FICTION FRANCAISE — La série longue au bout du tunnel
TF1 la promet pour bientôt, France 3 la met à l’antenne cette saison.
Par Sullivan Le Postec • 28 septembre 2008
On en parle depuis des années, il semble qu’elle arrive enfin. La France veut pouvoir proposer des séries de prime-time comptant au moins 12 épisodes par an.

La série longue. Dans le jargon, elle désigne une série de prime-time aux processus de production optimisés pour pouvoir produire au moins 12 nouveaux épisodes chaque année. Voire 20 ou 22 pour s’aligner sur les standards américains.

En France, on parle de la série longue avec insistance depuis près de cinq ans, c’est-à-dire depuis que le secteur a commencé à prendre conscience que l’ère des séries sorti du moule « Navarro » allait devoir prendre fin si la fiction française voulait rajeunir son public et retrouver des débouchés à l’export. Mais, au-delà des paroles, on a longtemps rien vu venir.

Repenser la production

C’est que la série longue impose de repenser de A à Z les modes de productions de la fiction télévisée française, longtemps calquée sur l’artisanat du cinéma. Par déférence envers une certaine idée de la création, notre fiction a en fait cumulé les handicaps : un volume de production faible, une exportabilité considérablement réduite par la propension à produire des objets télévisuels non-identifiés, une capacité faible à fidéliser le public. Sans parler de la liberté créative inexistante car, comme nous avions déjà eu l’occasion de l’écrire, à la télévision c’est paradoxalement par le truchement de l’industrialisation que le créatif peut espérer regagner du pouvoir sur le diffuseur. Quand il faut produire 20 épisodes à l’année, il faut accorder une certaine confiance aux scénaristes : il devient compliqué de remettre constamment en cause leurs orientations et de demander des réécritures sans limites.

Pour pouvoir produire un minimum de 12 épisodes par an, la première étape est d’investir massivement dans l’écriture : c’est en effet difficile d’y arriver sans monter un véritable atelier de scénaristes qui s’investissent à quasi plein-temps sur la série. Et qu’il faut donc rémunérer en conséquence.
On notera que les Anglais, eux, arrivent à produire des séries de 13 épisodes par an sans ateliers (trop chers), mais cela passe par l’installation d’un showrunner scénariste-producteur, qui distribue les cartes et joue un rôle crucial. Un poste qui n’existe pas encore en France (à l’exception peut-être d’Alexandre Astier) et dont la création semble encore utopique (même si, à l’occasion, on en parle).
De la même manière, la réalisation des épisodes doit être repensée. Pour tenir ce rythme, il n’est pas possible qu’un réalisateur unique s’occupe seul de la mise en scène d’une saison. L’alternance des réalisateurs et des équipes permet d’optimiser les temps de tournage. Canal+ a coupé ses saisons en deux, les partageant entre deux (occasionnellement trois) réalisateurs. Pour les nouveaux épisodes de « RIS », TF1 est allée plus loin en passant au réalisateur changeant à chaque épisode, comme les américains et les Anglais sur leurs propres séries longues. Une formule controversée chez les réalisateurs qui y voient une perte d’influence. Elle tend, c’est vrai, à la création de type de réalisateurs, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Il y a la A-List, ceux qui réalisent les Pilotes et créent les styles visuels des séries. Et il y a les autres, globalement chargés de marcher dans leurs pas, de ‘‘recopier’’ ce style. Mais ne soyons pas caricaturaux : des séries américaines ont prouvé qu’elles pouvaient laisser la place, épisode après épisode, à un vrai point de vue de réalisateur. Mais cela suppose que la fiction française continue de s’ouvrir dans ses sujets.

Le long chemin

La série longue avait pour la première fois parue toute proche lorsque, fin 2006, la Direction de la fiction de France 2 annonçait qu’elle allait choisir rapidement une série, ancienne ou nouvelle, qu’elle passerait rapidement à une commande de vingt épisodes par an. Et puis est arrivé ce qui arrive trop souvent à France Télévision. Changement d’équipe, changement de stratégie, et quelques mois plus tard, on nous faisait savoir que ‘‘la série longue [n’était] pas la panacée’’.
Il faut noter, tout de même, que les séries vedettes de la chaîne, « PJ » et « Avocats & Associés » ont tourné 12 épisodes par an pendant plusieurs années. Ce fut une part de leur succès, même si le fait de les découper en deux mini-saisons de six épisodes, aussi bien en terme de production que de diffusion, n’a permis ni à la fonction ‘‘rendez-vous’’ de jouer à plein, ni aux processus de production de s’adapter entièrement au format long. Tourner 12 épisodes d’affilé permet en effet des économies d’échelle notables.

Au moment de cette rentrée, TF1, qui est progressivement reprise en main par sa nouvelle équipe, a fait l’actualité en annonçant clairement la couleur, notamment par le biais de Laurent Storch, Directeur des Programmes interrogé par Le Point. Celui-ci déclarait : ‘‘Désormais, on refusera tout projet de série en dessous de douze épisodes par saison. L’objectif est d’atteindre 20 épisodes par saison. Si dans deux ans, nous avons mis en place 3 ou 4 séries françaises capables d’aligner 12 à 20 épisodes, je vous garantis que le problème de la fiction française sera derrière nous’’.
Il est donc clair que les modes de productions expérimentés par la chaîne sur « RIS » sont destinés à être déclinés et, à terme, à devenir la norme de la chaîne.

Pendant que TF1 faisait ses effets d’annonce, largement repris et commentés, France 3 s’apprête à mettre à l’antenne deux séries longues au cours de cette saison 2007/2008. Evidemment, personne n’est au courant, c’est l’éternel problème de la chaîne, qui traine son image vieillotte comme un boulet et dont la communication, traditionnelle et beaucoup trop discrète, n’arrive pas à prendre. France 3 conçoit des programmes qui devraient, en théorie, lui permettre de rajeunir son public. Reste à faire savoir au public en question que ces programmes existent...

Disparitions

« Disparitions » arrivera à l’antenne cet automne, pour six soirées de deux épisodes de 52 minutes. Produite par & Associé, et inspirée du roman « L’or des Maures », la série qualifiée de thriller ésotérique a été filmée à Toulouse avec l’ambition d’optimiser le tournage pour limiter les coûts. Trois réalisateurs (Robin Davis pour les deux premiers épisodes, puis Olivier Jamain et Bruno Gantillon) se sont succédés sur le plateau. “Nous tournons entre 6,5 et 8 [minutes utiles] par jour, en comptant le travail de la deuxième équipe”, décrivait au Film Français Christian Charret, un des producteurs.

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Disparitions

Pour écrire ces épisodes, l’atelier de scénaristes, dirigé par Nicolas Durand Zouky s’est composé de Sylvie Coquart, Cristina Arrelano, Simon Jablonka, Benjamin Dupas, Séverine Bosschem et Magaly Richard Serrano (Séverine Bosschem a travaillé sur la première saison de « Reporters », Simon Jablonka est le co-créateur de « Cellule Identité »). Les producteurs Christian Charret et Arnaud Figaret annoncent une série originale, ‘‘entre le feuilleton d’été à la française et une série américaine à la « Twin Peaks »’’. Anne Holmes, directrice de la fiction de France 3 complète la note d’intention et annonce l’ambition : ‘‘Le mélange des genres policiers, avec le thriller psy¬chologique et des aspects plus troublants, permet d’envisager une série feuilletonante sur le long terme, avec de nombreux rebondissements. Ce qui est beaucoup plus compliqué à faire si la série est purement romanesque comme c’était, par exemple, le cas avec notre précédent feuilleton d’hiver, « Le réveillon des bonnes »’’. Il faut noter que si on remonte à son origine, la série avait été d’abord envisagée comme un 26’ quotidien. Même si le projet a beaucoup évolué, il est donc clair que l’inscription dans la durée fait partie de son ambition originale.
Le pitch de départ est un peu abracadabrantesque, et en cela rappelle ses racines dans la saga de l’été :
Alors qu’ils sont dans les Pyrénées avec leur professeur de fac, Raphaël Sormand, un physicien réputé, Antoine Deslambres et Claire Etxebarra sont victimes d’un brutal accident dans lequel l’étudiante perd l’usage de ses jambes. Afin d’oublier leur passé, Antoine et Claire décident de se séparer.
Mais quinze ans plus tard, la mort d’une jeune fille dans les Pyrénées rovoque leurs retrouvailles. Estelle, la victime, n’est autre que la fille de Sormand. Elle a été retrouvée morte dans une grotte des Pyrénées, victime d’un rituel macabre. Antoine, devenu policier spécialisé dans la lutte contre les sectes, est appellé à Toulouse pour diriger l’enquête. Après toutes ces années, il tient toujours son ancien professeur pour responsable de l’accident.
Parrallèlement, Claire, devenue psychiatre, est aussi de retour à Toulouse, accompagnée de son fils Andreu et de Marie, l’amie qui l’a aidée à se reconstruire après le drame.

On jugera sur pièce cet automne sur France 3 ; pour l’instant on se dit que le résultat pourrait tout autant être très intéressant que très kitsch. On a plus tendance à être aveuglément confiant dans l’autre projet de série longue en développement...

Un Village Français

Cela fait quelques temps que l’on entend régulièrement parler de « Un Village Français ». On aura enfin l’occasion de la découvrir à la fin du printemps prochain. Cette production a pour elle un vrai pitch de série, potentiellement très riche et excitant : suivre pendant cinq ans, et donc cinq saisons, la vie d’une petite ville française sous l’occupation.
11 Juin 40. Villeneuve, petite ville du centre de la France. Pendant que le docteur Daniel Larcher s’apprête à accoucher une jeune réfugiée, son frère, Marcel, tient une réunion clandestine avec ses camarades du parti, l’industriel Raymond Schwartz trompe sa femme avec Marie, sa métayère, alors que Lucienne, jeune institutrice, emmène ses élèves en excursion... quand soudain un avion allemand plonge sur Villeneuve et prend pour cible les enfants.
L’Occupation vient de commencer. Pendant cinq ans, nous allons partager le destin de ces héros ordinaires, découvrir leurs failles, leurs désirs, leurs secrets et leurs capacités à vivre en eaux troubles.
Pendant cinq ans, nous allons vivre avec eux et nous interroger : et nous, qu’aurions nous fait sous l’occupation ?

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Un Village Français

L’atelier d’écriture est composé de Frédéric Azémar, Brigitte Bémol, Sylvie Chanteux, Benjamin Dupas, Marine Francou, Cédric Salmon, Claude Cauwet, Séverine Jacquet et Christiane Lebrima. Il est dirigé par Frédéric Krivine, le premier à avoir créé un tel atelier, à l’époque des premiers épisodes de « PJ », et un homme qui a vu venir dix ans avant les responsables de chaînes les évolutions sans lesquelles la fiction française ne survivrait pas. Krivine a fait appel à Jean-Pierre Azéma pour tenir le rôle de consultant historique afin d’évoquer avec précision, nuance et subtilité cette période complexe. “C’est aussi pour cela qu’on a imaginé une série chorale, dotée d’un grand nombre de personnages, où chacun détient une part de vérité”, explique le producteur Emmanuel Daucé (Tétra Média). “Cela permet de montrer ce qu’on n’a pas le temps de développer avec un film d’une heure trente : les motivations intimes de ceux qui entrent en Résistance, qui choisissent la collaboration ou qui restent dans l’entre-deux…”
Philippe Triboit (« Engrenages », « L’embrasement ») réalise les six premiers épisodes, tournés en ce moment (le tournage reprendra après quelques semaines de pause pour les six épisodes suivant). Le casting réunit Marie Kremer, Nicolas Gob, ou encore Audrey Fleurot.

Certains objecteront sans aucun doute que la période a déjà été abondamment traitée. Mais on donnera sans hésitation raison à Emmanuel Daucé : la période semble enfin pouvoir bénéficier, avec « Un Village Français » d’un traitement à la hauteur du sujet. Ce n’est pas tous les jours qu’un projet français capitalise autant sur les atouts du format série, ce qui n’est guère étonnant de la part de Frédéric Krivine. Les talents réunis derrière et devant la caméra figurent d’ailleurs parmi les premières raisons d’être impatient de se laisser tenter par la découverte de ce Village-là.

Dernière mise à jour
le 17 février 2011 à 00h17