LE QUINZO — 3.02 : Un Pape, ça va. C’est quand il y en a plusieurs...
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 26 septembre 2011
Le Quinzo, saison 3, épisode 2. Cette semaine, Dominique confronte les Papes en regardant en parallèle « Borgia » et « Habemus Papam ». Sullivan craint le pudding global. Quant à Emilie, elle a fréquenté trop de séries aux scénaristes fatigués.

Borgia : le spectre du pudding global

Par Sullivan Le Postec.

Le 22 septembre dernier, Satellifax publiait dans son édition du jour un clin d’œil édifiant, ou inquiétant c’est au choix, concernant « Borgia », la superproduction internationale de Canal+ qui, après un « XIII » qu’elle n’assume qu’à moitié (ce n’est pas pour rien qu’il s’agit de la seule série que Canal+ partage avec une chaîne en clair) lancera pour de bon ce nouveau volet stratégique.

Satellifax dévoilait en effet que « Borgia » comptera pas moins de cinq versions différentes, destinées à différents marchés ou supports.

La première version, la plus trash de toutes, dont les épisodes sont classés -12 à -16, sera celle diffusée sur Canal+. Voilà qui ancre le fait que la première arme de la chaîne cryptée pour faire venir le spectateur à sa fiction, loin devant les qualités artistiques, est désormais le racolage actif.
La deuxième version est celle destinée au marché DVD français, où quelques coupes permettront à l’ensemble des épisodes de ne pas dépasser l’interdiction aux moins de douze ans. (On ne comprend pas très bien la raison de ces coupes sur un support qui ne les rend en rien nécessaires ou obligatoires, mais elles soulignent que la vulgarité sur-gonflée de la version Canal est sûrement superflue.)
On trouve ensuite une troisième version destinée à l’exportation sur les chaînes en clair sur des marchés européens permissifs en terme de nudité, conçue pour ne pas avoir d’interdiction.
Mais en Allemagne, la ZDF diffusera une version encore plus soft, coupant en tout six minutes dans la saison ; c’est notre quatrième version. Avec ces deux derniers cas, les choses commencent à devenir inquiétantes. Si tous les plans qui justifient de l’interdiction aux moins de douze ou seize ans peuvent être coupés sans problème pour la compréhension de l’histoire, faut-il considérer qu’ils sont très majoritairement de complaisance, et sans intérêt dramaturgique ? C’est bien ce qui nous a semblé en visionnant les premiers épisodes.
Last but not least, la version américaine de Netflix sera une cinquième variation de la série. Dans celle-ci, seront éliminés les plans de nudité montrant Izolda Dychauk, qui joue Lucrezia Borgia. Mais seulement pour les cinq premiers épisodes : après elle avait fêté sa majorité et ne tombait plus sous le coup des lois américaines assez sévères sur la ‘‘pornographie’’ et les mineurs (lois qui avaient déjà causé des problèmes à la version MTV de « Skins ».

Au-delà de l’anecdote amusante, on voit là s’illustrer de manière claire les problèmes posés par la coproduction internationale. Dans le cas d’une série commandée clairement par un diffuseur, celui-ci peut définir les limites de son antenne, et les créatifs faire leur travail à l’intérieur de ces paramètres de façon parfaitement satisfaisante. Mais quelle place reste-il pour l’intégrité artistique dans ce foisonnement de versions ?

L’exemple de « Borgia » nous confronte aussi à la limite du modèle que tente de proposer Canal+ avec cette série. Si la coproduction internationale connaît une vraie résurgence ces dernières années, pour l’instant elle se fait largement autour de format de série B, portés sur l’action, et clairement consensuels. C’est le cas pour « XIII » ou « Le Transporteur » en France, de même que pour les coproductions anglo-américaines telles que « Strike Back », la future « Nemesis » ou même « Torchwood Miracle Day », par exemple.
Y a-t-il une place pour des coproductions “Premium”, artistiquement ambitieuses ET intègres, à côté de ces blockbusters télévisuels aux muscles saillants, mais plutôt décérébrés ? Ou bien est-on en train d’inventer un pudding global, digne successeur de l’euro-pudding des années 80 ?

« Borgia » ne suffira pas à répondre à cette question. D’autant que dès le départ, sachant qu’elle était portée par Atlantique Production, dirigé par Takis Candilis, elle posait question. Ce dernier est peut-être efficace pour boucler des tours de table mais, en dix ans à la tête de la fiction TF1, il a démontré qu’il n’était pas compétent pour la fiction, complètement dépassé par les questions créatives. Il s’est en effet contenté de photocopier les formats inventés par Claude de Givray, parvenant à une telle saturation et lassitude des spectateurs que la fiction de la chaîne la plus puissante d’Europe est littéralement morte sur place, entre ses doigts. D’ailleurs, les showrunners du « Transporteur », qu’il produit également, ont quitté le navire quelques semaines après le début du tournage. A la décharge de ce « Borgia », ajoutons tout de même que la concurrence de « The Borgias » de Showtime, qui a beaucoup compliqué le financement de la version Canal+ initiée en premier, pousse peut-être à accepter certaines compromissions pour pouvoir assurer des ventes.

Il faudra aussi songer à développer des partenariats privilégiés entre des diffuseur dont l’alliance fait sens, plutôt que des associations baroques entre chaînes cryptées et en clair. Marier la BBC à France Télévisions, par exemple et comme c’est le cas sur « Meurtres au Paradis », c’est plus cohérent qu’une alliance BBC/Starz, « Torchwood Miracle Day » ayant posé le même type de problèmes que « Borgia ».
Il restera aussi à voir ce que nous apporteront à l’avenir les « Versailles » ou « Pharaon », initiés par des producteurs (Tetra Media et Capa) au pédigrée créatif un peu plus crédible...

5 points...
qui montrent que les scénaristes sont en manque d’inspiration

Par Emilie Flament.

Cette semaine, je lance un nouveau format de Quinzo qui reviendra probablement en cours d’année : les 5 points ! Librement inspiré de mes lectures estivales (des magazines féminins... je plaide coupable !), ce format et la thématique du jour se sont imposés comme une évidence après le visionnage du premier épisode de la nouvelle saison de « Spooks ([MI-5]) » (ce qui l’ont vu comprendront). Je sais, je casse la thématique ‘‘papale’’ de mes collègues, mais que voulez-vous... je n’ai pas encore vu « Borgia ».

  • Indice n°1 - La vraie/fausse identité
    Que le héros soit un agent double et qu’on le découvre à la fin du pilote, c’est une chose. Ou que sa dernière conquête travaille pour le camp ennemi et ne s’appelle pas Isabelle mais Gertrude, c’est envisageable. Mais qu’on découvre au bout de plusieurs saisons que l’un des protagonistes ne s’appelle pas Jean Trucmuche mais Jacques Machinchose et que tout ce qu’on nous raconte depuis des années n’est qu’une façade, c’est franchement énervant. Ce changement d’orientation scénaristique est brutal : l’équipe n’a plus d’idées pour ce personnage avec ce vécu et ce passé, donc on lui en colle artificiellement un autre. Le résultat est, qui plus est, souvent médiocre.
  • Indice n°2 - L’amnésie
    Elle intervient toujours au moment critique. La plupart du temps, il s’agit d’un duo qui est prêt à franchir le cap. L’un déclare sa flamme à l’autre ou se décide à le faire, mais Paf ! Un camion le percute, ou il se fait tirer dessus, ou encore on lui découvre une tumeur au cerveau ! C’est devenu le coup classique pour ne pas enfreindre ‘’la règle’’ : lorsque la dynamique d’un duo dépend fortement de la tension amoureuse qui existe entre eux, il faut éviter qu’ils finissent ensemble... Mais comme au bout d’un moment, ça devient compliqué pour les scénaristes et frustrant pour les téléspectateurs, on lâche la bride et un baiser ou un ‘‘je t’aime’’ tombe au climax de la saison. Mais comme tout le monde a peur de revivre un nouveau Mulder/Scully (devenus totalement inintéressants sur la fin... voire pire dans le dernier film), on enclenche quasi-systématiquement la marche arrière. Et quand on est en panne d’idée crédible... ça se termine en amnésie !
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Avec Lucas North et Harry Pearce, « Spooks ([MI-5]) » cumule malheureusement beaucoup d’indices...
  • Indice n°3 - La filiation cachée
    ‘‘Luke, je suis ton père.’’ Ok, tout le monde adore « Star Wars », mais ce n’est pas une raison pour ajouter des liens cachés père/fils ou frère/sœur entre tous les protagonistes et leurs antagonistes. Il y a bien quelques shows où cela a un sens, mais il faut admettre que, la plupart du temps, on frôle le hors sujet. Au mieux, les héros de la série sont rebaptisés Luke ou Leïa pendant quelques semaines ; au pire, c’est « Dallas » qui débarque. Les déclinaisons possibles étant nombreuses, du mère/fille au tonton/neveu, en passant par les grand-parents, il est tentant de basculer du coté obscure de la force.
  • Indice n°4 - Le mort ... pas mort
    Qu’ils tombent d’une falaise après avoir reçu 12 balles, 8 flèches et 5 couteaux, ou qu’ils se trouvent dans une voiture qui explose devant une centaine de témoin, ne vous y trompez pas : les scénaristes peuvent toujours les faire revenir ! Quand on est à sec d’idées, on recycle les idées précédentes. Au moins avec Michael Myers (les films « Halloween »), pas besoin d’être crédible. Les théories fumeuses sur les moyens/raisons de sa survie nous étaient épargnées. Les pires ‘‘résurrections’’ sont celles où un personnage, à priori mort depuis plusieurs épisodes, se révèle être le grand méchant de la saison... et comme c’est une énorme ‘‘surprise’’ (comprendre ‘’boulette scénaristique’’), il est obligé de se lancer dans une interminable explication ubuesque, le tout alors qu’il tient en joue le héros. Remarque : il attend toujours la fin de ladite explication avant de tenter de l’achever... sans succès, bien sûr, puisque son discours de 15 minutes a permis à ses amis de le sauver !
  • Indice n°5 - L’ellipse
    C’est vrai que parfois, dans la vie, il ne se passe pas grand chose, donc autant aller à l’essentiel et passer les périodes creuses. Quelques mois, ça va. Plusieurs années, bonjour les dégâts ! L’ellipse de 2, 5 ou 10 ans est le meilleur moyen de se sortir des situations dont les scénaristes ne savent plus trop quoi faire. Pas besoin de résoudre les histoires les plus tordues laissées en plan lors de la saison précédente, possibilité de renouveler le casting, de dire bye-bye aux bébés des protagonistes dont la croissance à l’écran devenait compliquée à gérer... Bref, on évite les questions comme les réponses !

Moins fréquentes, mais tout de même existantes, quelques autres (mauvaises) idées méritent aussi d’être citées. En vrac, on peut parler du coup du jumeau caché qui explique le comportement étrange d’un des personnages (‘‘ce n’était pas moi... c’était mon jumeau’’), ou encore le fameux rêve qui permet de faire marche arrière sur les récents événements (tout ce que vous venez de voir n’est jamais arrivé, à part dans ma tête). A noter, cette dernière astuce est souvent couplée à l’indice n°5 : le coma d’un des personnages permet à la fois d’expliquer le rêve et l’ellipse !

Requins vs. Bisounours

Par Dominique Montay.

Aller au cinéma peut provoquer d’étranges sensations. Surtout quand, alors que vous êtes en plein visionnage d’une série traitant de l’élection d’un Pape dans une période violente et sans morale, vous allez voir… un film sur l’élection d’un Pape dans une époque contemporaine.

C’est ce qui m’est arrivé en allant voir « Habemus Papam » de Nanni Moretti alors que j’étais plongé dans le « Borgia » de Canal+. Assez heureusement, il est impossible de confondre les deux œuvres.

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Michel Piccoli (Habemus Papam) et John Doman (Borgia)
L’un est un grand acteur, mais l’autre est méchant. Qui va gagner ?

Le film de Moretti est lumineux, introspectif, drôle par moments, poétique à d’autres. La série de Tom Fontana est sombre, sans concession, fondamentalement négative. Si elles s’opposent dans la thématique et dans le ton, elles sont aussi à l’opposé dans leur description de la religion. La série sous-entend, dans le second épisode, l’existence de l’Enfer, tout en exprimant qu’il n’est pas exclu aux hommes d’Église. Le film, lui, par une ligne de dialogue humaniste et empreinte de pardon « Personne n’ira en Enfer. C’est un désert », expédie son existence.

La nature même des Cardinaux est aux antipodes. Moretti les montre comme étant de grands enfants, pressés de quitter le conclave pour profiter des délices d’un restaurant, jouant au Volley-ball dans la cour du Vatican, ou bien dansant sur place en entendant de la musique sortir de la chambre du Pape. Fontana nous les présente comme d’odieux comploteurs, reprenant les pires traits de caractères des politiciens, capables de provoquer la mort des autres, même s’ils ne se salissent jamais les mains.

Quand au Pape, que dire… N’allons pas comparer l’immense Michel Piccoli avec John Doman, mais on constate que si l’un préfère fuir plutôt que d’être élu, l’autre est prêt à toutes les bassesses pour s’asseoir dans le trône de St-Pierre. Cette réflexion est applicable à tous les Cardinaux des deux récits,vu qu’au début d’ « Habemus Papam », on entend quelques cardinaux prier à voix basse pour ne pas être choisi. Rien de cela dans « Borgia ».

Pour autant, une œuvre est-elle le négatif de l’autre ? Sur deux points, en tout cas, non. Quand le Pape Innocent VIII est aux portes de la mort, le Cardinal Borgia, pour prolonger son existence (à des fins stratégiques), fait appel à un médecin juif, transgressant les règles. Quand le Cardinal Melville craque et refuse de parler aux fidèles après sa nomination, dans le film de Moretti, on fait venir un excellent psychiatre, tout en admettant que la psychologie n’a pas sa place dans la religion (pas la partie la plus intéressante du film, en passant, Moretti venant juste faire son show, et n’ayant au final, qu’une seule interaction avec le Pape récalcitrant).

Qu’ils soient des bisounours ou des requins, les Cardinaux sont prêts à s’ouvrir aux autres quand ils n’ont plus d’autre solution.

Mais l’autre point commun, majeur, celui-ci, c’est la désacralisation. Fontana nous montre des Cardinaux orgueilleux, vaniteux, égocentriques, en grossissant le trait, maléfiques. Ceux de Moretti sont bons mais caractériels, ils doutent. Le personnage de futur Pape en est la parfaite illustration, lui qui se rêvait acteur.

Par Ces deux œuvres on nous émet la pensée suivante, qu’ils soient bons ou mauvais, un homme d’Église est avant tout un homme.