LE QUINZO - 2.05 : Ça grogne !
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay • 29 novembre 2010
Le Quinzo, saison 2, épisode 5. Ça grogne en Grande-Bretagne, mais pas pour de bonnes raisons, et c’est dans un rapport sur la fiction française du CSA qu’on a une piste pour comprendre pourquoi. Ça râle un peu à la rédaction du Village, toujours pour les mêmes bonnes raisons... Ce Quinzo est peut-être grognon, mais il est sympa quand même.

Les raisons d’une grogne

Par Sullivan Le Postec.

Depuis plus d’un an, une certaine grogne est perceptible dans certains milieux de la création télévisée anglaise. Une grogne qui va au-delà de la question de la réduction des budgets, mais qui se centre sur la BBC et sa politique éditoriale elle-même...

Il y avait même eu une assez grosse polémique dans la presse anglaise à l’été 2009, qui connaît périodiquement des résurgences depuis. Du point de vue extérieur qui est le nôtre, une question s’imposait : pourquoi ?

Cela fait quelque temps que je suis de l’opinion que la fiction télévisée britannique est devenue la meilleure du monde, grâce à une reprise nette de l’innovation et de la diversification des genres, sujets et formats à partir de 2005, au moment même où la fiction télévisée américaine connaissait un tassement qualitatif certain. Qu’on ne me lise pas de travers : les Etats-Unis produisent toujours de très grandes séries, et il est possible qu’ils produisent les quatre ou cinq meilleures. Mais si on élargi le champ, le ratio « œuvres de grande qualité par rapport à la totalité des œuvres produites » me semble largement meilleur en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis, la production des Networks ayant connu un effondrement qualitatif flagrant depuis une demi-décennie.
Même si on ne partage pas exactement mon point de vue, il n’en reste pas moins que la fiction anglaise semble à première vue en excellente santé.

Alors pourquoi cette grogne ? D’abord, il y a une minorité qui se montre un peu obnubilée par le modèle américain, et réclame à cor et à cri des séries longues de 20+ épisodes par an. A ceux-là, Ben Stephenson, l’actuel Directeur de la fiction pour le groupe BBC a brillamment répondu dans son discours de la rentrée dernière (qui mérite la lecture si vous ne l’avez pas déjà fait).

Un axe opposé de ce mécontentement parfois vocal mettait au contraire en cause les séries à succès de la BBC, telle que « Doctor Who ». Une explication à ces polémiques pétries de mauvaise fois (on a reproché à « Doctor Who » de capter l’essentiel du budget de la BBC, ce qui est totalement faux) m’a été fournie au détour d’une page d’un rapport disponible en ligne, publié par le CSA et commandé par celui-ci à la Société d’études stratégiques pour le cinéma et l’audiovisuel : Pour une relance de la fiction française. Un rapport qui comporte quelques approximations (surtout quand il tente de se lancer sur le terrain de la création plutôt que celui de l’économie de la fiction française, qu’il maîtrise clairement mieux) et qui souffre de la même obnubilation pour le modèle américain et ses saisons de plus de 20 épisodes (clairement, les lobbyistes chevronnés de TF1, qui clame à l’envie que des saisons de 20 épisodes de séries insipides à la « RIS » suffira à résoudre la crise de la fiction française, ont su convaincre. C’est leur métier et ils le font très bien).
Alors que le rapport évoque les toujours instructifs volumes annuels de production de fiction (En 2001, 553 heures par an en France, 627h en Italie, 1306 heures en Espagne, 1463 h au Royaume-Uni et 1800 heures en Allemagne – malgré la relative ancienneté du chiffre, les ordres de grandeur n’ont pas bougé depuis), il évoque le fait que le volume horaire total de la fiction en Grande-Bretagne a baissé d’environ 200h en 2009, année où ont commencé à se faire très sérieusement sentir les restrictions budgétaires. La réduction pour la BBC s’est faite sur les Téléfilms Unitaires passés d’une centaine à 12 commandé l’année dernière.

On constate donc que le groupe public BBC a eu le courage de se centrer sur le cœur de la fiction télévisée, plutôt que sur des Unitaires très difficiles à programmer, encore plus à promouvoir, et qui tombent dans l’oubli total dès la diffusion passée – quand ce n’est pas avant. L’unitaire-jetable, encore plus en France qu’en Grande-Bretagne d’ailleurs, est une mamelle qui fait vivoter nombre de sociétés de production non réellement viables, si ce n’est dans un système contre-productif qui favorise une production qui ne lui est pas adaptée — sous l’influence conjuguée d’un manque de vision sur la réalité et la spécificité du média télévision, et de lobbies puissants. Dans les faits, quinze unités par an, c’est en effet à peu près les sujets disponibles de films unitaires pour la télévision.
Confrontée à la réalité de moyens déclinants – ce qui va être la tendance lourde de toutes les télévisions à travers le monde dans les années à venir – la BBC a fait le choix de privilégier une stratégie en phase avec les réalités créatives et industrielles de la télévision, plutôt que de céder à la tentation de maintenir l’illusion d’un cinéma-bis. Oui, c’est courageux. Et, forcément, ça froisse quelques lobbies. Ceux qu’il faut froisser.

Deuxième couche

Par Dominique Montay.

Il y a longtemps que les aficionados des séries réclament des soirées de fictions morcelées. Des soirées qui s’articuleraient autour de programmes variant de la demi-heure à l’heure. Une révolution admise par la plupart des chaînes du monde, sauf nous.

Mais après tout, en sommes nous capables ?

Depuis les années 80 c’est quasi-immuable, 20h, les informations, 20h30, les modules divers et souvent subventionnés, 20h45, le gros bloc de 90 à 120 minutes, qui forme la grande soirée, et qui s’enchaîne avec le programme de seconde partie de soirée, aux alentours de 22h30. Quasi immuable, et ce sur toutes les chaînes, ou presque.

Nous, on rêverait d’autres principes, d’autres mouvement, qui offriraient de la fiction de 20h30 à 23h, en prenant en compte le fait qu’il n’est pas obligatoire que ça commence avec « Les Experts » pour se terminer avec « Les Experts »… avec à 23h une petite fin en roue libre avec « Les Experts »… et ce jusqu’à 1h du matin. Non, on aimerait bien que ça commence avec une fiction de forte audience, que ça s’enchaîne avec une autre qui a besoin de l’appel d’air de la précédente pour se terminer avec une heure plus risquée, plus « niche ». Mais les programmateurs, cible de Sullivan dans son dernier article à lire absolument, en sont-ils capables ?

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Prenons l’exemple actuel des chaînes dites « grandes ». Version totalement décérébrée du métier de programmateur. On commence avec une série, on la diffuse par paquets de 5 épisodes et on atteint l’heure du coucher sans fatigue aucune. Facile, tranquille, sans risque. La soirée du téléspectateur se termine à 1h du matin, gavage compris, quand celle du programmateur se termine à 17h, pauses comprises… Le modèle des chaînes de la TNT, qui au lieu d’offrir une alternative, se contente de reprendre les recettes des grandes avec des produits moins coûteux, n’est pas là pour poser une réelle alternative.

Et les rois de l’alternatif, justement, ils ont quoi à nous dire ? Les cryptés du « + », quel est leur avis sur la question ? Déjà, le 90 minutes en prime, c’est aussi de mise, qu’il s’agisse d’un film, d’un doc, d’un évènement sportif ou d’une fiction originale. On en avait parlé il y a très longtemps, de ces quatre semaines d’exposition par série, force est de constater que RIEN n’a changé (ah, si, ça peut monter à 6, mais il faut un catalogue de 12 épisodes). Mais en même temps, quand on est capable de diffuser à 20h45 la série d’action « 24 », avec à la suite son antithèse la plus remarquable, « Mad Men », on est en droit de se dire tant mieux.

On en vient à se demander si les responsables de programmation connaissent leur métier, s’ils savent marier deux programmes, ou s’il s’agit juste d’un poste à calculette. Cette série fait une grosse audience, enchaînons-là avec une à audience faible pour voir si ça remonte. Font-ils des études (pas scolaires, je précise) pour savoir qui regarde quoi ? Dans la masse de personnes qui regardent « 24 », combien, potentiellement, regardent « Mad Men » ? et j’exclue de l’équation le fan de série primaire qui, en règle générale, regarde la plupart des genres.

Le mariage entre série doit d’abord naître d’un univers commun. Sans entrer dans l’équation les problèmes de temporalité, est-ce que vous imagineriez Jack Bauer venir chez Sterling-Cooper. Non, à la limite, à Downing Street pour aider Lucas North (« Spooks »). Quand aux gens de chez Sterling, ont les voit bien lancer une pub pour vendre des aspirateurs aux femmes de Wisteria Lane. On voit bien les flics d’« Engrenages » taper à la porte de Lily Rush. Les filles du Paradis partager la couche du roi Henri VIII…

Je le répète souvent naïvement, l’exemple doit venir de quelqu’un. Ce quelqu’un, en France, c’est CANAL+, par son statut de grande chaîne payante. En répétant les erreurs des autres, elle ne fait pas, hélàs, avancer le problème. Elle le nourrit.