LE QUINZO — 3.05 : Des audiences sur les Docks...
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay • 15 novembre 2011
Le Quinzo, saison 3, épisode 5. Dominique a vu "Deux Flics sur les Docks", et il a même pas dormi. Quant à Sullivan, il parle audiences, le pays des RECORDS, des FLOPS et des ACCIDENTS INDUSTRIELS.

Deux flics sur les docks

Par Dominique Montay.

France 2 met depuis vendredi 11 novembre les aventures de l’inspecteur Faraday, adaptées des romans de Graham Hurley, auteur britannique. Les histoires sont transposées au Havre, et les rôles principaux sont tenus par Jean-Marc Barr et Bruno Solo.

Un polar France 2. Et pourquoi pas ? Pour rester franc, c’est un peu obligé que j’ai plongé dans ce premier épisode « Les anges brisés ». J’étais parti pour tout aimer sauf Bruno Solo, que j’ai fini par trouver antipathique au fil des années (tout cela progressivement, le trouvant assez bon dans sa période Canal). Le coup de grâce réside dans ses pubs de poker qui saturent mon écran de télé et qui finissent d’achever le personnage (un peu comme les pubs Optic 2000 qui mettent au supplice la discographie de Johnny Hallyday).

Et le problème, pour être synthétique, c’est qu’au final j’ai à peu près détesté tout sauf lui. Pourtant ça commençait bien. Un générique un peu tendance (mais pas formidable non plus), une esthétique bleuté qui met bien en valeur la laideur industrielle des docks du Havre, et une première scène qui met en place sans trop de dialogues appuyés les situations et le personnage principal.

Mais ensuite, quelle désillusion ! Pas de rythme, des performances de comédiens peu engageantes, et surtout des dialogues incroyablement faibles. Lorsqu’ils ne sont pas là pour poser le background des personnages (ils se permettent une scène d’un absolu ridicule quand un ami affairiste de Solo lui demande « ça va depuis la mort de ta femme ? »), ils expliquent les non-dits, surlignent les images, où sont alors tellement écrits qu’ils en perdent tout naturel.

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Faraday et Winckler
Faraday "moi je suis un flic intègre"
Winckler "et moi, un flic qui ne respecte pas les règles"
Faraday "c’est bien de l’avoir dit"
Winckler "oui, sinon, personne n’aurait compris"

Une tradition bien française (c’est fou comme un poncif peut devenir une tradition quand on ne veut pas évoluer), et respectée à la lettre.

En plus de cela, par touches, l’histoire arrive à faire bondir de son siège. Quand une jeune fille de 14 ans est retrouvée morte, Faraday, pointant du doigt que la fille était gothique en déduit qu’elle était déprimée. Un bon vieux cliché. Le final de l’épisode vient confirmer cette impression de cliché-mou-du-genou quand les deux flics se rendent compte qu’un pourri a été assassiné par un gosse de 12 ans. Ce qui pourrait donner une situation de conflit, un vrai dilemme moral se termine par une phrase du type « mais quelle époque on vit ? ». Ben oui ma bonne dame. Et puis y’a plus de saison.

Une œuvre molle, dilettante avec son sujet (jamais on ne se sent investi tant Jean-Marc Barr est froid, distant, sans implication), pas très intéressante.

J’avais dit que ça durait 90 minutes ? Non ? Donc, en plus, c’est long.

De la bonne fiction française à l’ancienne, comme en 1985.
Oui, c’est un sarcasme.

Audiences : plus de vraies mesures, moins d’hystérie

Par Sullivan Le Postec.

Un des nombreux sujets à propos desquels Jean Marc Morandini a fait beaucoup de mal à l’information média en France, c’est celui des audiences. Il y a encore cinq ans, le compte-rendu des audiences débilo-hystérique était limité aux émissions et sites dans lesquels sévissait l’animateur trash. Mais aujourd’hui il est devenu la norme.

Dans les années 90, quand les audiences tombaient à 9h, elles changeaient l’humeur au sein des chaînes. Aujourd’hui, c’est tout le petit monde des médias, des émissions spécialisées aux sites internet et fils twitter, qu’elles secouent. La tâche des journalistes médias est devenue de trouver l’angle qui permettra de faire systématiquement croire qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire dans les audiences de la veille, qui justifie de mettre en avant cette info.
C’est simple, aujourd’hui en France un programme télé fait soit un FLOP soit un TRIOMPHE. Il est impossible qu’une semaine passe sans qu’un compte-rendu d’audience annonce qu’un RECORD a été battu. Il faut passer le titre pour découvrir que c’est un record depuis la rentrée (alors qu’on est début octobre) ou autre subtilité. Le mot fameux de Patrick Le Lay, ‘‘accident industriel’’ sorti en 1994 pour qualifier le « Tout le Toutim » de Dechavanne, est ressorti au bas mot une douzaine de fois par an.

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Le règne du sensationnel a glissé peu à peu pour devenir celui de l’hystérie permanente.

Les chaînes l’ont bien compris. Et le pire est arrivé quand elles se sont mises à en jouer. Aujourd’hui, les grilles de programmes ne sont pas conçues pour le confort des téléspectateurs. Elles ne sont même pas conçues pour le confort des programmateurs et des chaînes de télévision. Non, elles sont conçues pour obtenir un traitement favorable dans le microcosme médiatique. Pour que les mots CARTON, RECORD, LEADER apparaissent en lien avec leur programme pendant l’heure de masturbation collective sur les chiffres d’audience entre 9 et 10h — après 10h tout le monde passe à autre chose et attend de recommencer le lendemain.

Récemment, « Scènes de Ménage » a bénéficié de plusieurs gros titres de suite sur ses RECORDS. Certes le programme est un succès en progression. Mais ces records, ils sont avant tout le fruit des bidouillages de programmation de la chaîne. « Scènes de Ménage » a ainsi été rallongé pour passer à 36mn (avec davantage de sketches rediffusés glissés entre les quelques inédits). Le programme a aussi été décalé officieusement, pour pouvoir au maximum se dérouler pendant les publicités de TF1. C’est ça qui permet de battre des records, même quand les JTs de TF1 et de France 2, théoriquement diffusés à la même heure, font des bons scores.

C’est l’autre problème des audiences à la française : les chiffres comparent constamment des pommes et des oranges en nous faisant croire que c’est la même chose. Un programme X, d’une durée de trois heures est annoncé comme leader des audiences parce que sa part de marché est supérieure à celle du programme Y, qui a peut-être commencé à la même heure, mais n’en a duré qu’une seule pendant laquelle il a toujours devancé la programme X en nombre de téléspectateurs. Pas besoin d’aller chercher ailleurs la raison pour laquelle les programmes français sont interminables, des sketches de 2mn empilés les uns sur les autres pour en totaliser 36 au plus de trois heures d’émission totalisés par les « X Factor » ou « Top Chef » de M6.

Si on doit vraiment traiter les audiences comme une information légitime qui mérite d’être reportée, à quand la mise en œuvre d’un peu d’objectivité dans le processus. Sur ce sujet comme souvent, on peut se demander pourquoi ce qui a cours partout ailleurs n’a pas lieu en France : le plus simple et honnête serait simplement de calculer et communiquer les audiences et part de marché par tranche d’une heure ou d’une demi-heure. Après quelques mois de ce traitement, sans doute les grilles de programmes françaises se mettraient à ressembler à quelque chose, et la durée des émissions reviendrait à quelque chose de supportable pour un être humain.

Évidemment, ce ne sont pas les chaînes qui vont décider d’une telle évolution. La question est donc de savoir si ceux qui répercutent les infos médias ont, ou non, envie de devenir davantage journalistes et moins attachés de presse de M6 et TF1. Ou si le législateur peut le décider pour eux...