DOCTOR WHO – 5.02 : The Beast Below (La bête des bas-fonds)
« Once every five years, every one choose to forget what they’ve learned. Democracy in action ! » - Le Docteur
Par Sullivan Le Postec • 11 avril 2010
Embarquée à bord du Tardis, Amy Pond va maintenant vraiment apprendre à découvrir le Docteur et son Univers, mais aussi prouver sa valeur.

Steven Moffat n’est pas Dieu et il ne peut, pas plus que quiconque, livrer six ou sept « Blink » par an. Quelque part, cela a quelque chose de rassurant. D’autant que « The Beast Below », émouvant petit conte philosophique, n’a rien d’indigne.

The Beast Below

Scénario : Steven Moffat, réalisation : Andrew Gunn.
Le Docteur emmène Amy dans l’espace et lui fait découvrir, autour de l’an 3300, ’Starship UK’ : des tempêtes solaires brûlent la Terre et ses habitants ont du temporairement s’exiler à bord de vaisseaux-pays. Celui du Royaume-Uni cache un terrible secret, que tous ses habitants votent pour oublier tous les cinq ans. Apprenant la vérité, Amy choisit à son tour de l’effacer de sa mémoire, mais cela ne suffit pas pour arrêter le Docteur dans son enquête, dans laquelle il est aussi aidé par la Reine Élisabeth 10, qui se trouve au cœur de ce secret d’une façon qu’elle n’avait pas imaginé...

Fairy Tale

Cela fait un moment que Steven Moffat répète en boucle qu’il souhaite que son « Doctor Who » tienne du Conte de Fée, jusqu’à l’inclure dans les dialogues de l’épisode d’ouverture de la semaine dernière. Le léger problème est qu’en dehors de certains éléments de look, plus éthéré, plus sombre et bleuté, moins brillant et blockbustrien que sous l’ère précédente, je ne voyais pas forcément très bien ce que cela voulait dire.
Steven Moffat a enfin l’occasion de fournir une explication plus complète dans le « Confidential » de cet épisode. Pour lui, un conte de fée, c’est une histoire qu’on raconte aux enfants pour les mettre en garde, de la manière la plus agréable possible, des dangers que recèle le monde. Et pour lui, « Doctor Who » procède de ce genre avant tout autre. C’est particulièrement apparent dans cet épisode, notamment parce que cette intention se fait parfois presque à son détriment. « The Beast Below » comporte en effet quelques failles de logique auxquelles on n’est pas habitué dans un scénario de Moffat. Mais écrire un ou deux épisodes par an, ce n’est pas la même chose que d’en écrire sept. Alors on doit accepter que la Baleine des Étoiles si sensible aux sorts des enfants accepte en revanche de manger leurs parents contestataires ou ’’citoyens de peu de valeur’’, mais aussi que le Docteur reparte de Starship UK sans justement avoir posé la question de ce que la Baleine allait maintenant manger.
Sans compter que le Docteur, Amy et la Reine trimballent avec eux la petite fille héroïne des premières scènes sans la moindre raison, et en plus sans que cela ne serve à rien (la révélation de l’affection de la Baleine pour les enfants aurait tout autant pu être montrée avec des enfants de la tour de Londres). Et même le moment purement Moffatien, les verres d’eau immobile, n’est pas logique : on ne voit pas très bien comment le système de propulsion organique de Starship UK peut n’entraîner aucune vibration. Il devrait plutôt en provoquer plus qu’un moteur !

Un conte philosophique et politique

Si certains éléments semblent un peu arbitraires, et surtout ne pas provoquer la réaction attendue du Docteur, ils n’empêchent pas totalement l’épisode de fonctionner notamment parce qu’ils servent son propos, qui ne cache pas son point de vue sombre sur la démocratie et l’organisation politique des Humains. C’est de toute façon un trait ancien du Docteur, qui a toujours été un rebelle, un franc-tireur chez les Time-Lords, souvent jugé et puni par son peuple dans l’ancienne série pour son attitude quasi-libertaire. Cette défiance vis à vis de l’autorité est toujours à l’œuvre dans la nouvelle série, et on se souvient notamment du sort que fit le Docteur à Harriet Jones. “C’est ce que je fais, à chaque fois, chaque jour, chaque seconde. Accroches-toi, nous allons faire tomber le gouvernement !
N’hésitant pas à impliquer que tout système politique est basé sur l’aveuglement et que toute démocratie est factice, les quarante-deux minutes de « The Beast Below » sont ironiques alors que la BBC communiquait récemment sur le fait que « Doctor Who » ne se mêlait jamais de politique – ce qu’elle fait tout le temps, comme toute bonne science-fiction. “Tous les cinq ans, chacun choisit d’oublier ce qu’il a appris. La démocratie en action !” s’exclame le Docteur. L’épisode n’omet pas de pointer que l’apparente démocratie est largement factice : non seulement le vote est largement orienté, mais en outre, si 1% de protestataires peut remettre en cause le système, ce pour-cent doit littéralement se sacrifier, les contestataires servant de nourriture à la Baleine. Tout cela tenant debout uniquement grâce à la loi du silence d’un État-policier qui cache sa surveillance permanente sous un sourire qu’on aura voulu bienveillant mais qui est si factice qu’il en est effrayant (Londres est la ville du monde la plus vidéo-surveillée). On aura rarement vu discours aussi ouvertement révolutionnaire dans une série qui s’adresse largement aux enfants.
Le conte philosophique autour du sort fait à la Baleine des Étoiles, sur lequel chacun préfère fermer les yeux pour que Starship UK puisse continuer à avancer, est laissé volontairement flou pour que chacun puisse y voir ce qu’il veut selon sa propre conscience. Désastre écologique, esclavagisme, famines évitables : nos aveuglements choisis sont de toute façon nombreux...

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Un Smiler

The girl who ran away

La semaine dernière, j’ai commis cette phrase : « je ne suis pour l’instant pas absolument convaincu que Karen Gillan est une actrice géniale ». Je crois bien que j’ai donné là à mon lectorat de quoi m’humilier pour les prochaines années.
Après un épisode où elle n’avait effectivement pas grand-chose d’autre à faire que courir après le Docteur avec un air d’incompréhension et d’étonnement sur le visage, « The Beast Below » donne à Karen Gillan de la matière émotionnelle avec laquelle jouer, alors même qu’un élément comme le passage d’Amy dans la cabine de vote et son message à elle-même est finalement sous-employé. Conclusion : nous avons là un duo au moins à la hauteur de David Tennant et de Catherine Tate, tout en étant d’une insolente jeunesse. Ce n’est plus un casting réussi, c’est un triomphe.
Tant Karen Gillan que Matt Smith sont bien aidés par des dialogues brillants, enlevés et riches, mémorables. Et l’épisode aboutit à une résolution émotionnelle dont tous les éléments ne fonctionnent pas pleinement (la révélation que la Reine est à l’origine du système, notamment, parce qu’on l’a trop vu venir). Mais ceux qui fonctionnent, c’est à dire tout ce qui tourne autour d’Amy, et de son choix d’action qui a épargné au Docteur un acte qu’il ne se serait jamais pardonné ont une réelle puissance et installent très efficacement la présence d’Amy dans la série. Le duo est formé, soudé ayant prouvé sa complémentarité, et est prêt maintenant à affronter maintes aventures.
La prochaine les appelle d’ailleurs dès la fin de cet épisode. On remarque en outre que ces deux premiers épisodes se terminent chacun sur un cliffhanger, ce qui révèle une volonté de renforcer la sérialité de la série. Je suis de ceux qui trouvent beaucoup de limites à la mode actuelle de l’hyper-feuilleton, mais en l’occurrence ces éléments de lien et cliffhangers sont pour l’instant bien gérés, et plus excitants qu’encombrants.

Thématiquement et émotionellement solide, « The Beast Below » ré-expose la mécanique de la série en soudant le duo Docteur-Amy. Les deux acteurs ont d’ailleurs la matière pour exposer leur talent, qui est très grand. De quoi passer outre une histoire qui tient parfois un peu du bricolage hâtif et pas tout à fait maîtrisé.
Et la semaine prochaine, les Daleks sont de retour !

L’anecdote rigolote qui sert à rien.
Cet épisode recèle beaucoup de références à « Star Wars » dont la plus évidente est peut-être la scène à l’intérieur de la bouche de la Baleine, qui évoque « L’Empire Contre-Attaque ». Mais la Reine elle-même n’est pas éloignée de la Princesse Leïla. Un hommage très volontaire, comme en témoigne le changement de scène par un effet de balayage de gauche à droite à la fin de l’épisode, ces transitions étant une signature de la trilogie (ou sextalogie si vous voulez vraiment que je me rappelle l’horreur que furent les trois récents épisodes)

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Dernière mise à jour
le 12 février 2011 à 22h34