IMPRESSIONS – Sherlock, 1x02 : Le Banquier Aveugle (The Blind Banker)
Who wants to be a million-hair ?
Par Sullivan Le Postec • 9 janvier 2011
En attendant le bilan de fin de saison, retrouvez nos premières impressions. Retour sur « Le Banquier Aveugle », qui est peut-être l’enfant délaissé parmi les épisodes de la première saison de « Sherlock ».

Le deuxième épisode de « Sherlock » a la particularité d’être celui des trois qui n’est pas écrit par l’un des deux co-créateurs/producteurs exécutifs. Et il n’est pas non plus réalisé par le génial Paul McGuigan, mais par Euros Lyn (à l’œuvre sur de multiples épisodes de « Doctor Who » et « Torchwood » : Children of Earth »).

Et pour être honnête, cela se voit un peu à l’écran, même si je n’irais certainement pas jusqu’à joindre ma voix à ceux qui disent que l’épisode est carrément mauvais. Il souffre certainement, à l’inverse du premier épisode, de donner l’impression d’avoir à combler un peu pour atteindre les 90 minutes, là où « A Study in Pink » déroulait son heure et demie comme un TGV. Et si Euros Lyn est un réalisateur très compétent (son travail sur cet épisode surclasse 90% de ce qu’on voit à la télé française), il est clairement en dessous du travail époustouflant et extraordinaire de McGuigan, du dynamise de ces images, et de ses cadres recherchés, originaux et signifiants.

On ne peut s’empêcher, aussi, de penser que l’épisode a manqué de quelques attentions qui auraient pu aider à le redresser, et donc d’une ré-écriture un peu solide. L’élément le plus évident étant l’idée du Cirque Chinois, que Sherlock ‘‘invite’’ Watson et Sarah à aller voir, pensant que c’est la couverture idéale permettant d’arrêter l’assassin. Sauf que sur place, Watson regarde autour de lui et constate qu’on atteint à peine les vingt figurants/spectateurs, ce qui donne la réplique : ‘‘You said Circus. This is not a Circus. Look at the size of this crowd. Sherlock, this is... art’’ (‘‘Tu as parlé d’un Cirque. Ce n’est pas un Cirque. Regarde le nombre de gens. C’est… de l’art’’). Le problème étant que dans le petit temps que laisse l’acteur avant art, le spectateur le devance mentalement avec ‘‘le truc le plus proche d’un Cirque que ce que la prod a pu montrer dans les paramètres d’un budget qui ne permettait pas du tout de filmer même un petit Cirque’’. La blagounette est censé camoufler un peu le problème, elle ne fait que le souligner.

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‘‘This investigation might move a little quicker
if you’d take my word as gospel
.’’ – Sherlock

On aime :

  • La dynamique préservée du duo.

Au milieu des problèmes de cet épisode, le duo central de la série apparaît davantage encore comme une force géniale, capable de propulser facilement même une intrigue passable — ce qui est exactement ce qu’il fait ici, évidemment.
Au moins sur ce plan, l’écriture est à la hauteur du reste de la série : les échanges entre les deux personnages sont toujours enlevés, drôles et intelligents, et enrichissent des caractérisations très précises et enthousiasmantes. C’est peut-être un défaut de Steven Moffat commun à la saison 5 de « Doctor Who » et à « Sherlock » : il donne le sentiment que ses réécritures s’intéressent, avec beaucoup de succès, aux dialogues et à la personnalité des héros, mais qu’il ne met pas assez le nez dans les intrigues et les structures scénaristiques (au contraire d’un Russel T Davies qui n’avait pas peur de retourner les scénarios des autres pour se les réapproprier).
Au-delà de l’écriture, « Sherlock » doit aussi énormément aux interprétations sans failles de benedict Cumberbatch et de Martin Freeman, qui investissent leurs personnages totalement. Il faut voir à quel point leur jeu est corporel, à quel point ils apportent à chaque scène, ou presque, des attitudes ou des intentions de jeu. Remarquable.

  • Sarah.

Cet épisode est une adaptation libre du deuxième roman de Doyle, « The Sign of (the) Four » (qu’il combine à une nouvelle écrite plus tard par l’auteur, « The Dancing Men »). Et comme ce roman, il introduit (très rapidement) le personnage de Sarah, qui prendra de l’importance dans la vie de Watson.
La transposition du personnage à l’écran est réussie, Sarah se révélant un croisement efficace de fraicheur, de féminité, d’humour et de courage.

On aime moins :

  • L’accumulation d’éléments improbables.

Une intrigue de « Sherlock » soit remplir certaines conditions difficiles. L’énigme de départ doit être suffisamment coriace pour intéresser le détective consultant. Elle doit ménager assez de rebondissements pour permettre de tenir une heure et demie. Et elle doit apporter quelques idées au moins un peu originales pour divertir un spectateur saturé de fictions policières.
Pour répondre à ces trois impératifs, « The Blind Banker » en fait beaucoup. Trop. Et l’empilement des bizarreries finit par devenir un peu ridicule. Le code exotique, le mur repeint en dix minutes, l’assassin acrobate que personne ne voit grimper aux buildings, sans parler de l’improbabilité extravagante du dispositif destiné à faire parler Watson pris pour Sherlock lors du climax (pensez au matériel qu’il a fallu amener au beau milieu d’un tunnel !).

  • L’étrange étranger.

« Le Banquier Aveugle » tombe aussi, je crois, dans un piège de l’adaptation d’un matériel publié en 1890. En moins caricatural, le défi est un peu celui que poserait une transposition contemporaine de « Tintin au Congo », alors que l’album est bourré jusqu’à la dernière case de racisme colonialiste horrible si on le regarde avec le regard de 2010.
La représentation de la culture étrangère comme une force mystérieuse et secrète, à l’organisation mafieuse, n’est pas seulement usé jusqu’à la corde (j’ai l’impression d’avoir vu de tels bandits Chinois des dizaines et des dizaines de fois), elle est aussi idéologiquement un peu rance. On pourrait d’ailleurs faire pareil argument de la place des femmes dans « Sherlock », tout en disant que le personnage de Sarah offre aux auteurs une opportunité d’atténuer ce problème dans les saisons à venir, s’ils le développent intelligemment.


« The Blind Banker » est un épisode divertissant, de part la force des éléments de base de la série, et notamment de son duo de personnages principaux. Reste qu’à force d’empiler les rebondissements improbables, le récit perd en énergie et se révèle loin d’être aussi convaincant que l’épisode d’introduction.

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Post Scriptum

« Sherlock »
Episode 2 : « The Blind Banker »
Ecrit par Stephen Thompson ; réalisé par Euros Lyn.

Dernière mise à jour
le 9 janvier 2011 à 21h01