DOCTOR WHO - 4.12/13 : The Stolen Earth / Journey’s End
‘‘I’m just a temp !’’
Par Sullivan Le Postec • 27 août 2008
Russel T Davies signe son départ de « Doctor Who » par un final de saison spectaculaire et enthousiasmant, malgré ses limites.

Comme à son habitude, Russel T Davies boucle la saison au moyen d’un grand récit épique qui dévoile les tenants et les aboutissants de l’arche narrative, tout en mettant en perspective l’axe thématique principal de la saison. C’est la dernière saison de Davies à la barre, en conséquence, l’ampleur de cet épisode est encore plus délirante que d’habitude.

The Stolen Earth

Scénario : Russel T Davies ; réalisation Graeme Harper.
Alerté par le message de Rose, Le Docteur ramène le Tardis et Donna sur la Terre au temps présent juste à temps pour assister à la disparition de la planète... A l’autre bout de l’Univers, où la Terre a été transportée, Martha et UNIT, Le Capitaine Jack et Torchwood, Sarah-Jane Smith, mais aussi Rose Tyler tentent sans succès de contacter le Docteur, le seul qui puisse les sauver de l’invasion Dalek en cours. L’ancienne première ministre Harriet Jones les met tous en relation et leur permet de concevoir un moyen d’envoyer un message au Docteur.
Pendant ce temps, celui-ci tente de retrouver la Terre. Il se rend à la Shadow Proclamation et apprend que 26 autres planètes ont été prélevées dans l’espace et le temps. La Shadow Proclamation veut faire du Docteur son Chef de guerre, mais il refuse et file en douce. En suivant la trace des abeilles extraterrestres qui fuient la Terre, ayant pressenti l’imminence du danger, il trace la Terre jusqu’à Medusa Cascade, siège d’une faille spatio-temporelle qu’il a colmatée lorsqu’il était adolescent. Mais nulle trace des 27 planètes enlevées par les Daleks. Le message envoyé par Harriet Jones avant qu’elle ne meurre lui permet enfin de la située, désynchronisée de une seconde avec le reste de l’Univers.
Alors qu’il retrouve enfin Rose, il est touché par un rayon Dalek. Mortellement touché. Devant le Capitaine Jack, Rose et Donna, il entame une régénération...

Journey’s End

Grace à la présence de sa main coupée au sein du Tardis, le Docteur parvient à détourner l’énergie de la régénération avant qu’elle ne change son corps. Pendant ce temps, le Tardis est capturé par les Daleks qui l’amènent à bord de leur vaisseau-mère. Le Dalek Supême ordonne la destruction du Tardis alors que Donna se trouve encore à l’intérieur. Mais celle-ci touche la main coupée du Docteur, ce qui déclenche une réaction inédite : la main se régénère en un clone du Docteur en partie Humain, tandis que Donna elle-même devient en partie Time-Lord.
Le Docteur original est confronté à Davros, qui a recréé un empire Dalek à partir de cellules de son corps et projette la destruction totale de la réalité, grâce à l’énergie créée par les 27 planètes. Ce plan a été permis par Dalek Caan, qui a vu la guerre du temps et l’ensemble du passé, présent et futur.
Martha accomplit la mission confiée par UNIT avec la clé d’Osterhagen : une arme de dernier recours qui peut détruire la Terre. Elle menace les Daleks de l’utiliser s’ils n’abandonnent pas leur plan. Sarah-Jane Smith est de son coté parvenue à rejoindre le Vaisseau-mère avec Jackie et Mickey. Elle possède aussi une arme de destruction massive capable de détruire ce Vaisseau et, avec l’aide du Capitaine Jack, menace également de l’utiliser. Les Daleks déjouent facilement ces menaces, mais Davros confronte le Docteur à la réalité : lui qui veut se faire passer pour un non-violent et un pacifiste transforme des gens ordinaires en redoutables guerriers destructeurs.
Le Tardis apparaît soudain, et le clone du Docteur ainsi que Donna parvienne à déjouer la menace des Daleks et de Davros. Pendant que tout le monde est évacué vers le Tardis, le clone du Docteur détruit intégralement la race Dalek.
Le Docteur ramène Jack, Martha et Mickey sur Terre. Il ramène également Rose et Jackie dans leur monde parallèle avant que les murs entre les réalités ne se referment, et laisse son clone avec elles. Celui-ci avoue son amour à Rose. Alors qu’ils s’en vont, Donna est prise de troubles. Un corps humain ne peut pas supporter d’être en partie Time-Lord. Il soit supprimer toute cette partie de son esprit, et tout souvenir de l’avoir jamais rencontré. Si jamais elle devait se rappeler du Docteur, elle mourrait. Donna reprend donc sa vie d’avant, celle qui la satisfaisait si peu, incapable de se souvenir qu’elle a été la personne la plus importante de tout l’Univers.
Le Docteur, à nouveau, est laissé à sa solitude...

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Journey’s End
Davors désigne le Docteur comme un chef de guerre

Geekasme

La première partie de ce double épisode est avant tout un pur plaisir de fan. Russel T Davies organise un cross-over géant, réunissant tous les éléments du Whoniverse qu’il a créé au fil des quatre dernières années. Cela fait du bien de retrouver Jack équipé de sa personnalité, Sarah-Jane est toujours aussi classe (vivement la saison 2 de ses « Adventures ») et, fait assez incroyable, Martha a quelque chose à faire (même si elle le fait encore toute seule). Pour tout dire, cette première partie est tout de même largement inférieure à la suivante, parce qu’elle manque un peu de cœur et de fond. La partie de l’histoire qui suit Rose est la seule à bénéficier d’un véritable ancrage émotionnel, en la montrant avoir les plus grandes difficultés pour retrouver le Docteur et assister, spectatrice impuissante, à la rencontre entre tous les autres compagnons.
La gestion du retour du Rose fut décidemment l’un des éléments les mieux mené de cette saison.

Par ailleurs, un autre point fort de cet épisode est sa mise en place d’une atmosphère tendue et apocalyptique, qui aura en plus l’avantage de ne pas être annulée à la fin de l’histoire comme ce fut le cas l’année dernière. Reste à voir dans quel mesure cet élément sera ou non pris en compte dans la continuité de la série.

Le passage du Docteur et de Donna à la Shadow Proclamation, mentionnée dès le tout premier épisode de la nouvelle série, fait partie des clins d’œil aux fans hardcore du Whoniverse, même s’il se trouve qu’il est franchement assez mal exécuté. L’utilité de ce détour dans l’intrigue est un peu limité, et la Shadow Proclamation apparaît surtout comme impuissante, incapable même d’empêcher le Docteur de leur échapper ou de le suivre. Lors du premier épisode, on s’attend à ce que ce passage soit justifié par un retour dans la seconde partie, mais ce n’est pas le cas. Il ne garde finalement un intérêt que thématiquement, point sur lequel je reviendrai plus loin.
En vérité, cet aspect de l’épisode a été victime de considérations budgétaires : les scènes à l’intérieur de la Shadow Proclamation étaient à l’origine bien plus grandiose et aurait montré une affluence de réfugiés extraterrestres venus des quatre coins de la galaxie, parmi lesquels on aurait reconnu plein d’extraterrestres vu dans les quatre saisons de la série. Et puis l’institution aurait effectivement du rejoindre le Docteur dans la seconde partie et participer à un combat contre les vaisseaux Daleks. Trop d’effets spéciaux, trop cher...

Faiblesses

Pour aussi jouissive qu’elle soit pour les fans, cette double histoire n’est pas sans faiblesses. Certaines sont d’autant plus agaçantes qu’elles ne sont pas inédites dans la série. L’exemple le plus frappant est bien sûr la résolution du cliffhanger monstrueux de « The Stolen Earth » par trois énormes deux ex machina empilés les uns sur les autres. Rageant, même si le fait que la ‘‘résolution’’ du cliffhanger sur la régénération du Docteur ait une importance cruciale dans le reste de l’épisode rattrape en partie le coup. Russel Davies a réussi son coup, puisque son objectif était de créer un buzz gigantesque autour de la série. Pas sûr pourtant que cela fut très bénéfique à « Doctor Who » une fois que chacun a découvert l’ampleur de la tricherie.
Autre déception, et autre tricherie : l’annonce mainte fois répétée de la mort d’un des compagnons du Docteur, qui s’avère n’être qu’une mort symbolique et figurée... soit exactement la même chose qu’en saison 2 au moment du départ de Rose. C’était déjà limite la première fois, c’est assez exaspérant cette fois-ci. Si Davies estime que le public familial de « Doctor Who » interdit la mort d’un personnage principal (ce qui me semble personnellement absurde, mais admettons), le mieux serait alors qu’il arrête le teasing non suivi d’effets.
La chose remarquable que soulignent ces répétitions, c’est que Russel T Davies a visiblement su définir le bon moment pour quitter la série là où il est si facile de tirer sur la corde et de faire quelques saisons de trop.

Par ailleurs, on signalera que si, au début de la saison, on avait eu l’impression que l’arc de la saison serait plus dense et riche cette année, ce fut en fait tout le contraire. D’ailleurs, nombre de pistes lancées dans les premiers épisodes ont en fait été résolues avant ce double épisode final (‘‘Your Song must soon end’’ et ‘‘She has something on her back’’) tandis que d’autres se sont avérées êtres des pistes thématiques et non pas narratives (la manière dont Donna s’inscrivait dans l’histoire et dans les mémoires dans « The Fires of Pompeii » et « Planet of the Ood ». On choisira par ailleurs de fermer les yeux sur les incohérences de cet arc (cet épisode suggère fortement que ce sont précisément les 27 planètes subtilisées, et leur configuration particulière, qui sont nécessaires pour créer l’énergie nécessaire à la propagation de la reality bomb ; pourquoi alors cette reality bomb est-elle active dans la réalité alternative de « Turn Left » sans que la Terre ait été volée ? Si Rose peut se téléporter là où se trouve le Tardis, comment a-t-elle pu réussir à ne pas tomber sur le Docteur alors que le même « Turn Left » laisse entendre qu’elle fait des allers-retours entre les dimensions depuis l’époque de « The Christmas Bride » ?)

Chef de guerre

Avec tout cela, on pourrait croire que je n’ai pas vraiment aimé ce final. En fait, je l’ai adoré, malgré ces failles — ce qui est révélateur du tour de force exécuté par Davies. D’abord, le plaisir de fan, la jouissance primaire de geek, est réelle et intense. Ensuite, si la première partie pêche un peu coté émotion et approfondissement thématique, ce n’est pas du tout le cas de la seconde.
En effet, chaque saison de la série est architecturée autour d’une double structure. La première est l’arc narratif (Bad Wolf et les Daleks en saison 1, Torchwood en saison 2, le Maître en saison 3).La seconde est la base thématique qui sous-tend ces histoires. Dans la seconde saison, il s’agissait de parler de l’influence du Docteur sur ses Compagnons, et du vide qu’il laisse dans leur vie après leur avoir fait goûter à l’extraordinaire — une thématique qui a des résonnances dans ce final.
Mais l’idée principale derrière cette saison est celle de la nature guerrière du Docteur, une nature paradoxale et contrastée mais bien réelle tout de même. De ce point de vue, le retour de UNIT dans cet saison fait particulièrement sens, tout comme les commentaires répétés sur l’anti-militarisme du Docteur dans le double épisode sur les Sontarans et « The Doctor’s Daughter ». Donna avait déjà exprimé sa surprise de découvrir que Martha était devenue une guerrière au contact du Docteur, mais il s’avère que cela tient plus de la tendance lourde que du cas isolé.
L’instant où Davros confronte le Docteur à cette réalité et au nombreux des braves petits soldats qui sont sacrifiés pour le Docteur au fil des années est d’une grande puissance émotionnelle et d’une grande justesse. Aussi bien intentionné qu’il soit, aussi vrai qu’il ait su dominer la nature guerrière et vengeresse qui était la sienne lorsqu’on la retrouvé en saison 1, les actions du Docteur ne sont pas sans conséquences négatives. La progression du Docteur et surtout la manière dont elle est ici mise en scène est remarquable, et contribue aux nombreux éléments qui indiquent qu’une boucle se ferme avec cette saison — le jeune clone guerrier du Docteur étant laissé auprès de Rose, celle-là même qui a apaisé l’original.

Davros est le méchant iconique de la série qui se voit réintégré cette année. Son incarnation actuelle est très proche de celles du passé. Julian Bleach est parfait dans le rôle, parfaitement crédible dans sa façon d’être délicieusement over-the-top.

Lord Noble

Et puis il y a cette fin. Pour aussi énervant que soit la prophétie mortelle non suivie d’effet, pour aussi douteuse que soit le sentiment de répétition avec le sort de Rose à la fin de la seconde saison, l’absolue mais cruelle perfection que constitue la conclusion au personnage de Donna Noble rattrape tout.
Russel T Davies est beaucoup vu comme un auteur léger, parce que ses scénarios le sont généralement en surface, truffés de blagues et de second degré. Si l’on va des choses, l’univers de Davies est bien plus noir qu’on ne l’imagine. Y transparait souvent un point de vue très sombre sur l’âme humaine (l’imagerie concentrationnaire de « Turn Left », quasiment tout « Midnight ») mais aussi une conception cruelle du happy-end. Cette cruauté atteint son sommet avec Donna Noble. Depuis toujours présentée comme à l’étroit dans une vie ‘‘normale’’ qui ne l’a pas gâtée et où personne, pas même sa propre mère, ne lui reconnaît les immenses qualités qui sont les siennes, Donna s’est révélée, épanouie au cours de ses voyages avec le Docteur. Son intelligence pragmatique, son humanité inébranlable ont trouvé toute leur utilité. A bord du Tardis, elle avait trouvé sa place parfaite. Probablement cet élément aurait-il pu permettre d’anticiper la fin : son intégration aux cotés du Docteur était si fusionnelle que rien ne permettait de justifier son départ. Or, Catherine Tate avait peu de chances de rester la compagne du Docteur jusqu’à la fin des temps — du reste nous savions au départ que son arc durerait une saison.
Ce qu’elle avait acquis lui est donc retiré. Et elle ne peut même pas emporter avec elle ses souvenirs. Après tout cela, après avoir touché un instant sa réelle place, la voilà condamnée à une vie futile et inintéressante pour l’éternité. Je ne suis pas sûr qu’on puisse faire quoi que ce soit de plus désespéré et déprimant que ça.

En vérité, la nouvelle de l’arrivée de Steven Moffat à l’écriture est la seule qui puisse permettre d’être sûr que « Doctor Who » se remettra jamais du départ de Donna...
En attendant, nous serons là pour commenter les pérégrinations solitaires du Docteur au cours de l’année à venir. Pour mémoire, cinq épisodes spéciaux seront diffusés. Le premier le 25 décembre prochain, le suivant à Pâques 2009, un autre quelque part entre Pâques et Noël, et finalement le quatrième le 25 décembre 2009 et le cinquième le premier janvier 2010. L’attente, indéniablement, va être longue...