LE QUINZO — 3.15 : Inédit, pour de vrai
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Dominique Montay & Emilie Flament & Nicolas Robert • 17 avril 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 15. Nicolas nous parle de shortcom-longue : la nouvelle invention française pour contourner les histoires. Dominique constate que la ménagère de moins de 50 ans vieillit, comme tout le monde. Quant à Émilie, elle s’arrache les cheveux devant la mention Inédit sur la TNT.

Attention chérie, ça va trasher

Par Nicolas Robert.

Jeudi 19, c’est soir de nouveauté sur Canal +. En seconde partie de soirée, la chaîne cryptée dégaine « WORKINGirls », nouvelle création signée Frank Bellocq, Béatrice Fournera et Eve-Sophie Santerre.

Sa particularité ? Adaptation de la série hollandaise « Toren C », c’est une “shortcom longue”. Autrement dit, pas une série façon « Bref » (carton Canal de la saison) mais pas une comédie de 26 minutes non plus. Un nouveau maillon dans la chaîne de la fiction à la française ? A voir. On reste surtout dans la succession de sketches plus que dans l’histoire à proprement parler. Pourquoi pas après tout, cette façon de faire marche plutôt bien auprès du public français.

Mais sur ce coup, je me pose quand même des questions. Pas à proprement parler sur la capacité de la télé française à produire des comédies à histoires [1] — après tout, « Kaboul Kitchen » montre que c’est envisageable, qu’on aime ou non la série. Non : l’interrogation porte sur la viabilité même du concept de “shortcom longue”, surtout dans ce cas bien spécifique.

« WORKINGirls », c’est l’univers de l’entreprise revisité avec des personnages féminins qui jouent à fond la carte du cliché et du trash. On a la chef quadra qui casse les pieds à tout le monde, la DRH nymphomane, la mère de famille qui se débat avec son boulot et ses gosses ou encore l’employée neurasthénique.

L’idée des scénaristes, c’est de faire rire en forçant le trait à mort. L’esprit « Groland » est clairement de sortie : si vous vous attendez à une fiction revisitant la série de bureau façon « The Office », il vaut mieux oublier vite. Très vite. Ici, pour faire rigoler le plus possible en 13 minutes, on est parti pour se moquer, maltraiter voire ridiculiser les personnages.
Du coup, la tâche devient vite compliquée. Le trash, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est du travail de haute précision. De « Father Ted » à « It’s always sunny in Philadelphia », faire rire avec des personnages pathétiques, c’est possible quand on ajoute ce qu’il faut pour créer du lien.

Sans forcément proposer de vrais dilemmes moraux, on doit en effet être capable de rendre les héros un tant soit peu sympathiques. Dans « Mes meilleures amies », comédie avec Kristen Wiig au ciné, les scènes bien prout prout fonctionnent parce qu’elles sont équilibrées par d’autres passages où l’on esquisse de vrais portraits.
L’équipe de « WORKINGirls » cite ce film parmi ses références. Mais dans les prémices de leur fiction, on ne retrouve pas vraiment cette donnée.

C’est un peu la même chose pour « It’s always sunny in Philadelphia » : ça marche d’abord parce que Charlie Day (entre autres) est un très bon acteur et qu’il arrive à faire passer des choses. Ça marche surtout parce qu’on lui en donne les moyens dans le texte. Et du temps de récit.

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Est-ce que c’est possible quand on est dans la recherche continue de la vanne et qu’on va à fond dans le trash d’entrée [2] ? Est-ce que la structure même de la shortcom (courte ou longue) offre cette opportunité ? Pas sûr.
Je dirais bien que pour y parvenir, il aurait été plus simple de faire une fiction classique de 26 minutes mais ça c’est moi, hein (pour être heureux, j’ai juste besoin de trois trucs : du chocolat, de l’amour et des histoires).

Ceci étant, pour atteindre ce but, la série peut compter sur de bonnes actrices. Comme Claude Perron (une fidèle de Dupontel au ciné) ou Blanche Gardin (vue dans « Ligne Blanche » sur Comédie !).

Le challenge est donc là : la barre paraît très haute… et la perche, plutôt grasse, peut glisser au moment de faire le saut. Pas simple.

La ménagère de moins de 50 ans en a aujourd’hui 80...

par Dominique Montay.

Hier j’ai déprimé ma compagne. Je lui ai dis : "mon rouchoudoudou (c’est l’indice pour comprendre que je n’ai pas eu réellement cette conversation avec ma compagne, parce que si je l’appelle comme ça, je m’en prend une ou je me pend, au choix), soit vigilante, dans 20 ans, tu vas regarder « Camping Paradis » ou « Les Toqués » ; dans 30 tu vas t’éclater devant « Les Z’amours » ou une rediff des « Cordiers Juge et Flic » ; dans 40 tu vas kiffer grave « Questions pour un Champion », « Derrick » et « Les chiffres et les lettres »."

Enfin, d’après la télé qu’on a, c’est comme ça...

La théorie de nos programmateurs, c’est qu’un téléspectateur glisse d’une chaîne à l’autre progressivement, son âge avançant. Entre 20 et 30 ans tu regardes Canal et tu vas sur le net. 30-40 : M6, 40-50 : TF1, 50-60 : France 2, 60-La mort : France 3, La mort-La résurrection : Arte (enfin, au vu des audiences). Chacun ses tranches d’âge et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que ça ne fonctionne pas vraiment comme ça, un être humain.

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Des jeunes de 25 ans, dans 40 ans
Avant on kiffait "Hero Corp", maintenant, on surkiffe "Les Cordiers"

Si on se fie à un cliché, plus on vieillit, plus la nouveauté nous passe au dessus (certains gardent jusqu’au bout, fort heureusement, une grande curiosité). On se réfugie dans ce qu’on aimait avant, ce qui nous plaisait. Ce qui nous rassure. Or la personne de 30 ans aujourd’hui a de grandes chances de continuer à regarder ce qu’elle regarde aujourd’hui, et qui n’a pas trop souffert d’un effet de mode. Il peut y avoir une propension à vouloir regarder des histoires qui parlent de la période de la vie qu’on est en train d’expérimenter, mais globalement, on n’arrête pas d’aimer ce qu’on aime juste parce qu’on passe une décennie... dans mon cas, c’est « Les Simpsons ». Je n’imagine pas, alors que je consomme la série de Groening depuis mes 10 ans, arrêter du jour au lendemain de la regarder, comme ça, parce que d’un seul coup je vais la trouver trop rapide, trop vulgaire... trop jeune !

On a l’impression en regardant les chaînes actuelles que les vieux, c’est leur pari pour l’avenir. La population vieillit, draguons les vieux. Sauf qu’on oublie, dans l’équation, le vieux de demain. Vous savez, celui qui a 20 ans aujourd’hui et qui n’a pas la télé. Celui qui ne va pas se mettre à en acheter une juste parce qu’il a de l’arthrite. Celui qui ne va peut-être pas se mettre à la "Inside-TV" (oui, en 2056, la télé se vendra sous forme d’un suppositoire), mais qui ne va pas, pour autant, réclamer le retour de Louis la Brocante à 20h50.

Minute photo-promo

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Ma seule théorie : le photographe a montré son pénis.
La preuve avec les réactions personnage par personnage (de gauche à droite et de haut en bas) : surprise par manque d’habitude, dégoût sincère, étonnement par respect face à la chose exposée, dégoût feint car légère curiosité quand à la sexualité, dégoût surjoué car curiosité déjà consommée mais niée (la moustache m’a beaucoup aidé sur le coup), intérêt franc et sans ambivalence. (Si vous ne vous dites pas en regardant cette photo promo que vous allez grave vous marrer en vous mettant à cette série, je ne sais pas ce qu’il vous faut, hein...)

La mention ’’Inédit sur la TNT’’

par Emilie Flament.

Depuis quelques mois, une nouvelle mention est apparue dans les auto-promotions de certaines chaînes (W9, NRJ12 pour en citer quelques unes), l’absurde ‘‘Inédit sur la TNT’’. A chaque fois que je l’entends, j’ai les poils des bras qui se hérissent, les dents qui se serrent et les mains qui se crispent... Comme pester contre ma télé ne sert pas à grand chose, la Quinzo va une fois de plus me permettre de dénoncer cette arnaque ! J’accuse ...

Pour commencer, cette formule n’a pas de sens : ‘‘Inédit’’ signifie que le programme n’a jamais été diffusé, ‘‘Inédit en clair’’ implique que Canal + ou une chaîne payante l’a déjà proposé mais que le commun des français n’y a pas encore eu accès, mais ‘‘Inédit sur la TNT’’ ne veut strictement rien dire ! Le Hertzien n’existe plus, donc tous les français ont désormais accès aux 19 chaînes via la TNT (c’est-à-dire les anciennes chaînes dites ‘‘hertziennes’’ et les nouvelles dites ‘‘de la TNT’’). Si encore ces chaînes n’utilisaient cette mention que pour des programmes jamais vus sur les chaînes gratuites... mais non ! Certains programmes ont déjà été diffusés sur nos anciennes chaînes hertziennes. Cette distinction entre les chaînes historiques et les plus-tout-à-fait-nouvelles-mais-presque chaînes n’a aucun sens. En plus d’être absurde, à chaque fois que je l’entends, j’ai la furieuse impression de me faire totalement arnaquer ! Non mais c’est vrai... Associer une mention comportant le mot ‘‘Inédit’’ au film « Maman, j’ai raté l’avion », sorti en 1990, que j’ai moi-même vu sur grand écran quand j’avais 8 ans , et qui a bien du passer 15 fois à la TV (y compris en décembre dernier sur M6), je trouve qu’il y a abus !

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Alors quel intérêt pour ces chaînes de jouer sur les mots en créant une nouvelle mention ? Ce n’est qu’une question d’image. A la création de ces chaînes dites ‘‘de la TNT’’, elles étaient censées proposer une alternative aux chaînes historiques, donc quelques nouveaux programmes ainsi que des créations originales. Bilan en 2012 : on en est loin ! la plupart sont devenues de mini-TF1 ou mini-M6, et, pour des questions de budget, elles recyclent d’anciens programmes... C’est là qu’un magicien de la communication a sans doute eu cette brillante idée : créer la mention ‘‘Inédit sur la TNT’’. Après tout, soit les gens gobent bêtement l’arnaque et la chaîne réussit à faire croire qu’elle diffuse des programmes réellement inédits, soit ils s’aperçoivent qu’on les prend pour des billes et cela ne changera sans doute pas beaucoup l’image qu’ils ont de la chaîne et des ses rediffs multiples. Bref, W9 et NRJ12 n’ont pas grand chose à perdre dans l’histoire.

Il y a quelques semaines, le CSA a annoncé les projets sélectionnés pour 6 nouvelles chaînes TNT, en appuyant bien sur l’aspect thématique de ces petits nouveaux... Mouais... Comme le soulignait Dominique dans le précédent Quinzo, c’est vrai que la promotion précédente a brillé par son respect sur ce point du cahier des charges (Grosse pointe d’ironie). Alors si ces mauvaises élèves, déjà diplômées, peuvent gruger un peu pour gagner des points d’image en faisant croire que leur grille est ‘‘Inédite’’, forcément elles ne se gênent pas... Quitte à prendre les téléspectateurs pour des idiots, autant y aller à fond ! Comment ça « La Grande Vadrouille » n’a rien d’inédit ?!?


Après l’annonce cette semaine de l’arrêt du Village l’été prochain, dans notre tribune Médias : volontarisme, ambition et pragmatisme doivent être le cœur d’une politique de gauche, la rédaction du Village tient à remercier les fidèles lecteurs qui nous ont fait parvenir leurs messages et réactions.

Dernière mise à jour
le 17 avril 2012 à 15h09

Notes

[1En vrai, on appelle ça sitcom. Mais chut : le genre est au cœur d’un formidable malentendu durable (Merci « Hélène et les garçons ») en France, donc j’utilise une formule qui a l’avantage d’être englobante.

[2Ce qui pose en plus la question de la marge de progression. Sujet du bac : « Quand, dans les tous premiers épisodes, on fait péter une actrice près de 10 secondes, y a-t-il une vraie marge de manœuvre pour aller plus loin ? » (Vous avez quatre heures. Les calculettes sont interdites).