LE QUINZO — 3.20 : Plus que 1964 Quinzos avant le 2012e
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 25 juin 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 20. Le Quinzo, saison 3, épisode 20. Dans ce 48e Quinzo, Sullivan évoque "Plus Belle la Vie" qui vient de dépasser les 2000 épisodes, Nicolas se demande où sont passées les séries de l’été, et Dominique parle dialogues.

2012e épisode : où en est « Plus Belle la Vie » ?

Par Sullivan Le Postec.

Ce mardi 26 juin, France 3 fête un événement, le 2012e épisode de son feuilleton quotidien, lancé il y a presque huit ans, « Plus Belle la Vie ». La production et la chaîne ont préféré mettre en avant cet épisode 2012 qui, fait unique, correspond à l’année de diffusion, plutôt que le 2000e — probablement aussi parce que cet épisode à chiffre rond tombait en plein Rolland Garros, période où la série est régulièrement déplacée dans les grilles de programmes quand les matches se prolongent.

Pour fêter cela, outre une programmation spéciale au fil de la journée — les comédiens de la série seront invités dans nombre d’émissions de flux et de jeux de la chaîne mardi — un épisode spécial sera diffusé à 20h15, qui met en scène une fête surprise pour laquelle sont de retour plusieurs acteurs qui ont interprété des personnages emblématiques mais ont quitté la série depuis ses débuts en 2004.

La télévision Belge a réalisé cette bande-annonce :

Depuis les débuts du Village il y a plus de cinq ans, nous vous avons (OK, « je vous ai », je suis toujours un peu seul sur ce coup-là) raconté l’histoire de la série.
Ses débuts difficiles, quand elle rassemblait à peine 1,5 millions de téléspectateurs et qu’après deux mois à l’antenne, elle s’est réinventée en plaçant un scénariste, Olivier Szulzynger, à la tête de l’écriture plutôt qu’un directeur littéraire. Celui-ci a conçu la formule scénaristique hyper-efficace qui a fait son succès et lui a permis de fidéliser de cinq à six millions de spectateurs quotidiens depuis des années. (Article Plus beau le soap et notre entretien avec Olivier Szulzynger : ‘‘Il faut expérimenter, quitte à se planter’’.)
La manière dont elle s’est toujours remise en cause, pour se perfectionner et renouveler l’intérêt du public. (Article Plus belle la vie à la recherche de l’équilibre parfait.)
Plus récemment, après une année 2010 où d’évidents signes d’épuisement narratif se faisaient sentir, et qu’une certaine grogne remontait des téléspectateurs, nous évoquions la manière dont « Plus Belle la Vie » s’est reprise en main, ce qui s’est vite vérifié dans les audiences. (Article Plus belle la reconquête.)

Et maintenant ?

En passant le cap de 2000e épisode, et en le passant en plein succès, « Plus Belle la Vie » démontre, s’il en était encore besoin, qu’elle s’est durablement installée dans le paysage audiovisuel français, et qu’elle n’en disparaîtra pas de sitôt. Les prochaines étapes seront maintenant l’anniversaire des dix ans, en 2014 et puis très certainement, ensuite, celui des vingt ans et plus... En 2010, les deux plus gros soaps britanniques, « EastEnders » et « Coronation Street », fêtaient tous deux leur anniversaire, respectivement le 25e et le 50e.
L’exemple de ces deux piliers de la télévision outre-manche est riche d’enseignements pour que le soap de France 3 puisse effectivement s’installer durablement.

Maintenant que sa place est acquise, le temps devrait désormais être celui de l’investissement. Après s’être établi à l’antenne d’ITV et alors qu’on entrait dans la période de la télévision moderne, au début des années 80, « Coronation Street » a reconstruit le décor de la rue du titre ‘‘en dur’’ et en extérieur, s’offrant ainsi la possibilité de cumuler les avantages du studio (un lieu conçu pour qu’on y filme, sans vrais habitants), et ceux de la vraie lumière du jour qui atténue le caractère très artificiel du faux extérieur.
Malheureusement pour « Plus Belle la Vie », les dirigeants actuels de Telfrance semblent bien plus déterminés à maximiser leurs profits qu’à investir pour inscrire la série dans le temps en lui permettant de monter en gamme. Le visuel de la série devait être le prochain gros chantier du soap, selon France 3. On n’a pas vu grand-chose à l’écran, à part peut-être le nouveau décor de l’appartement de la nouvelle famille intégrée ces derniers mois, certes assez réussi (il a une grande fenêtre ! Oui, une fe-nê-tre !).

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Sans déconner :
une grande fenêtre !

« Plus Belle la Vie » devra aussi périodiquement retrouver la capacité de surprendre, de jouer avec ses spectateurs, et de se poser des défis. Ce qui peut menacer un soap quotidien, c’est de s’inscrire dans une telle routine qu’il finit par être oublié de tous, même de ceux qui le regard(ai)ent. Tant « EastEnders » que « Coronation Street » ont fêté leurs anniversaires de 2010 avec des épisodes événements filmés en direct, qui leur ont permis des pics d’audience spectaculaires — 14 millions de téléspectateurs pour « Coronation » !
On est loin de la petite réunion de famille du 2012e épisode... mais France 3 pourra peut-être y penser pour les dix ans. La chaîne gagnerait aussi à s’autoriser de mieux exploiter l’Univers de la série, pourquoi pas via des mini-séries dérivées, comme là-aussi les anglais en ont produit plusieurs au fil du temps. Mettre en avant le commissariat du Mistral ou encore les ados pendant les vacances d’été, ce ne sont pas les pistes qui manquent pour aborder la marque sous des angles différents, et mieux lui permettre de se renouveler et de toucher de nouveaux publics. France 3, tenue à bout de bras par la puissance de son feuilleton, en a bien besoin. Tant pis pour la tradition idiote de l’essaimage des commandes aux producteurs.

La France est vraiment en vacances

Par Nicolas Robert.

J’ai un aveu à vous faire : je ne m’y attendais pas forcément, mais je crois que les sagas de l’été me manquent. Bon, je ne vais pas vous dire que depuis que la chaîne câblée américaine TNT a ressorti JR de la naphtaline, je rêve d’un retour de Patachou [1] manipulant tout et tout le monde dans « Orages d’été » et « Orages d’été : Avis de tempête » [2]. Non. Mais quand même…

A une époque pas si lointaine, l’arrivée des vacances coïncidait en France avec un vrai temps fort de la fiction télé. Cet été, sauf surprise vachement bien cachée, ce sera calme. Très calme.

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Inquisitio

Le grand rendez-vous à venir semble être « Inquisitio » sur France 2 (Notre preview). Mais quand je dis grand rendez-vous, je ferai remarquer que cette création est plutôt discrète sur le front promotionnel. Il me semble avoir lu beaucoup plus de news sur l’arrivée de « Smash » sur TF1 que sur la série avec Aurélien Wiik, Lula Cotton Frappier et Quentin Mérabet.

Que le format de la saga d’été ait perdu de son impact sur le public au fil des saisons, c’est incontestable. Ce qui me gêne, c’est que l’on a tendance à réduire ça à une mode. Ces séries auraient été un truc qui a marché et qui est maintenant dépassé. A la limite, pourquoi pas… mais où est l’alternative ? C’est quoi, la fiction estivale française de 2012 ?

Est-ce que c’est cette série, revisitant le XIVe siècle ? Est-ce que c’est « En Famille » sur M6, nouveau programme court qui reprend le créneau de « Scènes de Ménages » ? Est-ce que c’est « Duo », série diffusée le lundi soir sur France 2 après être longtemps restée en stand by ? (Hum…).

Quand on s’intéresse à ces trois exemples, on s’aperçoit que la fiction qui bénéficie de l’exposition médiatique la plus forte est pour l’instant « En Famille ». Une création dont on nous dit qu’elle ne manque pas d’ambition [3]. Mais soyons clairs : sans préjuger de ses qualités, elle ne peut, a priori, avoir sur les mémoires un impact subjectif aussi fort que les sagas du passé [4].

En fait, ce qui me trouble vraiment, c’est qu’après une heure de recherches, ces trois exemples de nouveautés sont les seuls que j’ai débusqués pour faire ce Quinzo.

Que l’éventail des productions proposées pendant la saison des tatanes soit moins large que pendant celle des ponchos [5], c’est logique. Qu’il soit aussi réduit, c’est plus inquiétant. Et surtout symptomatique de notre époque.

Enfin bon, tant pis. On attendra la rentrée, et l’arrivée de « Ainsi soient-ils » sur Arte : les premiers épisodes, diffusés pendant Séries Mania, donnaient envie. Et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Ca sonne faux

Par Dominique Montay.

Les dialogues dans les séries françaises sont plus souvent un problème qu’une solution à la "crise de la fiction française". Il n’y avait qu’à être sur twitter le soir de la diffusion des premiers épisodes des « Hommes de l’ombre » pour comprendre le malaise. Un avantage, quand même, quand on est comme moi et qu’on n’a pas vu la série, les multiples tweets qui passaient ne gâchaient pas un futur visionnage, étant quasiment tous axé sur un seul élément : les dialogues "qui sonnent faux", des dialogues "qui font mal aux oreilles", des dialogues "pas naturels"

Qu’on se le dise, les dialogues ont tendance à tout masquer, le mauvais, comme le bon. On se focalise dessus en première instance. D’abord par méfiance : traditionnellement, les dialogues de fictions françaises sont souvent pointés du doigt, par principe. Ensuite dans les faits : nous nous servons trop des dialogues pour expliquer les personnages et leur passé. On le soulignait dans « Deux flics sur les docks », avoir un personnage qui demande, en substance, à un autre "comment ça va depuis la mort de ta femme ?", c’est presque inexcusable.
Ce trait, très français, est certainement majoritairement dû à une volonté de la chaîne de baliser le terrain au maximum. Le téléspectateur, ainsi, n’a aucune question à se poser sur les personnages, les enjeux sont exposés clairement (impossible de jouer sur le mystère ou la notion de surprise), et ce, de la façon la plus maladroite qu’il soit, vu que dans la forme, c’est inécoutable.

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Lino Ventura et Bernard Blier

Notre tradition nous offre aussi un retour de bâton très douloureux. Pour le grand public, comme pour certains spécialistes, le summum du dialogue, c’est Michel Audiard. Des dialogues très écrits, à mille lieux du langage commun. Sauf qu’essayer de faire du Audiard aujourd’hui, sans avoir sous la main des gens comme Bernard Blier, Lino Ventura ou Francis Blanche, c’est du suicide (en plus ça va être un peu dur de les avoir, ils sont tous morts).

La tendance, chez nous, est de dialoguer encore, de dialoguer toujours. L’intrigue avance rarement par l’action. On se retrouve face à des dialogues informatifs et inintéressant, sans aucune tension dramatique. Quand il ne s’agit pas de purs monologues.

Au visionnage des « Beaux Mecs », il y a plus d’un an aujourd’hui, je me réjouissais de la chose la plus stupide qui soit, au milieu de cette fiction très réussie. Dans une scène, deux personnages constataient la présence de sang sur un objet, silencieusement. J’étais heureux, tout simplement parce que personne n’avait dit "c’est du sang". En arriver à se satisfaire de ça, c’est assez symptomatique de la façon dont sont traitées les fictions. En gérant tout par le dialogue, on écrit plus une dramatique radiophonique. A croire que les images ne sont là que pour justifier la présence sur le petit écran, rien de plus.

Qu’on se le dise, même en réussissant sa fiction, si les dialogues sont loupés, on ne voit (n’entend) que ça, et on oublie le reste. Ou quand un élément périphérique pourri le cœur même de ce qu’on a essayé de faire.

Heureusement, il existe des cas de dialogues réussis en France. Leur rareté dans les fictions du duo Hadmar-Herpoux est un bonheur. La façon de bosser d’Alexandre Astier, qui écrit pour une troupe bien ciblée permet une justesse assez confondante. Son demi-frère n’est pas en reste, et même si on a l’impression que tout le monde parle de la même façon dans ses fictions, ça reste très agréable à l’oreille...

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Braquo
A dialoguer avec un clavier qui souffre du syndrôme de Tourette

Après, il y a la méthode « Braquo ». C’est une école. Voyons justement 3 lignes de dialogues très connus dans leur forme naturelle, puis étudions-les en les Braquoïsant (c’est un peu le même principe que les films Suèdés de Gondry). Attention, ces dernières phrases ne sont à lire à haute voix tant que les enfants ne sont pas couchés.

“Au secours ObiWan Kenobi, vous êtes mon seul espoir” — Princesse Leïa, « Star Wars »
Version méthode « Braquo » : “Sors toi les doigts, Kenobi, ou ils vont me les bouffer, ces enculés”.

“Louis, je pense que c’est le début d’une belle amitié” — Rick Blaine, « Casablanca »
Version méthode « Braquo » : “Je suis coincé avec toi et j’ai les boules, espèce de bâtard”.

“La première règle du Fight Club est : il est interdit de parler du Fight Club” — Tyler Durden, « Fight Club »
Version méthode « Braquo » : “Bande de connards, fermez-vos gueules”.

Fleuri, aérien, mémorable. Ça donne grave envie de tout braquoïser, non ?

On me dit que non.

Dernière mise à jour
le 26 juin 2012 à 10h10

Notes

[1La grande dame a eu 94 ans le 10 juin. Note de service pour TF1 : si c’est dans les cartons, va falloir faire vite.

[2Vous vous étiez déjà dit que si ça avait vraiment duré, on aurait pu avoir des suites du genre « Orages d’été : coulée de boue » ou « Orages d’été : tempête tropicale » ? Peut-être même des spin off comme « Orages d’été : la Creuse » (avec Bruno Madinier) ? Nan ? C’est normal.

[3“L’écriture a changé, on va plus loin dans ce qu’on raconte, ça laisse plus de place à l’émotion et à la tendresse, on est moins sur la vanne sèche,” explique Yann Goazempis du pôle Humour de M6. Non, je n’écrirai pas que le fait que ces programmes courts soient rattachés au pôle Humour de la chaîne — et non au pôle Fictions — me laisse un peu circonspect. N’insistez pas. Ou alors à la fin d’une petite note.

[4Mais si : souvenez-vous de Camille, le fils du personnage de Patachou, dont on découvre le visage brûlé derrière un masque de papier dans « Orages d’été : avis de tempête ». Quoi, il n’y a que moi qui m’en souviens ?

[5Comment ça, je m’habille mal ?