IMPRESSIONS — Sherlock, 2x02 : Les Chiens de Baskerville (The Hounds of Baskerville)
Le mythe de l’horreur.
Par Sullivan Le Postec • 16 janvier 2012
La deuxième tête pensante de « Sherlock », Mark Gatiss, s’attaque à l’aventure la plus connue du Détective de Doyle. Une enquête imprégnée d’horreur, ce qui n’est pas pour déplaire à cet adorateur du genre...

C’est le gros problème d’une série telle que « Sherlock » — qui ne livre ses épisodes qu’avec parcimonie, et dont certains d’entre eux atteignent des sommets, à l’image du « Scandal in Belgravia » qui ouvrait cette deuxième saison — c’est qu’on en vient vite à attendre d’elle un chef d’œuvre à chaque fois. Malheureusement, c’est une attente forcément illusoire.

Cet épisode adapte « The Hound of the Baskervilles », le roman le plus célèbre mettant en scène Sherlock Holmes. A l’époque, il est écrit huit ans après la dernière apparition littéraire du personnage dans « The Final Problem » (adapté la semaine prochaine) mais se situe chronologiquement avant celle-ci.

Sherlock est en attente désespérée d’une affaire. Heureusement pour lui, Henry Knight frappe à sa porte. Il les sollicite pour enquêter sur la mort de son père à laquelle il a assisté, vingt ans plus tôt dans une petite ville rurale, Dartmoor. Il a vu un véritable monstre, un chien génétiquement modifié qui aurait été créé dans le laboratoire militaire secret de Baskerville.

On aime

  • Russell Tovey
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Le jeune acteur, qui vient de fêter ses trente ans, est véritablement en train de s’imposer comme un des acteurs britanniques majeurs du moment. Russell T Davies n’avait pas tort quand il avait écrit, au détour de « The Writer’s Tale », qu’il pourrait faire de lui un prochain Docteur. D’autant qu’entre la prestation sombre et désespérée qu’il offre ici, et la comédie de « Him & Her », son registre est très large. Avec, en dénominateur commun, sa capacité à créer des personnages de ‘‘boy next door’’ très réalistes.

Ici, il donne une belle épaisseur et une véritable humanité à son personnage, et c’est d’autant plus notable qu’Henry Knight n’en disposait pas forcément sur le papier, la caractérisation de Mark Gatiss se limitant un peu trop à son trauma initial.

  • La séquence de la baie vitrée

Dans un épisode un peu chiche en moments véritablement mémorables, on pourra retenir cette scène effrayante, classique certes, mais véritablement réussie. La nuit, alors qu’Henry dort à proximité d’une baie vitrée, les projecteurs qui éclairent le jardin, équipés de détecteurs de mouvement, s’allument à plusieurs reprises. Une ombre menaçante rode. Va-t-elle attaquer ?

  • Sherlock, John, leurs interactions et évolutions

Son épisode de l’année dernière, « The Great Game », était une plongée fascinante dans la psyché de Sherlock Holmes. Mark Gatiss a une bonne perspective sur les deux personnages principaux.

Leurs évolutions, et notamment l’humanisation progressive de Holmes, ainsi que les deux confrontations des deux personnages avec la paranoïa, sont intéressantes et maintiennent un certain intérêt pour cet épisode.

On aime moins

  • Le mystère dégonflé

C’est une détestation personnelle qu’on pourra ne pas partager, mais je hais ces histoires où l’on nous fait miroiter l’irruption du fantastique, avant de tout dégonfler dans une résolution à la « Scoubidou ». C’est à fortiori le cas quand l’explication en question, dont les indices ont été lourdement mis en place, se voit venir d’extrêmement loin.

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  • Le chemin de l’horreur choisi par Gatiss

Mon principal problème avec cet épisode est conceptuel. Pour Mark Gatiss, « The Hound of the Baskervilles », le roman original de Conan Doyle, est une histoire d’horreur, un genre dont Gatiss est fan (il est l’auteur du documentaire en trois parties de la BBC « A History of Horror »). L’histoire originale était une variation autour de la maison hantée.
‘‘J’ai réalisé que la chose dont nous avons le plus peur aujourd’hui, ce sont les gouvernements désincarnés, et les théories du complot,’’ explique Gatiss dans un entretien accordé à Radio Times. ‘‘Il y a une théorie du complot à propos de tout aujourd’hui, et ces théories sont presque l’équivalent moderne des histoires de fantôme. Donc plutôt qu’une vieille bâtisse effrayante, Baskerville est un endroit comme Porton Down [un site militaire britannique secret], avec de sombres rumeurs à propos des ‘choses’ qui y sont générées’’.

Le problème, c’est qu’à trop coller aux légendes urbaines du moment, Mark Gatiss met cap tout droit vers les clichés. « X-Files » a commencé à mettre ces mêmes mythes horrifiques en avant il y a pratiquement vingt ans — il y avait exactement les même plans sur des singes de laboratoire hurlants, sujets d’expériences mystérieuses, dans le final de la première saison, « The Erlenmeyer Flask » au printemps 1994. Sans compter que la série de Chris Carter a été maintes fois imitée, recopiée et a donné lieu à des centaines d’heures de fictions télévisées et cinématographiques.
Le script de Gatiss n’apporte pas grand-chose et s’apparente vite à une sorte de best-of paresseux et peu inspiré. L’histoire même qu’il raconte, celle d’une drogue hallucinatoire qui fait prendre ses peurs pour la réalité, je l’ai vue tellement de fois (et plusieurs fois mieux faite) qu’elle a eu du mal à me tenir attentif.

En outre, Mark Gatiss n’est pas mauvais pour créer des ambiances, mais là, je ne suis pas sûr que la juxtaposition du laboratoire mystérieux à la blancheur clinique et de la sombre campagne et de son monstre sanguinaire fonctionne parfaitement.

Il y a aussi un problème de mise en image. Autant le style du génial Paul McGuigan se prête magnifiquement à une histoire baroque et flamboyante comme celle qui ouvrait cette saison (ou l’épisode de Gatiss pour la première saison), autant il se heurte ici au caractère intimiste et resserré dont la peur à besoin pour s’installer. Ses transitions flashy sont, à plusieurs reprises un peu hors-sujet. C’est aussi le cas de la scène de Sherlock s’enfermant dans son « Palace Mental » à l’occasion de laquelle, pour la première fois, la série frôle le ridicule.

Divertissant, mais structurellement faible, « The Hounds of Baskerville » est un épisode à peu près aussi vite vu qu’oublié. Venant d’une série telle que celle-ci, dont on attend beaucoup, c’est forcément décevant.


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Post Scriptum

« Sherlock »
« The Hounds of Baskerville »
Saison 2 – épisode 2 | Une production Hartswood Films pour BBC1.
Créé par Steven Moffat et Mark Gatiss.
Écrit par Mark Gatiss. Réalisé par Paul McGuigan.
Produit par Beryl Vertue, Sue Vertue et Elaine Cameron.
Avec Benedict Cumberbatch et Martin Freeman.

Dernière mise à jour
le 31 mars 2012 à 15h49