IMPRESSIONS — Sherlock, 2x01 : Un Scandale à Buckingham (A Scandal in Belgravia)
I’m Sher-locked !
Par Sullivan Le Postec • 8 janvier 2012
Après 18 mois, « Sherlock » est de retour avec un épisode écrit par Steven Moffat et réalisé par Paul McGuigan. On ne regrette pas d’avoir attendu...

Le générique de fin est terminé. Mon lecteur vidéo s’est arrêté. L’écran d’ordinateur affiche le bureau Windows et mon fond d’écran. Combien de temps a passé ? Je ne sais pas. Je suis épuisé. Il est 14 heures. Steven Moffat, Paul McGuigan, Benedict Cumberbatch et Martin Freeman viennent de remettre ça.

Alors qu’il s’occupe sur de menues affaires, Sherlock est convoqué à Buckingham : un client très important, mais anonyme, veut qu’il se charge de récupérer des photos très compromettantes qui se trouvent entre les mains d’Irene Adler, Dominatrix de son état...

On aime

  • L’assurance de l’ensemble

La première saison de « Sherlock » ne donnait pas l’impression de douter d’elle-même, c’est le moins que l’on puisse dire. Peut-être était-ce grâce au Pilote qui a été tourné et n’a jamais été diffusé (il est disponible en bonus sur le DVD), toujours est-il que toute l’équipe avait l’air, dès le premier épisode, de maîtriser parfaitement le ton et le style qu’elle voulait donner à la série, ainsi que les points forts à mettre en avant.

« A Scandal in Belgravia » donne la même impression... puissance 10 !
Steven Moffat écrit presque toujours avec beaucoup d’assurance, en tenant en haute estime le public et son intelligence. C’est visible ici plus que jamais, dans un récit complexe et touffu, mais dont les enjeux, les points clefs et les ressorts émotionnels sont rendus avec une telle clarté que l’ensemble coule comme une rivière – disons comme un torrent.

  • La subtilité de l’interprétation

Benedict Cumberbatch et Martin Freeman sont deux acteurs monstrueusement bons. Les réunir à l’écran et les faire jouer l’un face à l’autre est une idée de génie. La première saison en avait d’ailleurs donné un large aperçu, mais ce nouvel épisode accentue encore cette impression en mettant en lumière la subtilité avec les deux acteurs alternent les registres et dépeignent l’évolution de leurs personnages.

D’un côté, il y a Sherlock, qui s’ouvre à l’émotion et aux attentions envers les autres. Cumberbatch arrive à transmettre ces sentiments sans jamais dévaloriser le personnage, sans rien lui enlever de sa singularité et de son intérêt. De l’autre côté, Freeman marche non pas seulement sur un fil, mais sur plusieurs : le sidekick comique, l’homme d’action, le docteur empathique, l’homme à femme... Watson est un peu tout ça, mais il n’est rien de tout cela, car Martin Freeman ne s’abaisse jamais au niveau de ces caricatures hâtivement brossées. Aux antipodes l’une de l’autre, ces deux prestations sont deux des meilleures jamais vues sur un écran de télévision.

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  • The Woman

Steven Moffat, « horrible mysogine » ? C’est un peu la version 2010 du « gay agenda » de Russell T Davies dans les années 2000. Difficile de ne pas rire devant ces mantras qui se répandent avec pour seul sceau de crédibilité la mention ‘‘lu sur Internet’’.
On ne voit pas tous les jours un personnage féminin aussi fort qu’Irene Adler sur les écrans. Et je le pointe d’autant plus que les récentes nominations pour nos prix (résultats ici) m’ont amené à réaliser que les grands rôles féminins n’avaient pas été très nombreux en Grande-Bretagne en 2011. Belle, mais surtout sachant mieux que personne se mettre en valeur, d’une intelligence inouïe, capable de s’imposer physiquement, pas grand-chose ne lui résiste. Pas même Sherlock, qu’elle parvient à piéger. On ne s’attardera pas sur l’hypothèse selon laquelle le fait qu’elle développe des sentiments pour Holmes l’affaiblirait, d’autant moins que la réciproque est vraie. Quant à la fin, justement...

  • L’ambiguïté de la conclusion

Sherlock a-t-il vraiment traqué les faits et gestes d’Irene au point d’être en mesure de la sauver de la mort et de la faire disparaître au nez et à la barbe de son frère ? Où bien, devant la fenêtre de 221B Baker Street, rêve-t-il à ce qu’il n’a pas pu faire dans la réalité ? L’histoire ne le dit pas, et c’est très bien comme ça.

It’s a very complicated train of thought for you to believe he might have imagined that”, voilà la manière dont Steven Moffat a envoyé ma théorie de l’ambiguïté dans les choux, dans notre interview à retrouver ici.

  • La réalisation et la qualité de production

Mais comment font-ils ça avec un budget et un planning de télévision ? Comment ?! Il faut quand même réaliser qu’ils tournent tout cela avec grosso modo le budget d’un « Julie Lescaut ». Certes, la logique de la télévision n’étant pas celle des hommes, Cumberbatch et Freeman sont certainement beaucoup moins bien payés que Véronique Genest, qui doit aspirer une bonne part du budget d’un épisode de sa série. Mais quand même.

Franchement, plutôt que d’aller chercher à Hollywood des scénaristes qui se refilent le bon plan (‘‘Il faut travailler pour la France : ils nous adorent, on peut se faire des thunes sans avoir besoin de se fouler’’, c’est le dernier conseil à la mode pour scénaristes dans les collines de Los Angeles) nos chaînes françaises feraient bien d’essayer de débaucher au moins ponctuellement, le temps d’un nécessaire partage d’expérience, ces petits artisans anonymes qui ont révolutionné le visuel de la télévision britannique sans inflation des budgets.

Il y a tout de même des choses qui ne peuvent certainement pas s’apprendre ou se transmettre, comme le talent de Paul McGuigan. Déjà réalisateur de deux épisodes virtuoses lors de la première saison, il est de retour et lui aussi est monté encore d’un cran. Il continue, par ses images, à nous faire entrer dans l’esprit d’un génie, à nous permettre de le comprendre et de voir le monde à sa façon. Il ne s’agit donc pas seulement de beauté formelle et de virtuosité, d’un sens délirant des transitions entre séquences. Ce spectacle étourdissant est au service du sens, de l’empathie et de l’émotion. L’impression est forte d’avoir, le 1er janvier à 21h, déjà déniché le réalisateur de l’année.

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On aime moins

  • La fausse neige

Dans Baker Street recouvert de neige artificielle, celle-ci s’envole et forme des pelotes au passage d’une voiture. Voilà, c’était la terrible critique que j’avais à formuler contre cet épisode de « Sherlock »...


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Post Scriptum

« Sherlock »
Saison 2 – 3x90’ | Une production Hartswood Films pour BBC1.
Créé par Steven Moffat et Mark Gatiss.
Écrit par Steven Moffat. Réalisé par Paul McGuigan.
Produit par Beryl Vertue, Sue Vertue et Elaine Cameron.
Avec Benedict Cumberbatch et Martin Freeman.

Dernière mise à jour
le 21 mars 2012 à 22h23