LE QUINZO — 3.13 : Où l’on constate qu’on ne binge-watch pas Louis la Brocante
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 20 mars 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 13. Nicolas a regardé les premiers épisodes de la nouvelle saison de "Profilage", et il a aimé ça ; Dominique s’interroge sur le binge-watching, et Sullivan se demande s’il voudra regarder France 3 avant sa mort.

C’est moi ou « Profilage » bouge les lignes ?

Par Nicolas Robert.

Il y a des phrases que l’on n’a pas souvent l’occasion d’écrire... et quand ça arrive, ce n’est pas désagréable. Par exemple : “J’ai regardé une série sur TF1 et j’ai passé un bon moment”.

Jeudi 15, un peu plus d’un an après le sanglant final de la saison 2, « Profilage » faisait son retour sur la première chaîne. Constat : à aucun moment, je n’ai eu envie de passer l’aspirateur tout en regardant le petit écran. Mine de rien, c’est un signe.

"Profilage", pour ceux qui n’auraient jamais regardé, c’est l’histoire d’une criminologue, Chloé Saint-Laurent, qui travaille avec les flics de la brigade criminelle du Xe arrondissement de Paris.
La narration fonctionne sur des ressorts classiques : l’opposition entre une psychologue clinicienne un peu perchée et un commandant de police plutôt brut de fonderie, des histoires de meurtres, des histoires de vie privée qui entrent en collision avec la vie professionnelle, etc.

Bon, il n’y a rien de foncièrement inédit dans tout ça, mais il faut tout de même reconnaître que le traitement, lui, évite assez bien le côté "carton pâte" qui colle aux scripts de nombreuses fictions de la Une.

Si les scénaristes Sophie Lebarbier et Fanny Robert (non, on n’est pas parent ; non, ce n’est pas pour ça que j’en dis du bien) doivent sans cesse composer entre les obligations du cahier des charges "série de prime time" de TF1 et l’envie de raconter une histoire qui se tient, je trouve que l’ensemble reste en équilibre.

Il y a deux raisons à cela : la première, la série a son ton à elle. Avec des enquêtes policières calibrées mais qui laissent une vraie place à la relation qui unit l’héroïne et le flic avec lequel elle travaille.

On peut logiquement tiquer devant l’amitié qui semble unir l’ensemble des héros (là, je pense qu’on est dans le cahier des charges, comme dans certains ressorts soapesques) mais à aucun moment, les histoires ne sacrifient complètement le cœur policier de l’intrigue pour faire du "pouet pouet" [1].
Dans un précédent Quinzo, Émilie disait que “le public actuel de la fiction française est vieux et n’aime pas être secoué”. Ici, ce qui me plaît, c’est qu’on a tendance à le bouger subtilement... et c’est ce qui fait que ça passe. Que la série peut être regardée par les amies de Julie (Lescaut, dont je ne suis pas) et les autres.

La seconde raison ? Elle est toute bête : moi qui ai toujours tendance à penser que l’histoire et la qualité d’écriture priment sur le reste, je me suis surpris à penser qu’en France aussi, on peut parfois tomber sur des séries où la rencontre d’un texte et d’une interprétation peut vraiment déboucher sur quelque chose d’intéressant. Clairement, pour moi, Odile Vuillemin, l’interprète de Chloé Saint-Laurent, habite vraiment son rôle : j’arrive à y croire.

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Comme dans toutes séries (et plus encore dans les fictions françaises), "Profilage" doit composer avec des changements de casting. Après deux saisons, Guillaume Cramoisan, le premier rôle masculin (le commandant Perac), a quitté le plateau de tournage.
C’est donc Philippe Bas (le commandant Rocher) qui prend la suite. Son introduction est assez classique mais l’exposition de sa personnalité est plutôt bien gérée (ça nous change de "Rani") et on sent qu’il y a du potentiel...

Personnellement, j’ai envie de voir la suite. Ce qui n’est pas si courant.

Binge-watching

Par Dominique Montay.

Tout part d’un extrait de la vie quotidienne. Quand on regarde des séries et surtout qu’on en parle aussi professionnellement qu’on peut sur des réseaux visités par des milliers de personnes, on n’échappe jamais à la question suivante : “Y’a quoi de bien en ce moment ?”.

Ça donne un peu l’impression d’être un vendeur de vidéo-club, mais bon… (hihi, la référence qui marchera plus dans dix ans) Après, libre à nous de répondre en fonction du degré d’investissement émotionnel que nous inspire la personne qui pose la question. La sarcastique : “Regarde M6, tout est bon” ; la spéciale du type qui s’intéresse aux séries depuis les Sopranos “A part « Mad Men » et « Boardwalk Empire », le reste c’est de la soupe” ; la lapidaire “tu connais Google ?” ; la gentille Regarde « The Shadow Line », c’est vachement bien.

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Là je parle de « The Shadow Line » parce que justement ça illustre la suite du papier, mais après il vaut mieux cibler la série pour son public et pas forcer la main. Surtout, il faut contextualiser le produit, aussi. Ça n’est pas parce qu’on regarde un peu tout ce qui se fait et qu’on y trouve du plaisir que c’est le cas de tout le monde. La curiosité face à l’art n’est pas généralisable. C’est pour ça que, quand j’ai dit “Regarde « The Shadow Line »”, ce n’était pas à Tata Odile que je parlais (surtout qu’elle n’existe pas, c’est juste que je ne veux froisser personne de réel.)

Non, c’était à une collègue. Un vendredi.

Et le lundi, elle revient vers moi : “c’était bien « The Shadow Line », mais il y a des périodes un peu longues”. Premier réflexe : se demander si ça fait pas une semaine qu’on est pas venu bosser. Possible. Probable. Cohérent. Mais non. Second réflexe : se demander si on parle de la même chose. Chercher « The Shadow Line » sur IMDB, trouver un film de 2h au titre similaire. Ne rien trouver de probant. Troisième réflexe : se faire un souci considérable pour la jeune fille.

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Allez, Shadow Line, épisode 6... on tient le choc ! (Image issue d’Orange Mécanique)

Un week-end. Sept heures dans l’univers de « The Shadow Line ». Un univers cotonneux, sans humour, envoûtant, dérangeant… un univers où, même si comme moi vous avez aimé la série, vous ne voudriez pas vivre. Sept heures de vie commune avec des dépressifs, des sociopathes, des gens qui questionnent leur intégrité, beaucoup qui meurent.

Le binge-watching, je ne le pratique que très peu parce qu’à mon sens, il n’est pas adapté à toutes les séries. Par habitude, même, je préfère enchaîner 5 séries différentes à la suite, changer de rythme, de ton. Sans juger la pratique, je me demande juste si c’est faire honneur à ce qu’on regarde. Risquer la lassitude, provoquer une envie d’éloignement. Le binge-watching, ça fait plusieurs années qu’on y a droit de manière quotidienne sur les écrans français. Nos lois le permettent, nos systèmes de mesures des audiences l’encouragent.

Une série est conçue pour revenir chaque semaine, et certaines profitent de cet espacement pour rythmer leur récit, le placer dans une temporalité. Casser cette temporalité, c’est quelque part mettre la série sur un faux rythme, le briser. En temps que téléspectateur, je tiens à ce rythme, mais c’est un avis très personnel, en aucun cas un guide pour le bon visionnage des épisodes d’une série.

Parce qu’au final, si ma collègue s’est envoyée la saison entière en un week-end, c’est qu’elle a aimé « The Shadow Line ». Et c’est bien ça le principal.

8,8

Par Sullivan Le Postec.

8,8%. C’est la part d’audience de France 3 la semaine dernière. La moyenne de la chaîne était encore à 9,7% en 2011, et c’était un événement négatif qu’elle passe pour la première fois sous les 10% après que avoir été de 10,7% en 2010.

J’écrivais dans le dernier Quinzo que la réussite de M6, désormais durablement installé comme troisième chaîne nationale, tenait plus à un dévissage de France 3 que d’une véritable réussite de l’ex petite chaîne qui monte. Ce nouveau dévissage le confirme.

France 3 est une chaîne en déroute. C’est bien simple, la seule réalité dans laquelle elle pourrait encore faire de l’audience, ce serait une version de la France où Jean Tibéri serait devenu Président de la République — et où les morts seraient donc comptabilisés par Médiamétrie.
C’est le problème quand on a fait le choix éditorial de ne s’adresser qu’aux personnes (très) âgées : on a des téléspectateurs dont le taux de mortalité est largement supérieur à la moyenne.

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Une assemblée de téléspectateurs de France 3...

Blague à part, l’erreur stratégique de France 3 est là. La chaîne est regardée par un public âgé, qui a considérablement vieilli au fil des quinze dernières années. Au-delà de quelques rares tentatives intelligentes de prendre en compte cette réalité pour mieux travailler à l’élargissement de ce public, incarnées principalement par « Un Village Français », le choix a été fait d’assumer cet état de fait. Ce n’est pas pour rien qu’un programme de la Trois fête cette semaine ses quarante ans à l’antenne.

Mais ce qu’on nous a vendu comme un pragmatisme, ‘‘on est une chaîne de vieux et c’est comme ça’’, était en fait un défaitisme.

La multiplication des signaux en direction des 60 ans et plus (l’émission de Laurent Boyer, les variétés du lundi soir dont on jurerait qu’elles sont des rediffusions d’émission des années 80, le coté grenier du PAF qui récupère les émissions très usées de France 2 comme « Des Chiffres et des Lettres » ou « 30 Millions d’Amis », etc.) a fini par former un autre message, d’exclusion celui-là, qu’on pourrait résumer par : ‘‘si tu as moins de cinquante ans, cette chaîne n’est pas pour toi’’.
Une chaîne qui envoie ce message est une chaîne qui se saborde.

France 3, ses missions, sa grille, ses objectifs, doivent être profondément repensées. Au point où elle en est, elle n’a de toute façon plus grand-chose à perdre. Parce que tant qu’à faire 8% de pdm, on aimerait mieux voir des équivalents à « The Shadow Line » ou « The Hour » de BBC2 que des programmes qui aurait déjà parus démodés en 1995.

Mieux, « Plus belle la vie » et « Un Village Français » ont montré qu’en cherchant à innover et à rassembler bien au-delà du public habituel de la chaîne, on pouvait générer de gros succès...