LE QUINZO — 2.16 : Où l’on voudrait bien ne pas avoir de complexe d’infériorité
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 16 mai 2011
Cette semaine, la rédaction du Village constate que les autres sont meilleurs. Mais promeut l’idée que ça ne tient qu’à nous de changer ça.

Ô (Dés)Espoir (?) ... quand tu nous tiens !

Par Emilie Flament.

Je suis tombée récemment sur un article dans la presse spécialisée Média et donc destinée aux professionnels du secteur. Dans l’« Ecran Total » du 8 avril 2011, Catherine Wright signe un article à coté duquel Le Village ne pouvait pas passer. Le titre parle de lui-même : ‘‘BBC, mais qu’a-t-elle de plus que nous ?‘’

Pour résumer l’article à ceux qui n’ont ni les moyens de s’abonner à « Ecran Total », ni la possibilité de le piquer chez une connaissance, il part d’un constat simple, le succès grandissante des fictions anglaises en France et plus généralement dans le monde, et en décortique quelques raisons. Dans les grandes lignes, on y retrouve les thèmes que nous avons déjà abordé sur ce site : le scénariste comme point central de la fiction, la capacité de ce même auteur à comprendre les attentes du public et à s’adapter, le ‘‘non-snobisme’’ des acteurs anglais qui s’investissent autant dans la télévision qu’au cinéma, des producteurs britanniques qui osent prendre des risques... Globalement, pour vous, nos chers lecteurs assidus, rien que vous ne sachiez déjà (on vous le rabâche assez dans nos articles, nos interviews, nos quinzos et nos podcasts !) Alors pourquoi est-ce que je vous parle de ça ?

Parce que justement c’est ce que nous vous répétons depuis des années... et qu’en lisant cet excellent article, j’ai réalisé quelque chose de désespérant : pour qu’un magazine destiné aux professionnels des médias fasse un papier sur le sujet, cela implique que ces mêmes professionnels se pos(ai)ent(?) toujours la question ‘‘qu’est-ce que la BBC a de plus que nous ?’’

Comment peut-on encore se poser cette question alors qu’il suffit de regarder un peu la production britannique pour le comprendre ? En sommes nous toujours à ce stade ? Depuis quelques années, les rapports se multiplient pour disséquer les faiblesses de notre fiction : pour n’en citer que quelques uns, l’étude de la SESCA, le rapport du Club Galilée, et, récemment, le rapport de la mission Chevalier... et les diffuseurs / producteurs / auteurs seraient les derniers à ne pas avoir encore eu l’illumination ?... Inquiétant, non ? Voire même désespérant...

Heureusement, l’article a aussi démontré que nous, presse web, n’étions pas les seuls à creuser le sujet (maigre consolation... mais ça fait toujours du bien de ne pas se sentir seuls dans la bataille !). Et le constat tend vers le positif : co-productions avec la BBC (nous vous avons déjà parlé de « Death in Paradise » lors du FIPA et lors de notre entretien avec Ben Donald), succès d’audience des programmes britanniques sur les chaînes de la TNT comme France 4 ou NRJ12.

J’ai donc décidé de lancer un appel : mesdames et messieurs les diffuseurs / producteurs / auteurs, si vous nous lisez et que, vous aussi, vous avez compris pourquoi la fiction britannique était généralement plus efficace que notre fiction actuelle, et que vous œuvrez pour soit en appliquer le ‘‘modèle’’, soit la mettre en avant sur vos chaînes, contactez-nous et venez en débattre avec nous et nous exposer vos projets. Nous sommes inoffensifs la plupart du temps (sauf si vous empêchez notre rédac’ chef de regarder son épisode de « Doctor Who ») et totalement ouverts à la discussion lorsqu’il s’agit de valoriser tout ce qui peut faire progresser la qualité des fictions que nous regardons. Prouvez à nos lecteurs passionnés qu’il ne faut pas désespérer !

L’échec est la règle

Par Sullivan Le Postec.

Cette semaine, aux Etats-Unis, ce sont les upfronts : les grands Networks annoncent leurs grilles de programmes de la saison prochaine. Du coup, les chaînes doivent décider quelles séries elles renouvellent pour l’année prochaine, et quelles séries elles arrêtent pour faire de la place aux nouveautés, en fonction des Pilotes terminés qui ont été livrés ces dernières semaines. Un mot est revenu régulièrement pour décrire ces décisions : bloodbath.

Pourquoi, parler de bain de sang ? Parce que les Networks, la Fox et ABC notamment, ont annulé en masse. La loi américaine des séries est impitoyable, et elle est toujours à peu près la même. Sur 100 pilotes tournés, il y en a déjà près d’une moitié qui n’est jamais vue par personne d’autres que les responsables des chaines. Sur les 50 qui arrivent à l’antenne, bon nombre sont des échecs immédiats, et une bonne moitié est annulée en catastrophe dans les semaines qui suivent. Moins de 10 peuvent espérer une deuxième saison. Deux ou trois attendront les quatre ou cinq saisons qui les rendront rentables pour le studio producteur.

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C’est intéressant de le rappeler alors que certains voudraient déjà tirer des conclusions des deux échecs relatifs qu’ont été « Les Beaux Mecs » et « Signature ». En matière de série, l’échec est la règle, la réussite l’exception. Simplement, cette exception est extrêmement profitable.
La comparaison avec le système américain a ses limites : il y a moins de séries lancées chez nous, et notre paysage audiovisuel est (beaucoup) moins concurrentiel. Encore une fois, portons notre regard du côté des britanniques. Là-bas aussi les saisons 2 sont rares, même en ne prenant en compte que les séries dont continuer était l’objectif. Il n’y a aucune raison pour que le succès soit facile chez nous, encore moins dans la période compliquée dans laquelle se trouve notre fiction télévisée, qui souffre d’un désaveu populaire massif encore bien trop sous-estimé : la majorité des français, et la quasi-totalité des moins de 35 ans, pensent que les séries hexagonales sont absolument toutes nulles et préfèrent éteindre la télé plutôt que de regarder même cinq minutes d’une d’elles. On ne va pas les convaincre du contraire en deux jours.

Le problème, évidemment, c’est que beaucoup ont en mémoire une période où le succès était facile. Une période où la grande majorité des fictions mises à l’écran continuait. Mais cette période, les années 90, n’est pas un âge d’or. C’est la cause du problème.

Leur taux exceptionnel de succès, les séries d’alors ne le devait qu’à un marché surprotégé. Il y avait très peu de chaînes, et elles s’arrangeaient pour ne quasi jamais programmer des fictions françaises les unes en face des autres. Cette dernière pratique est d’ailleurs toujours en vigueur et c’est une bêtise profonde. Comme il n’y avait pas non plus de séries américaines en prime-time, l’amateur de fiction télévisuelle était confronté à une pauvreté de choix ahurissante !
Et c’est encore plus vrai dans la mesure où les chaînes publiques ont renoncé à proposer autres chose que des formats de TF1 à peine toilettés à leur sauce, recopiant tant les sagas de l’été que les ‘‘héros citoyens’’ à la « Navarro ». Leur seule originalité : produire des quantités massives d’unitaires. Ces objets télévisuels non identifiés, qui n’ont aucune valeur ajoutée pour la chaîne qui les diffuse, et ne laissent jamais aucune trace dans l’histoire de la télévision.

Ces conditions particulières, mais forcément condamnées à ne pas durer, ont permis à des fictions de pauvre qualité d’atteindre le succès et ont naturellement entraîné année après année une dégradation de la qualité globale des fictions, en transformant en science l’art de ne pas ‘‘cliver’’.

C’est ainsi qu’on a produit une génération entière qui n’a jamais regardé une série française que pour s’en moquer.

Partant de ce constat, soit on accepte que la reconquête sera longue, et jonchée de dizaines et de dizaines d’échecs, et qu’il faudra malgré tout persévérer pour qu’à la fin, le succès vienne. (Le modèle Canal+ donne une bonne idée du délai auquel il faut s’attendre : c’est cinq ans, à condition de les passer à travailler sans fléchir dans la même direction.) Soit on décide qu’on arrête de produire de la fiction française. Mais ça, cela veut dire fermer les chaînes françaises : la production originale est leur seule et unique chance de tenir tête aux flux étrangers à l’heure de l’avènement de la télé connectée.

Les atermoiements du gouvernement sur un dossier tel que Canal 20, qui montrent que la logique d’un PAF artificiellement préservé de toute réelle mise en concurrence a toujours cours, n’incitent pas à un optimise délirant. Scénaristes, réalisateurs et acteurs français, votre seul espoir d’emploi dans dix ans réside-t-il dans une remise à niveau de votre anglais ?

Cauchemar en télé

Par Dominique Montay.

Peut être que vous n’êtes pas féru d’émissions culinaires. Ça se comprend, il y en a tellement que même en ne zappant pas sur les chaînes dédiées à la cuisine, il doit être possible d’en suivre 12 heures sur 24. L’overdose est compréhensible. L’une d’entre elles « Cauchemar en cuisine » sort tout de même des sentiers battus. Pour ceux qui ne connaissent pas, le principe est simple : Gordon Ramsey est un grand chef étoilé. Il vient dans un restau pourri et le transforme en endroit fréquentable. Et puis il se barre. Et entre temps, il est odieux et insulte tout le monde.

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Bon, je schématise, mais pas tant que ça. « Cauchemar en cuisine » peut devenir en très peu de temps un guilty pleasure. C’est grossier, outrageant et on n’y apprend rien du tout (ou presque). N’empêche que c’est assez drôle, tant est qu’on aime la cruauté avec un accent écossais. Gordon Ramsey n’hésite pas à cracher ce qu’il mange, fouiller dans les frigos pour prendre un saumon pourri et l’agiter au nez d’un chef de cuisine, humilier, virer, insulter… Evidemment, tous les restaurants « visités » par la tornade semblent beaucoup mieux s’en sortir après qu’avant son passage. On en doute peu, tant le personnage a de réelles compétences et de vraies bonnes idées.

Maintenant, globalement, les participant à l’émission passent au mieux pour de gentils laxistes, au pire pour de sacrés abrutis. Des exemples à la pelle, dont le plus parlant vient de ce type qui a une fabuleuse idée : monter un restau italien sans que ça soit dans ses compétences dans une ville qui en compte vingt tenus par des italiens de souche. Ou encore pire, pour des dangers publics, avec un patron de sushi-bar qui, en guise de frigo, possède une armoire tempérée avec un bac rempli de glaçon pour faire baisser la température. C’est extrême, c’est dur, c’est cruel… mais c’est encore une fois assez drôle, très bien rythmé, et ça tape souvent juste.

Après, il ne faut pas s’attendre à des miracles, la musique surjoue tous les moments, ça pleure, ça crie…

Quand le remake qui fait passer l’original pour un monument de la télé

Et depuis peu, cette émission qui est un succès mondial, qui a fait de Gordon Ramsay une star arrive en France. Non, pas la version d’origine, celle-là est autant multi-rediffusée que Derrick dans les années 90. Non, la France a fait un remake. Enfin, la France… M6 a fait un remake.

Dans le rôle de Gordon Ramsay, un ancien de « Top Chef », lui aussi chef étoilé Philippe Etchebest. Un basque. Est-ce que pour autant il faut s’attendre à un personnage similaire ? un verbe tout aussi violent ? une cruauté identique ? Hé, on est en France, les gars…

Comparé à Ramsey, Etchebest est un gentil nounours, un gars qui te prend par l’épaule et qui va te guider gentiment vers la réussite. Pas quelqu’un qui te bouscule, te détruit avant de te reconstruire.

Donc il fait quoi Etchebest ? Et bien déjà, il va dans un restaurant pas terrible. Pas mauvais. Pas immonde. Juste pas terrible. Et quand il rencontre le chef ? Ca dépend des épisodes, mais dans l’un d’entre eux, il ne remet pas en cause sa carte, son talent, son investissement. Non. Il trouve qu’il ne sourit pas assez, qu’il n’est pas assez joyeux. Sa solution ? lui offrir un beau costume ! Remarquez, ça marche. Le gus sourit. Il est content. Après l’opération relooking extrême, on repasse aux fourneaux. Et merde, c’est toujours « pas terrible ». L’habit ne ferait donc pas le moine ?

Après, il peut être méchant, le Etchebest. Quand il va chez des toulonnais et critique la cuisine de madame plutôt violemment. Là, il se lâche, il y va franco. Et il dit putain. Très souvent.

La France, pays de mous ?

L’ensemble reste d’une molesse incroyable. Et pour cause. Quand la version US pèse 44 minutes, la version tricolore accuse un surpoids de 70 minutes. Le tout avec certainement moins de moyens. La réponse française au fait d’avoir un budget plus serré est donc, et ce même si ça n’a aucune logique, d’allonger la durée.

Le show de Ramsey mise tout sur les réactions dans l’instant. Tout est filmé sur le moment, ou face caméra. En gros, il ne retourne pas au studio pour enregistrer des voix off. C’est ce qu’on fait faire à Etchebest, qui n’est pas un acteur, et qui est en plus servi par un texte calamiteux.

La version française a tendance à un peu tout confondre. Il y a dans cette émission du "Top Chef" (je critique les plats), du relooking (viens que je te donne un beau tablier), du "D&co" (je refais la déco de ton restau, et pour illustrer, je monte les images du "après" avec celles du "avant", en prenant bien soin de coller un effet visuel monochrome verdâtre sur l’"avant", qu’on soit bien sûr que c’est mieux maintenant), du coaching (viens, on va jouer au rugby), du "Super Nanny" (en bonus, je te réconcilie avec ta fille), et même "The Shield", Etchebest ressemblant à Vic Mackey. On attend juste le moment où il va interroger un latino de façon musclée.

Résumons. Un remake sans rythme, avec un catalyseur qui, quand il provoque (même artificiellement) le conflit, le fait avec de grosses ficelles, sans dynamisme, qui sonne faux (avec les interventions studios), moins truculent de part la nature moins agressive et exubérante d’Etchebest… n’en jetez plus ! La seule question (en dehors de l’envie de faire un produit sans se fatiguer en pensant copier un original à succès en filant une misère de budget) : quel intérêt de faire un remake si on ne peut même pas copier l’original ?

Une réussite formelle de plus pour M6 qui prouverait pour tout étranger connaissant l’original que la France est un pays sans talent ni énergie. Félicitations, Métropole 6, félicitations…

Et on se prend à rêver... rêver que Gordon Ramsay fasse un épisode consacré à la version française, insulte le patron, le chef du projet, les exécutants, éructe son dégoût du produits, crie son désarroi devant le manque de fraicheur des ingrédients qui le composent. Même s’il se barrerait en plein milieu sans revenir. Il n’est pas fou. On ne peut sauver que ceux qui le veulent bien...