empathie totale, absolue et extrêmement rapide envers les personnages. D’autres n’en ont jamais ressenti aucune et sont restés totalement extérieurs à ce que « Les Beaux Mecs » proposait. Dans cette deuxième catégorie, beaucoup de garçons. (Evidemment, les questions de genre sont complexes et ne recoupent pas forcément celles du sexe, mais je ne vais pas faire un exposé sur le sujet ici alors je m’autorise à simplifier un peu.)

Je vais formuler une hypothèse : j’ai l’impression que l’empathie que Virginie Brac génère pour les personnages des « Beaux Mecs » est extrêmement maternelle. C’est ça qui m’a fait dire (on a posé la question à l’équipe dans le deuxième épisode des « Visages des Beaux Mecs ») que Nassima incarnait le point de vue de Virginie Brac dans la série, tout simplement parce que Nassima est très maternante dans son rapport aux autres. A son frère Kenz, bien sûr, mais aussi à Tony. Nassima soigne. Nassima comprend. Nassima est empathique. Nassima s’inquiète quand elle n’a pas de nouvelle et qu’on rentre tard. Au bout du compte, Nassima aime, inconditionnellement mais tout en sachant les défauts de ceux auxquels elle est confrontée.
Le rapport de Nassima à Kenz et Tony, c’est celui que la série a provoqué chez moi pour ces personnages. Et cela participe du fait que j’ai adoré « Les Beaux Mecs ».

Au-delà du rapport empathique maternel qu’elle créé plus ou moins consciemment, il y a aussi la question du genre de la série elle-même, au sens cinématographique du terme. C’est-à-dire, bien sûr, son basculement des codes du film de gangster à ceux du mélo. Là encore, les réactions chez les spectateurs sont contrastées. Il y a ceux qui rejettent le basculement, il y a ceux qui finissent par l’épouser avec difficultés (c’est un peu l’impression que me donne Dominique). Et puis il y a ceux pour qui la série ne fait sens que du fait de ce basculement. Sans cette révélation que toute cette histoire était avant tout une tragédie mélodramatique, « Les Beaux Mecs » aurait eu vite fait de s’apparenter pour moi à un « Engrenages » bis avec des flash-backs.
Mais nous voilà confrontés au fait que les gangsters et le mélo, ce sont deux genres très genrés, si vous me passez l’expression. Et que les publics auxquels ils s’adressent avec le plus de facilité ne sont pas les mêmes.

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Olga, La Gazette, Nassima, Nathalie
Quelques-unes des figures féminines de la série.

La manière dont Virginie Brac aborde le film de gangster, dans la première moitié de la série, est à peu près aussi féminine que le genre peut le permettre en gardant un certain réalisme. Le résultat est une forme de compromis qui, pour moi, fait tout le sel de la série. Mais qui peut, à des niveaux plutôt inconscients, dérouter.

C’est d’autant plus le cas que la série développe aussi un propos sur des questions liées au genre (au sens sexuel) relativement provocantes pour le public masculin, surtout vu l’air du temps.
En effet nous vivons une époque où l’on s’interroge avec parfois beaucoup de nostalgie sur la question de la masculinité. Une interrogation menée parfois de façon outrancière et caricaturale — un Eric Zemmour expliquant sans rire, l’air désespéré, que la féminisation de l’homme moderne est responsable d’un grand déclin civilisationnel. Parfois de façon plus insidieuse et inconsciente — par exemple la nostalgie pour des héros de cinéma d’action ‘‘bien virils’’ par rapport aux figures modernes (le James Bond de Sean Connery contre le Jason Bourne de Matt Damon, en gros).
Cette question de la naissance d’une nouvelle forme de masculinité sous-tend le discours de toute la série, et est l’un des éléments de son conflit de génération, aussi bien du côté des flics que des truands. Mais avec la figure de Janvier, personnage virilement correct, mais aussi profondément mysogine, homophobe, dénué de respect, capable de violer, et considérant en gros qu’aimer n’importe qui d’autre que lui-même, c’est faire preuve de faiblesse, la série tend à choisir son camp. Surtout quand elle suggère que cette extérieur ‘‘sévèrement burné’’ est un jeu d’apparence qui coûte à Janvier et auquel il va, dans le privé, chercher des échappatoires quitte à s’enfermer dans la schizophrénie.

Des précédents

Il y a d’autres exemples de séries qui ont rencontré l’obstacle des genres. Le premier auquel je pense, c’est « Friday Night Lights ». Au premier coup d’œil, une série sur une équipe de football américain. Donc plutôt masculine. En vérité, un soap à la sensibilité très fine. Globalement, les garçons sont venus à la série pour le sujet mais en sont vite partis à cause de ce que « Friday Night Lights » est réellement. Les filles ne sont jamais venues alors qu’elles auraient surement aimé. Du coup, « Friday Night Lights » n’a jamais fait d’audience et a vécu cinq saisons sous respirateur artificiel (un accord entre NBC et la chaîne câblée Direct TV). Tant mieux parce que c’est l’une des meilleures série de ces dix dernières années.
En septembre dernier, « Lone Star », série saluée par la critique mais arrêtée après seulement deux épisodes diffusés, a souffert d’une problématique similaire.

Je pense que des phénomènes proches se sont joués autour des « Beaux Mecs » et ont pu pousser le public qui aurait peut-être le plus apprécier la série (des téléspectatrices) à ne même pas essayer de la regarder, tandis que ceux qui avaient essayé (des téléspectateurs) pouvaient se trouver déroutés par le contenu.
C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne suis pas d’accord avec ce que j’ai quelque fois entendu, à savoir que « Les Beaux Mecs » c’était France 2 faisant du Canal+. Je suis même certain que la série aurait eu du mal à se sortir de la confrontation avec le public (majoritairement masculin) des Créations Originales de la chaîne cryptée.

Par son approche complexe et passionnante des questions de genres sexuels, qui se mêle et s’additionne à son jeu avec les genres cinématographiques, « Les Beaux Mecs » se révèle intellectuellement passionnante, et plutôt avant-gardiste dans son propos. Cette richesse lui a fait courir le risque de dérouter une partie du public. C’est dommage. Mais à l’exemple des séries américaines citées plus tôt, pour ceux que la série a embarqué, cela valait vraiment le coût !

Dernière mise à jour
le 11 avril 2011 à 09h27