DOCTOR WHO – 5.01 : The Eleventh Hour (Le Prisonnier Zéro)
“I’m definitely a mad man with a box !” - Le Docteur
Par Sullivan Le Postec • 4 avril 2010
Il faut ajouter un nouveau talent à la liste de ceux de Steven Moffat. Avec lui, une heure et des poussières donne l’impression de durer moins de 45 minutes...

« Doctor Who » porte en elle une caractéristique qui lui est unique. Cette attente mêlée d’excitation et de doute ressentie par le téléspectateur au moment où il s’assoit devant l’épisode qui va mettre pour la première fois en action le nouveau Docteur, cet étranger apparu à la fin de l’épisode précédent et à qui on ne peut pas s’empêcher d’en vouloir un peu de remplacer l’autre Docteur, qu’on avait appris à tant aimer. Le nouveau sera-t-il à la hauteur ? Et comment !

The Eleventh Hour

Scénario : Steven Moffat ; réalisation : Adam Smith.
Le Tardis s’écrase dans le jardin d’une petite fille, laissée seule pour la nuit par sa tante. Amelia faisait justement une prière au Père Noël pour qu’il lui envoie quelqu’un à propos de la fissure dans le mur de sa chambre, qui laisse parfois échapper une voix. Encore sous le coup de sa régénération, le Docteur s’intéresse à ce mystère et découvre qu’il s’agit d’une fissure dans l’espace-temps. De l’autre coté, une prison dont le Prisonnier Zéro s’est échappé. Le Docteur referme la fissure mais doit vite s’occuper du Tardis qui menace d’exploser. Il promet de revenir dans cinq minutes. Mais douze ans ont passé quand le Tardis se matérialise à nouveau dans ce jardin. Amélia est maintenant surnommée Amy et a passé son enfance et son adolescence à attendre le Docteur, que tout le monde autour d’elle prend pour son ami imaginaire.
Mais l’apparition du Tardis provoque l’arrivée des gardiens du Prisonnier Zéro. S’ils ne peuvent pas l’arrêter, ils promettent de détruire la Terre dans 20 minutes ! Le Docteur, privé de son Tardis qui est aussi en train de se régénérer, et de son tournevis sonique qui explose entre ses mains, n’a que ce temps devant lui pour sauver la Terre...

Twenty minutes to the end of the world

Il faut voir Steven Moffat introduire le Tone Meeting (lecture rassemblant les acteurs principaux, les producteurs exécutifs et les membres des principaux départements, réalisation, décors, costume, etc., pour préparer l’épisode) en indiquant à tout le monde : ’’ceci est l’heure de télévision qui sera la plus minutieusement scrutée de toute votre carrière’’. Le genre de challenge qui peut soit sublimer une équipe, soit la faire plier sous la pression.
La première tâche de « The Eleventh Hour » est de présenter le nouveau Docteur, de convaincre que Matt Smith est l’interprète idéal, et d’introduire son nouveau Compagnon. En conséquence, l’histoire en elle-même est notablement plus simple que ce que délivre habituellement Steven Moffat, et d’ailleurs s’avère assez proche de l’épisode d’ouverture de la saison 3, « Smith and Jones ». « The Eleventh Hour » porte néanmoins la marque de son auteur, ne serait-ce que parce qu’une fois de plus, Moffat a réussi à écrire un épisode de « Doctor Who » sans le moindre mort (quoi qu’on puisse débattre du sort de la femme docteure de l’hôpital). Moffat tuera-t-il son premier figurant au prochain épisode ? Et puis il y a ces concepts à la fois simples et géniaux, très Moffatiens, qui consistent à articuler la menace d’un épisode autour de quelque chose de quotidien que le scénariste nous fait voir sous un jour soudainement très effrayant, ici la fissure dans le mur. On pourra aussi pointer le motif de la sixième porte que l’on ne peut voir que du coin de l’œil, motif qui renvoie à l’ombre supplémentaire de « Silence in the Library » (qui elle-même renvoyait à des épisodes précédents).
On notera par ailleurs que sous son apparence simple et directe, le scénario fait de la place à un symbolisme qui parlera peu aux vrais enfants de huit ans, mais plutôt aux grands : c’est une pomme que le Docteur tend à Amy pour la convaincre de le suivre. Clairement, suivre le Docteur est pour elle une tentation qui aura son lot d’effets négatifs, comme c’est le cas pour tous les Compagnons. L’apparence du monstre, un serpent géant, renforce cet axe de lecture.

Le premier quart d’heure de l’épisode se fait sur un rythme relativement posé, nécessaire à la fois pour donner un peu de temps au Docteur pour souffler un minimum après sa régénération, mais surtout pour installer la relation entre le Docteur et Amelia. Et leur laisser le temps de concevoir la recette du jour : le poisson pané à la crème anglaise.
Après cela, l’aventure est lancée sur les chapeaux de roues, d’autant que le Docteur lui-même n’a que vingt minutes devant lui. L’épisode déborde littéralement de one-liners tordants qui, plutôt que de créer des pauses dans le récit pour aménager des moments d’humour, participent d’ailleurs au rythme haletant.

Timey-wobley

Les cinq années à la tête de la série de Russell T Davies ont fait tourner un nombre conséquents de compagnons, avec beaucoup de triomphes (de Donna à Rose en passant par Jack) et quelques échecs. Mais il devient de plus en plus difficile de surprendre et de proposer des variations originales. Steven Moffat réussit magnifiquement la mission, en faisant appel à sa passion pour le timey-wobley stuff. Le Docteur est pour Amy quelqu’un qui l’a accompagné toute sa vie, en qui elle a placé beaucoup d’espoirs. Mais aussi quelqu’un qui l’a immensément déçue et l’a laissée tomber. Les bases d’une relation très intéressante sont posées, et il est difficile de ne pas être ému devant l’image de la petite Amelia assise sur sa petite valise, espérant que le Docteur revienne tenir sa promesse. La répétition du motif, Amy embarquant avec le Docteur deux ans après l’aventure de cet épisode dans sa propre time-line, en fait une caractéristique psychologique profonde qui ne manquera pas d’influer sur leur relation.
Amy a un petit ami, et même un fiancé au moment où elle embarque à la veille du jour où elle doit l’épouser. Rory, variation autour d’un archétype proche de celui de Mickey, mais beaucoup plus facile à apprécier et moins agaçant (il faut dire qu’Arthur Darvill est mille fois meilleur acteur), a vécu lui-même dans l’ombre du Docteur toute sa vie (lui-même n’est que simple infirmier). Ce qui était probablement beaucoup plus supportable quand tout laissait croire qu’il était imaginaire.
Amy et Rory viennent avec un nouveau cadre. Après de nombreux compagnons londoniens, ces deux-là sont issus d’un petit village anglais, où tout le monde se connaît et où tout le monde a entendu les histoires d’Amy à propos du Docteur...
Je ne suis pour l’instant pas absolument convaincu que Karen Gillan est une actrice géniale. Cela dit, passer après Catherine Tate est au moins aussi difficile que passer après David Tennant, sans compter que cet épisode lui donne moins d’occasions de prendre le rôle en main qu’à Matt Smith. Reste que « The Eleventh Hour » montre sa capacité à assurer plusieurs registres, et notamment à tenir tête au Docteur en terme de charisme et de personnalité, nous ne sommes donc pas face à une nouvelle Martha.

Who’s the man ?!

Difficile de garder le moindre doute à propos de Matt Smith après cet heure. Le bonhomme est simplement époustouflant. Charmant, maladroit, il passe une bonne partie de l’épisode à lutter contre les effets de sa régénération avant de retrouver une composition au moment de convoquer les geôliers du prisonnier zéro. Matt Smith a le charisme, l’espièglerie et la folie parfaite pour le rôle et propose un Docteur allégé d’une partie du pathos portée par David Tennant à la fin de son run. La prise de pouvoir du Docteur de Matt Smith, sur le toit le l’hôpital, quand il se pose en gardien de la Terre et apparaît au milieu des images des dix visages précédents du Docteur, est épique et iconique et montre que le personnage n’a rien perdu de sa superbe. Il est aussi le nouveau Docteur qu’on nous a promis. Celui qui ouvre le Tardis d’un claquement de doigts et qui possède un nouveau tournevis sonique.
La menace de la saison est de son coté clairement (un peu lourdement) installée : ’’The cracks in the skin of the universe, don’t you know where they came from ? You don’t, do you ? The universe is cracked, the Pandorica will open, silence will fall.’’
Plus subtil, l’idée qu’il y a un motif caché à son invitation à Amy. Lorsque celle-ci vient d’entrer dans le nouveau Tardis, et qu’elle le questionne justement à ce sujet, un appareil du Docteur, qu’il s’empresse d’éteindre, bourdonne en affichant une ligne similaire à la fissure du mur de la chambre d’Amy. Amy, qui à peine entrée dans le Tardis pousse des boutons ? On t’a à l’oeil !

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Ch-ch-changes

Sur le plan de la narration, la série s’inscrit clairement dans la continuité du run de Russell T Davies. Il n’y a pas de rupture ou de reboot, c’est bien la même série qui continue, et des éléments inventés par Davies, comme le papier psychique et la Shadow Proclamation sont mentionnés. De même, la menace extraterrestre continue d’être visible, et les humains de cette planète habitués à leur présence régulière, élément majeur de l’héritage Davies. L’ambiance conte de fée, un peu trop appuyée par les dialogues, comme elle l’avait été lors de la promo, est effectivement présente. Surtout, on constate très clairement une ambition de monter en gamme sur le plan de la réalisation (le fait qu’aucun ancien réalisateur de ces dernières années n’ait réalisé d’épisode cette année apparaît du coup comme quelque chose de délibéré, plutôt que comme une coïncidence). Globalement, la série en profite, et l’épisode regorge de moments/images iconiques.
Il y a plus de travellings, de soin apporté aux cadres, et la photographie s’inspire clairement du cinéma hollywoodien récent (quitte à en reprendre aussi les défauts : vivent les bonshommes oranges sur fond bleu). On pense aussi à la séquence où Amy décide de suivre le Docteur, avec un joli passage au ralenti mais une dispensable tâche bleue. Et puis, bien sûr, il y a la séquence dans la tête du Docteur, qui fait appel à la fois à un regard caméra et à une scène entière réalisée à partir de centaines de photographies. L’ensemble permet à la série de proposer des production values assez spectaculaires, quand bien même le passage en HD affecte clairement la qualité des CGI (le vaisseau des Atraxi n’est pas une réussite). Le décors de l’intérieur du Tardis en est une, lui, et ses niveaux et portes amenant Dieu-sait-où ont de quoi animer l’imagination des fans !
Par chance, Murray Gold, le compositeur de la série depuis 2005, est resté. C’est une chance tant il joue un grand rôle dans le caractère épique qu’a la série, quand bien même elle montre essentiellement des gens courir dans des couloirs. Mais la nouvelle ère lui donne l’occasion de réinventer un nouveau son, et tous les anciens thèmes disparaissent. Le motif musical principal de cet épisode est superbe. En revanche, que ce soit pour le thème ou le visuel, je ne suis pas du tout convaincu par le nouveau générique, qui aurait été plus à sa place pour une version dessin animé de la série. Je risque de m’y faire avec l’habitude. Comme il est plaisant de savoir que je vais le revoir ces douze prochaines semaines !

« Doctor Who » fait un retour festif et marquant, immensément gratifiant pour le fan qui assiste à une régénération très réussie, en même temps qu’à la mise en place d’éléments très prometteurs pour la suite, dont le moindre n’est pas Matt Smith, qui s’annonce comme un Docteur aussi grand que les deux qui l’ont précédé. On le savait déjà, mais c’est confirmé : la série est entre les meilleures mains qui soient.
Oh, et la bande-annonce qui suit l’épisode, qui étend l’une des dernières diffusée, est une pure tuerie !

L’anecdote rigolote qui sert à rien.
Sans doute ceux qui ont lu « The Writer’s Tale » n’ont-ils pas manqué de se souvenir d’un mail précis de Steven Moffat envoyé à Russell T Davies et qui figurait dans le livre. Les deux scénaristes ayant déjà eu plusieurs occasions d’avoir des idées similaires à peu près au même moment, Moffat écrivait à Davies pour s’assurer que le Docteur aurait bien sa cravate à la fin de « The End of Time part 2 », et qu’il ne la détruisait pas pour sauver le monde à la fin de l’épisode...
Sans ça, impossible d’écrire et de tourner la scène ou Amy attrape le Docteur passe sa cravate et le retient prisonnier en la claquant sur elle la portière d’une voiture...

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Dernière mise à jour
le 22 octobre 2011 à 01h59