KAAMELOTT - Livre VI
La vie secrète d’Arthur
Par Emilie Flament • 28 décembre 2009
Le livre V se terminait sur la désagrégation de Kaamelott et sur Arthur, s’ouvrant les veines dans sa baignoire, au retour de sa vaine quête d’enfant. Pas très gai par rapport au format shortcom des premières saisons ! Comment Arthur en est-il arrivé là ? Certes, il est entouré d’une belle "bande de clampins" et doit trouver le Graal avec cette équipe de "nazes hyper-mous", mais il n’y a peut-être pas que ça… Dans ce livre VI, Alexandre Astier nous fait découvrir le parcours d’Arthur… plutôt instructif…

Pour certains, la vérité est ailleurs. Pour Arthur, la réponse est dans son passé. Plusieurs mois après sa tentative de suicide, Arthur raconte au père Blaise (au cours du 9e épisode de ce livre VI) sa vie avant Kaamelott, son ascension au trône. Astier utilise les 8 premiers épisodes pour développer cette face cachée d’Arthur en explorant son époque romaine. Bien entendu, la shortcom est à oublier : elle ne correspond ni au ton ni au format. C’est donc un format 52 minutes, similaire à celui choisi par Astier pour les DVD du livre V. Les nostalgiques des livres I, II et III vont peut-être être déçus, mais ce livre mérite sa chance : l’humour est certes moins présent (mais toujours aussi efficace), mais au profit de la narration et de l’approfondissement des personnages.

Grandeur et Décadence…

Avant qu’Arthur ne devienne roi, Astier dépeint une vision du pouvoir pas franchement glorieuse. A Rome, la manipulation et la corruption règnent. En Bretagne, les chefs de clans sont égoïstes et passéistes. A une autre échelle, au sein de l’armée, sa hiérarchie abuse du peu de pouvoir qu’elle a pour écraser les bas gradés.

Rome est magnifique, immense et puissante. Les décors de Cinecitta la subliment. Les temples, les villas, les rues et même les uniformes, tout reflète cette grande civilisation. Mais malgré cette apparence, Rome stagne, son empire se réduit, c’est le début de la décadence… Magouilles politique, orgies, armées en déroute, l’empire se gangrène. Les décisions sont prises sans tenir compte du peuple. César n’est plus qu’un homme de paille, les sénateurs tirent les ficelles.

A l’opposé, la Bretagne n’est qu’une province boueuse où des chefs de clans un peu rustiques se disputent quelques lopins de terre, tapant occasionnellement sur les soldats romains pour passer le temps. Chacun n’a que son intérêt et celui de son clan en tête. Cependant, au moins les choses sont claires, les tentatives de trahison sont tellement peu discrètes que les rapports en deviennent presque francs ! Rome veut conquérir la Bretagne, où la situation est enlisée depuis des années, pour une simple question d’image, en espérant redonner à Rome sa stature.

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Arturus, pouvoir et légitimité

Soldat dans la brigade urbaine de Rome, Arthur ne sait rien de son passé, il n’a que quelques vagues souvenirs de son enfance. Il n’est pas ambitieux et se contente de sa condition, mais il a ses valeurs et est prêt à se battre pour elles. Dès le premier épisode, Arthur est puni pour avoir défendu le bouc émissaire de son bataillon. C’est un homme juste, qui ne supporte pas qu’on écrase des personnes faibles pour se sentir plus fort. Il est loyal envers ses amis et tient sa parole.
Quand Lucius Sillius Sallustrius vient chercher Arthur pour faire de lui le prochain roi de Bretagne, il n’est qu’une marionnette de plus à qui on offre un pouvoir restreint si il accepte d’être dans le système. Pour ajouter à son impuissance initiale, le camp adverse le bombarde Elu des Dieux, mais pas des dieux qu’il vénère, ceux de ces racines, les dieux celtes. Son destin est de devenir roi de Bretagne et de trouver le Graal. Voila qui ne met pas la pression, surtout quand ce sont les plus hautes puissances qui l’imposent ! Arthur se retrouve, sans rien avoir demandé, avec un avenir tout tracé, lourd en responsabilités. Il perd le contrôle de sa vie. Forcément, Arthur ne saute pas vraiment de joie et rejette au départ ce rôle qu’on lui impose. Il refuse de porter son nouvel uniforme qu’il n’a pas mérité.
Arthur finit par accepter ce pouvoir lorsqu’il réalise qu’il peut s’en servir pour faire évoluer les choses, qu’il peut le faire correspondre à ses valeurs : justice, loyauté, protection des plus faibles, morale…

Des rencontres importantes

Deux personnes, César et Aconia, vont avoir un rôle extrêmement important à cette époque dans la vie d’Arthur. Ils détermineront les grands axes de la vie d’Arthur.

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Si à la tête de Rome, César n’a plus de véritable influence, il joue un grand rôle dans la vie d’Arthur. Il est la clef qui permet à Arthur d’accepter le fait qu’il ne mérite pas (encore) ce qu’on lui offre et que c’est à lui de prouver qu’il peut en faire quelque chose de bien. Il montre aussi à Arthur que le fantastique n’est pas si rarement mêlé au pouvoir ("Faire confiance à la magie, y’a que ça qui marche sur Terre, le reste pas un rond !"), sa bague, offerte par la suite à Arthur, en témoigne. Un grand respect s’instaure entre les deux hommes. César devient presque la figure paternelle qui manquait à Arthur, le modèle. Il représente dans ce monde politique malsain la sagesse et l’expérience. Arthur suivra ses conseils durant son règne : "Des chefs de guerre, y’en a de toutes sortes. Des bons, des mauvais, des pleines cagettes y’en a. Mais une fois de temps en temps, il en sort un. Exceptionnel. Un héros. Une légende. Des chefs comme ça, y’en a presque jamais. Mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun ? Tu sais ce que c’est, leur pouvoir secret ? Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. "

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C’est la femme de sa vie. D’abord perceptrice, elle devient sa maîtresse. Déjà mariée à un homme qu’elle n’a pas vu depuis 15 ans, elle épouse en secret Arthur. Apprenant le mariage politique qui doit avoir lieu avec Guenièvre, elle lui fait promettre de ne pas consommer ce mariage… et il tient sa promesse. Lorsqu’il revient la chercher au péril de sa vie (cela coûtera d’ailleurs la vie de ses amis), il la trouve sur le départ, au coté de son mari… et il n’intervient pas. Il la respecte trop pour risquer de la compromettre. C’est la dernière fois qu’ils se verront et cependant il continuera à tenir sa promesse. Cette relation explique à la fois la distance qu’Arthur maintient entre lui et Guenièvre, et la contradiction entre son désir d’enfant (livre V) et son refus de consommer son mariage.

Arturus devient Arthur

Arthur décide de prendre le contrôle de son destin et donc de devenir roi de Bretagne non pas pour suivre les plans de Lucius mais pour le peuple breton. Ces valeurs restent le coeur de sa façon de gouverner. Pour unifier le pays, il veut regrouper les hommes méritant du pays quelque soit leur rang et lance donc un appel qui lui permettra de constituer sa table ronde. En retirant l’épée du rocher, il s’assure un position que les chefs de clans ne pourront pas mettre en doute et qui lui permet de les dominer. Fin stratège, il arrive à jeter hors de Bretagne les romains sans avoir à combattre.
Mais malgré tout, Arthur doute et doutera toujours de sa légitimité. Il considère le mérite comme le seul honnête moyen d’ascension. Il n’y a qu’à voir son obsession pour que ces chevaliers ou futurs chevaliers accomplissent des faits d’armes. Des grandes responsabilités impliquent un grand mérite. Le fait d’être un élu des Dieux et, au départ, un jouet des romains le fera toujours douter de sa légitimité. On comprend mieux pourquoi à plusieurs reprises il remet sa place en jeu, en replantant l’épée notamment. Ce manque de confiance est source d’angoisse pour Arthur.
A cela, il faut ajouter qu’une de ces plus grandes qualités est également une source de frustration énorme : son altruisme. Arthur pense d’abord aux autres, allant jusqu’à s’oublier. Le sens du sacrifice est très présent chez lui, dans de petits gestes, comme quand il donne son uniforme à César pour lui éviter l’humiliation publique, et dans de plus grands, comme lorsqu’il laisse partir Aconia avec Manius pour la Macédoïne.
Si on considère ces derniers points en plus des trahisons et des déceptions qu’il a pu accumulé lors des 5 précédents livres, on comprend mieux qu’il en arrive au suicide.

Le passé des autres protagonistes

Revenons à des sujets plus gais ! Le livre VI ne se contente pas de revenir sur le passé d’Arthur, il reprend aussi celui de la plupart des protagonistes, insérant beaucoup d’humour dans cette narration.
D’ailleurs, on ne peut que noter l’astucieuse façon qu’emploie Astier pour introduire ces personnages en les émiettant à chaque fin d’épisode durant la période romaine. Ça donne du rythme et c’est un pur plaisir !

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Commençons par Merlin ! Les romains vont le récupérer pour qu’il rafraîchisse la mémoire d’Arthur. Comme toujours plutôt branquignole, on comprend mieux qu’Arthur le garde a ses côtés après sa vision d’Arthur roi de Bretagne dans une taverne romaine. Son lien avec Arthur est plus fort qu’un simple lien roi / magicien. C’est lui qui s’est chargé d’Arthur dans son enfance. Et puis ce serait dommage de se priver de bon moment comme Merlin qui a peur de monter dans une barque !

Karadoc est lui aussi de la partie et part faire sa quête sans vraiment préparer son coup. Au moins il a pensé à laisser son frère Kadoc pour surveiller la dédaigneuse Mévanwi, nous laissant une magnifique réplique "Si Kadoc il surveille bien, il aura des p’tits cubes de fromage". Le voilà donc parti pour attaquer le camp romain … à 2…Un haut fait d’armes qui se conclut sur un prévisible échec. Lancelot le sauvera, à la limite de la mort, l’ajoutant à sa longue liste de faits d’armes. Quand on a failli mourir de faim, on comprend mieux qu’on puisse faire des réserves (y compris dans son propre lit) !
Quant à Perceval, avant de faire équipe avec Karadoc, il a d’abord tenté une quête avec sa Mamy ! Il est prêt à tout pour quitter son enclos. Une fois qu’elle a réussi à le sortir de chez son stupide père, ils s’arrêtent à la taverne pour faire passer des entretiens d’embauche pour compagnons de quêtes ! D’ailleurs la taverne prend vite des allures de QG, même pour Arthur quand il monte son équipe…
Bohort se retrouve, quant à lui, embarqué dans une quête contre son gré. Il est le fils aîné et même si la mode l’intéresse plus que le combat, son père veut qu’il prouve qu’il a sa place parmi l’élite. Son fait d’armes donc, épurer la forêt voisine d’une équipe de voleurs de très petites envergures, tourne plus à l’achat des brigands en question (en leur coupant de jolies tenues) pour répandre la fausse bonne nouvelle. Mais bon, chacun fait comme il peut !
Lancelot est bien le seul à réellement avoir un mérite militaire, mais il a aussi un égo qui ne passe pas inaperçu. Son amour pour Guenièvre est immédiat

Léodagan et autres chefs de clans sont aussi de la partie. Trahisons et coups pourris sont déjà au menu, et les rencontres sont toujours savoureuses. Elles fournissent en l’occurrence l’un des discours les plus tordants de la saison : la définition de la trahison par Loth d’Orcanie, un grand moment ! Guenièvre est une gentille fille qui fait ce que son père lui dit… mais si on pouvait éviter de tuer son mari tout de suite après son mariage qu’elle puisse en profiter ça lui irait bien ! Elle a de la tendresse pour Arthur (il faut dire que le style change par rapport à son père et ses amis !).

L’essence de la série : l’humour

L’histoire est sérieuse, mais il ne faudrait pas en oublier l’humour ! Et heureusement, ce n’est pas le cas. Certes, les nostalgiques de la shortcom resteront sûrement sur leur faim ! Mais les éléments comiques sont présents, bien distillés et fonctionnent très bien. Les bretons restent les plus gros contributeurs. Perceval est en pleine forme et sa mamy l’aide beaucoup. La taverne prend une nouvelle dimension et, en devenant centre de recrutement, nous offre quelques magnifiques scènes. Même les villageois nous offrent quelques séances de doléances savoureuses ! La palme d’honneur revient au peuple breton dans son ensemble et à la scène de la plage à mourir de rire. Les romains ne sont pas en reste, notamment avec le sketch récurrent des « sorties » de Lucius. Les militaires non plus, avec les petits chefs qui sont tous plus stupides les uns que les autres. Enfin, même les personnages qu’on pensait plus sérieux sont au rendez-vous, avec par exemple Aconia lorsqu’elle essaie de déshabiller Arthur dans le bureau de Lucius. Mémorable !
Pour finir ce point, une petite citation de « l’entretien d’embauche » que Perceval fait passer à Bohort :
"- Si vous deviez trouver le sédatif qui vous correspond le mieux, vous diriez ?
- Le tilleul ?
- Parfait. Parfait.
"

La difficile question de l’épisode 9

Cet épisode est à part. Il permet de lier le passé d’Arthur aux événements de la fin du livre V. Les raccords en début d’épisode (la confession à père Blaise) et en fin d’épisode (Arthur en fuite retournant dans la villa d’Aconia) sont très bien faits. Arthur continue sa lente agonie suite à sa tentative de suicide. Les protagonistes de la série défilent devant Arthur toujours en vie malgré l’annonce de sa mort. La narration est découpée par les périodes d’inconscience d’Arthur qui séparent les visites successives. Forcément, l’action et l’humour sont moins présents, et on peut le comprendre, mais le rythme en devient très saccadé. Si j’adhère complètement aux 8 premiers épisodes du livre VI, je dois avouer que la comparaison de la baignoire du suicidé au graal est un peu de trop pour que j’apprécie pleinement ce dernier épisode. Mais la fin de l’épisode, avec Arthur exilé reprenant des forces, présage d’une suite plus qu’appréciable.

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Ce dernier livre explore brillamment les origines de Kaamelott, donnant une épaisseur supplémentaire aux personnages devenus familiers, sans perdre l’essence de la série. Astier prouve que l’univers qu’il a créé est assez riche pour supporter un mode narratif plus présent et un format 52 minutes, et que, cerise sur le gâteau, il est tout à fait capable de le faire aussi bien dans l’écriture que dans la réalisation. Preuve que lorsque les chaînes font confiance aux auteurs, on peut obtenir d’excellents résultats. La saga « Kaamelott », à travers ses 6 livres, laissera sa marque dans la fiction télévisuelle française. On attend donc la suite ! Même si ce sera sur grand écran, promis… on ne boudera pas !

Post Scriptum

« Kaamelott »
Livre VI – 9 épisodes de 52 minutes
Créé par : Alexandre Astier
Scénario et réalisation : Alexandre Astier
Diffusion : M6 - Disponible en DVD.