DOCTOR WHO - SP.01 : The Next Doctor
Deux esprits en fugue...
Par Sullivan Le Postec • 27 décembre 2008
Le traditionnel épisode de Noël de « Doctor Who » introduit une année particulière pour la série, sans saison régulière de 13 épisodes, mais avec seulement cinq épisodes spéciaux...
France 4 le diffuse elle-même en guise de célébration tout juste un an après la BBC, le 25 décembre 2009, sous le titre « Cyber Noël »...

Russel T Davies a beaucoup de qualités. Il a aussi le défaut d’être incorrigible. C’est pourquoi il a titré cet épisode « The Next Doctor », sachant qu’il formulait là une promesse qu’il ne tiendrait pas, comme cela avait déjà été le cas la saison dernière avec le titre « The Doctor’s Daughter » ou le cliffhanger de l’avant-dernier épisode qui engageait une régénération du Docteur. Par chance, je n’y ai cette fois jamais cru. Pas de frustration de mon coté, donc, juste l’intérêt sincère porté au mystère qui sous-tend la première demi-heure de l’épisode : comment un homme de l’ère Victorienne peut-il être persuadé d’être le Docteur ?

The Next Doctor

Scénario : Russel T Davies ; réalisation : Andy Goddard.
Plus seul que jamais, le Docteur arrive à Londres à l’ère Victorienne en 1851. A peine a-t-il le temps de poser le pied que quelqu’un appelle le Docteur à l’aide. Il accoure, seulement pour découvrir que ce n’est pas lui que l’on attend. Un autre Docteur est là. Le prochain Docteur ?
Notre Docteur a peu de temps pour se poser la question, puisqu’ils doivent affronter un cybershade, des servants des Cybermen. La destruction des frontières entre les réalités causée par Davros a permis à quelques Cybermen de s’échapper du néant dans lequel ils avaient été envoyés à la fin de la saison 2. L’autre Docteur enquête avec son compagnon Rosita, suite à la mort d’un homme appellé Jackson Lake, qui aurait été la première cible des Cybermen. Le Docteur réalise vite que son interlocuteur n’est pas un Seigneur du Temps, mais un simple humain, étrangement persuadé d’être lui...
Les Cybermen travaillent de concert avec Miss Mercy Hartigan, une femme aigrie et qui souhaite se venger d’une vie passée dans l’ombre d’hommes qui ne lui ont jamais fait crédit de son exceptionnelle intelligence, juste parce qu’elle est une femme. Ils font enlever les enfants de la ville pour les forcer à travailler dans une cyber-usine. L’objectif : la création d’un ‘‘Cyberking’’.
Le Docteur comprend que son soi-disant successeur est en fait Jackson Lake lui-même, dont l’esprit a fugué après avoir assisté à la mort de sa femme des mains des Cybermen, et qui a été exposé à un tube d’information sur le Docteur.
Les Cybermen sont prêts à activer le Cyberking. Miss Hartigan comprend trop tard que c’est son corps et son cerveau que les Cybermen ont choisi d’utiliser pour ce dessein. Son esprit se révèle cependant plus fort que la machinerie des robots et garde la capacité de ressentir des émotions.
Le Docteur et Jackson arrivent pour libérer les enfants. Jackson réalise alors qu’il a aussi un fils, qui lui avait été enlevé par les Cybermen. Le Docteur parvient à sauver l’enfant avant que l’usine ne soit détruite. Le Cyberking se dresse dans Londres, il s’agit en fait d’un robot géant qui permet à Hartigan d’exprimer toute la puissance de son ressentiment envers la ville et ses habitants. Le Docteur emprunte le ‘‘Tardis’’ de Jackson Lake, un ballon, pour s’élever à la hauteur du Cyberking. Il redonne à Hartigan le plein contrôle de son esprit. Celle-ci hurle d’effroi en réalisant ce qu’elle a fait. Les Cybermen sont détruits et le Cyberking commence lui-aussi à s’autodétruire. Le Docteur utilise l’instrument Dalek qui a amené les Cybermen ici pour propulser le robot géant en train de s’effondrer dans une autre dimension.
En bas, Jackson Lake encourage toute la ville de Londres à donner au Docteur ce qu’il n’a jamais eu : une longue salve d’applaudissement en remerciement. Une fois revenu à Terre, Jackson demande au Docteur pourquoi il n’a plus de Compagnon avec lui. « Parce qu’au bout du compte, ils me brisent le cœur, » répond le Docteur. Après avoir initialement refusé, il décide toutefois d’accepter un repas de Noël avec Jackson, son fils Frederick et Rosita...

The Two Doctors

Russel T Davies a envisagé ce titre pour cet épisode et très honnêtement, il aurait fait beaucoup plus sens que celui qui a finalement été choisi, qui n’avait pas d’autre but que d’exciter les fans sur les forums au risque de créer une nouvelle fois de la déception. Davies pense certainement que le fandom de « Doctor Who » est tellement aigri qu’il n’est plus à ça prêt, et il n’a sans doute pas tord, mais ce n’est pas une raison.
Par ailleurs, ce titre aurait aussi souligné la structure de cet épisode, clairement divisé en deux parties d’une demi-heure. La première repose sur le mystère de l’identité de l’autre Docteur. Non pas que l’épisode joue réellement du suspense lié à la possibilité qu’il soit réellement le prochain Docteur, ne serait-ce que parce qu’il ressemble trop à celui de Tennant, ou encore parce que Rosita semble très vite être d’avantage un archétype de Compagnon plus qu’un Compagnon réel (d’où son prénom qui contracte Rose et Martha).
De manière amusante, lorsqu’il essaye de raviver sa mémoire, le dixième Docteur cite « Blink », un épisode de Steven Moffat, qui prendra la relève de Davies sur la saison 5 (qu’on ne verra pas avant 2010 mais qui se trouve en pleine écriture au moment où j’écris et vous lisez ces lignes, comme c’est rageant !).

L’hypothèse du futur Docteur est définitivement écartée dès la neuvième minute, alors que le personnage de David Morrissey brandit un vrai tournevis en lieu et place du célèbre tournevis sonique. La question de savoir qui il est vraiment est cependant encore tenue vingt minutes après cela, soulignant que le point n’était réellement pas d’entretenir le doute sur la question du prochain Docteur.
Ce mystère est tenu tandis que les deux Docteurs sont montrés sympathisants l’un avec l’autre grâce à une série de cabrioles assez cartoonesques (ne serait-ce que parce que, d’un point de vue bêtement pratique, la longueur de la corde ne cesse de changer) lors d’un affrontement avec un Cybershade puis deux Cybermen dans la maison de Jackson Lake.

A propos des Cybershades, je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé entre le scénario de Davies qui parlait de visages de Cybermen drapés de noir et ce qui est donné à voir dans l’épisode, c’est-à-dire des espèces de grosses peluches à têtes de Cybermen, mais le résultat est en tout cas d’un ridicule assez marqué. Les Cybershades rejoignent facilement le top 5 des ‘craignos monsters’ les plus craignos depuis le reboot de la série.

Toute cette partie de l’épisode tient beaucoup dans la performance de l’impérial David Morrissey, qui retrouve ici David Tennant après « Blackpool » et fait partager avec beaucoup de subtilité et de classe le désarroi de son personnage, un homme à la mémoire effacée qui s’est enfui dans une autre identité plutôt que d’affronter d’avoir vu sa femme tuée et son fils enlevé sous ses yeux par des créatures totalement inconnues de lui. La scène de la révélation de sa réelle identité est fantastique.
Parallèlement, nous sommes présentés au personnage de Miss Hartigan, qui donne lieu à une excellente performance de la part de Dervla Kirwan – et ce quand bien même le personnage a clairement souffert de la place prise par le duo des deux Docteurs et aurait sans doute gagné à être approfondi. Néanmoins, elle reste un des méchants les plus intéressant de l’ère Davies, notamment de part sa motivation. Elle n’est pas régie par l’appât du gain, comme les 3/4 des baddies Daviesien, mais réagit à sa condition de femme oppressée par une société violemment sexiste.

Cette première partie tranche franchement avec les trois précédents épisodes spéciaux de Noël qui, d’une part, se situaient tous sur la Terre de nos jours (quoi que « Voyage of the Damned » trichait un peu en se situant majoritairement dans un Titanic spatial en orbite autour de la Terre) et, d’autre part, faisait la part belle au grand spectacle et aux effets, tendance qui avait culminé l’année dernière. Nous sommes ici dans un cadre nettement plus intimiste, ce qui est renforcé par l’atmosphère victorienne. Probablement autant pour des raisons de budget que d’affirmation du style, Davies a d’ailleurs situé au final l’affrontement des deux Docteurs avec les Cybermen dans les escaliers de la maison de Jackson Lake alors que le script original prévoyait un réel combat à l’épée sur les toits.

Cyberking

Une fois la révélation de l’identité du ‘‘Next’’ Doctor est faite, l’épisode bascule à plusieurs niveaux. D’abord, dans le rapport entre les personnages. En effet, durant la première demi-heure le personnage de Morrissey avait nettement pris l’avantage et le Docteur s’était vu confier le rôle du Compagnon. Les places s’intervertissent ensuite lorsque le Next Doctor redevient Jackson Lake et que le dixième Docteur reprend la main. Cet épisode de Noël reprend alors une ambiance plus traditionnelle et retourne au grand spectacle : démultiplication du nombre de figurants, décors spectaculaire de la cyber-usine (une ‘redressing’ très réussi du décor principal de « Torchwood ») pour finir par le Cyberking, robot géant déambulant dans une Londres victorienne reconstituée en image de synthèse.
L’émotion bascule également du coté du Docteur légitime. La première partie de l’épisode montrait en effet la manière dont Jackson Lake s’était emparée de la personnalité du Docteur dans un processus de fugue mentale pour échapper à la tragédie qu’il venait de vivre. Le seconde replace le goût de l’aventure du Docteur comme sa manière de fuir sa propre tragédie. C’est-à-dire être le dernier Seigneur du Temps, sans pair avec qui partager sa vie qui n’est fixée ni dans le temps, ni dans l’espace. Ses amitiés avec des Compagnons humains sont condamnées à être des instants à son échelle, avant qu’ils ne retournent à leur propre vie, comme Martha, ou bien que les conséquences de leurs aventures elles-mêmes ne les condamnent à une séparation tout à fait définitive, comme ce fut le cas de Rose ou de Donna. Le Docteur doit tenter de maintenir dans ses relations un équilibre en définitive impossible à trouver.

Ce traitement de la thématique de la solitude absolue du Docteur tire la conséquence du run de Davies sur la série qui, en quatre saisons, a parfois confiné à la torture émotionnelle comme l’a magnifiquement incarné le final de la quatrième saison. « The Next Doctor » le laissait supposer, Davies l’a depuis confirmé, ce thème continuera d’être traité dans les quatre épisodes spéciaux restants. Le temps de remettre le Docteur en situation de repartir vers des aventures moins solitaires au printemps 2010, au démarrage de la cinquième saison.

D’ici là, on aura encore quatre fois une heure pour faire nos adieux au dixième Docteur de David Tennant. Le prochain épisode spécial, « Planet of the Dead », sera diffusé à Pâques. Les dates de diffusion des suivants ne sont pas encore officiellement annoncées, mais on sait déjà que les deux derniers constitueront une histoire en deux parties diffusés à peu de temps d’intervalle. Russel T Davies promet quelque chose d’épique. On n’a pas de peine à le croire.


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