LE QUINZO — 1.05 : Mauvais cartons
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 10 mai 2010
Cette quinzaine, Sullivan fait remarquer que pour être compris, il vaut mieux s’assurer d’être intelligible. Emilie explique pourquoi « Les Invincibles » lui ont plu sans l’enthousiasmer. Et Dominique nous parle d’une drôle de rencontre...

Être intelligible pour se faire comprendre

Par Sullivan Le Postec.

Parfois je sens chez les créatifs de la fiction télé française comme un regret, voire un reproche, devant ce qu’ils ressentent comme un manque de connaissance des conditions dans lesquels ils travaillent. Je me souviens moins de les avoir vu se demander si le petit monde de la fiction française était ou non intelligible.

Je suis venu à la série télé, d’abord américaine bien sûr, pendant mon adolescence. Au milieu de pas mal de séries regardées, j’ai été particulièrement fan de deux d’entre elles, « The X-Files » et « Babylon 5 ». En quelques lectures et finalement peu de temps, quelque chose comme deux ou trois ans, maximum, ces deux séries à elles seules m’ont permis d’acquérir une très bonne connaissance de la production télévisée aux États-Unis. Des connaissances qui me servent encore aujourd’hui.
C’est parce que la série télé américaine a une qualité précieuse : ce que vous apprenez un jour va vous servir toujours.

Par exemple, vous pouvez lire un article sur la création de « Lost » et y découvrir que la mention du générique “Created by Jeffrey Lieber and J.J. Abrams & Damon Lindelof” n’alterne pas le « and » et le « & » par hasard.
En fait, Jeffrey Lieber a créé une première version de « Lost » – grosso modo les mêmes personnages s’écrasant sur une île déserte, mais sans la dimension SF/fantastique. Pas satisfaits, le studio et la chaîne repassent le bébé à J.J. Abrams, qui travaille aux cotés de de Damon Lindelof. Ces deux-là façonnent le « Lost » que l’on connaît. Donc Jeffrey Lieber n’a pas travaillé avec Abrams et Lindelof (en fait, ils ne se sont jamais rencontrés), ils ont travaillé successivement sur le projet, c’est ce que révèle le « and ». Abrams et Lindelof ont, eux, travaillé ensemble, c’est indiqué par le « & ».
Mais cet article ne vous a pas seulement appris une information intéressante sur l’histoire de la série « Lost », il vous a appris et lire la mention « and » et « & » dans tous les génériques de la télévision américaine (et, pour ce qui concerne cet exemple, du cinéma aussi, d’ailleurs).

Puisqu’une information apprise une fois est valable partout, il est facile de comprendre qu’en assez peu de temps, on peut bien connaître les processus de production d’une série américaine et notamment lire les génériques, à de rares exceptions près. (Il est notamment regrettable qu’il soit devenu impossible de distinguer le(s) showrunner(s) d’une série parmi les différents producteurs exécutifs depuis que le carton s’intercalant entre la fin de l’épisode et le générique de fin a été supprimé.)
Pourtant, le monde des créatifs de la télé américaine est loin d’être le pays des bisounours. Souvenez-vous, il y a deux ans une grève a arrêté le tournage de toutes les séries pendant des mois, tandis que syndicats de scénaristes et de producteurs n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Les conflits sont bien présents, sûrement même plus durs qu’en France, et cela n’empêche pas ces gens de se mettre autour d’une table et de définir ce genre de règles et de standards, qui permettent au monde de la télé américaine d’être intelligible.

Cela fait au moins six ou sept ans que je m’intéresse de près au petit monde de la fiction télé française. J’ai pu rencontrer plusieurs grands scénaristes et réalisateurs de série. Mais je dois avouer que je continue de mieux connaître le fonctionnement de la télé américaine. Et ce n’est pas de ma faute !

La France se situe parfaitement à l’opposé de ce que j’ai décrit plus haut. Il y a très peu de règles et de normes. Chaque générique est négocié au coup par coup et au petit bonheur la chance. Du coup, une même fonction est créditée un jour dans le générique de début, un autre dans les crédits au début de chaque épisode, encore un autre dans le générique de fin. Un générique de fin qui répète souvent des informations déjà apparues dans les crédits de début d’épisode ou dans le générique. Pour quoi faire ? Ce temps inutilement dépensé ne pourrait-il pas permettre de le raccourcir ou d’augmenter l’exposition d’autres contributeurs importants dont le nom défile pendant un vingt-cinquième de seconde ?

Tout cela aboutit à des aberrations. Par exemple, le générique des deux premières saisons d’« Engrenages » affichait le crédit : “Une série conçue par Alexandra Clert et Guy-Patrick Sainderichin”. Dans la troisième saison, la série n’a plus été conçue que par Alexandra Clert, toute seule. Sainderichin a disparu de la circulation. On cherche encore comment il a pu arrêté d’être le co-créateur de la série entre la saison 2 et la saison 3, et à priori on va chercher longtemps. « Engrenages » est un cas complexe et conflictuel ? Soit. Mais ce n’est pas une bonne excuse car le cas n’est pas isolé.
Prenez le cas de « Reporters ». Dans la saison 1, on apprenait qu’il s’agissait d’une “série créée par Olivier Kohn (une seconde de battement) avec Alban Guitteny et la collaboration de Séverine Bosschem et Jean-Luc Estèbe”. Mais dans le générique de la saison 2, « Reporters » était “créée par Olivier Kohn avec Alban Guitteny”. Deux supposés co-créateurs avaient là-aussi disparu sans laisser de trace. On était sur le point d’accuser les fissures dans l’espace-temps qui sévissent dans la saison en cours de « Doctor Who », mais il s’avère qu’il y a une explication.
En fait, « Reporters » a été créée, au sens où tout le monde l’entend, par Olivier Kohn tout seul. C’est à dire qu’il en a définit le concept, l’univers et les personnages. Dans un deuxième temps, les arches narratives de la saison 1 ont été développées par Olivier Kohn et Alban Guitteny avec la collaboration de Séverine Bosschem et Jean-Luc Estèbe. Les arches de la saison 2 ont été développées par Kohn et Guitteny. Ces deux informations différentes maladroitement fusionnées pour économiser cinq secondes donnent les crédits qui apparaissent dans les deux génériques de la série et dont il faut donc bien dire qu’ils sont 1) inexacts et 2) incohérents.

Ces deux exemples pour une information aussi cruciale et importante que la création de la série donnent une assez bonne idée du foutoir que sont les génériques français...
Le monde de la fiction française se sent incompris ? Il faut qu’il réalise qu’il s’est rendu incompréhensible et qu’il serait temps de ranger les égos au vestiaire cinq minutes pour définir des règles applicables partout. Au passage, y associer les chaînes pour qu’elles aient elle-mêmes des règles à respecter sur les temps d’affichage, la dimension des caractères et la superposition de bande-annonces ne serait pas une mauvaise idée. Encore une fois, si cela a été possible pour les grand Networks ultra-commerciaux américains, on voit mal ce qui rendrait la chose impossible chez nous...

Pourquoi « Les Invincibles » ne me séduisent pas totalement

Par Émilie Flament.

A priori, la série a tout pour me plaire : je suis en plein dans le cœur de cible de cette série générationnelle, j’aime bien les comédies de groupe, j’ai beaucoup entendu parler du show, et je suis du genre à laisser leurs chances aux productions françaises (sinon, je n’écrirais pas pour ce site !). J’ai regardé toute la série assidument sur Arte ou via la catch-up tv, et même si elle a des défauts, j’ai globalement apprécié l’ambiance et passé de bons moments.

Alors pourquoi est-ce que je garde cet arrière-goût amer ? Pourquoi, quand quelqu’un me demande mon opinion sur la série, je reste mitigée, incapable d’être enthousiaste ? A la limite, j’ai presque envie de ne pas me prononcer pour ne pas les influencer négativement : les tentatives de ce genre sont trop rares en France pour être découragées. Mais en même temps... il y a vraiment quelque chose que je ne digère pas !
Analysons ensemble ce « conflit intérieur » qui me ronge... Désolée de vous prendre pour des psys, mais d’autres se retrouveront peut-être dans cet écrit !

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D’abord, c’est un remake, et, oui, ça me pose problème. Je n’ai toujours pas vu la série originale qui m’a été chaudement recommandée, et donc je ne m’attarderai pas sur la qualité du remake. Mais par principe, ça me gêne. Il y a assez de scénaristes talentueux en France pour proposer un concept original avec un cahier des charges identique. Arte et Making Prod auraient certes pris un risque plus important, mais la gloire n’en aurait été que plus grande. En passant, condenser le contenu d’une saison de 12 épisodes (série originale) en 8, c’est limite, surtout quand structurellement, ça se sent [1].

Pour le reste, le dilemme est plus grand. Je ne peux que saluer la qualité de la campagne de communication : de l’affichage à Paris et en province, des pubs (TV + ciné + radio + presse écrite), une bonne utilisation d’Internet, un vrai mini-site avec du contenu. Cerise sur la gâteau, une sortie DVD extrêmement bien calculée, une vrai B.O. disponible en même temps, un bouquin pour « créer le buzz »... et même une montre dérivée ! Chapeau ! Sans aucun doute, c’est la bonne approche et un modèle à suivre pour beaucoup de chaînes et de production. La bande originale est bonne et apporte une atmosphère à la série. Là encore, vu qu’elle tourne en boucle dans ma voiture, je ne peux qu’adhérer... J’ai juste une petite voix dans me tête qui proteste et qui aurait préféré avoir 4 épisodes de plus (pour atteindre les 12 de la série originale) avec une partie du budget colossal qui a du être consacrée à cette com’ et à l’accord avec Emi Music... Mais bon ! C’est peut-être le prix à payer pour donner l’exemple...

La conclusion de cette réflexion ? Si, en spectateur lambda, j’étais tombée sur la série sans chercher à en savoir plus, si je n’étais pas « informée » comme je le suis, j’aurais sans doute été plus tendre sur le sujet, lui concédant ses défauts au profit de ses qualités et de sa volonté de faire parler des séries françaises... Mais, je suis du genre à gratter pour voir ce qui se cache sous la surface... Dommage pour moi ! Même si je regarderai avec plaisir la seconde saison. Petit message pour Arte et Making Prod : pour la prochaine série, une création originale avec la même richesse d’initiative, et ma conscience apaisée me laissera profiter pleinement de ce que vous proposez...

Ricky Gervais meets…

par Dominique Montay

Dans le coin droit, portant un tee-shirt et un jean noir, le nouveau héros de la comédie anglaise qui accuse un sérieux nombre de kilos en trop et aime parler de lui-même, il est gras mais il s’en fout : Ricky… Gervais !!! Dans le coin gauche, il a révolutionné la sitcom classique en abattant le 4e mur, il a réinventé le principe de la guest-star, porte un ensemble décontracté et des lunettes de soleil : Garry… Shandling !!! Ding !

2006, Ricky Gervais est aimé de tous. « The Office » est multi-remaké, «  Extras » est culte, et il devient le premier guest des « Simpson » à écrire un épisode. De quoi très vite choper la grosse tête et penser qu’on est une énorme star. Et Ricky Gervais ne s’en prive pas. Son attitude, on peu la trouver hilarante ou agaçante, mais quoi qu’il arrive, elle ne laisse pas indifférente. Le type se refuse à faire de la télé parce qu’il considère ne plus rien avoir à prouver, et pense qu’il a raison de se reposer sur ses lauriers, you cunt (phrase qu’il prononça à une journaliste british) !

Il refuse aussi les millions d’Hollywood mais profite de sa célébrité. Pour quoi faire ? Rencontrer ses idoles. Larry David, Christopher Guest… Avec David, tout se passe plutôt bien (étonnamment vu l’image qu’il véhicule). Avec Guest, beaucoup moins. La réputation du comique n’étant plus à faire : c’est un chieur. Mais alors que ces deux expériences ne sont pas totalement ratées, une autre va se révéler quasi-traumatique (encore qu’on doute que ça ait eu un réel impact sur Gervais, qui vit un peu sur un nuage). Ricky Gervais va se frotter à Garry Shandling.

Alors, qui est Garry Shandling ? Peut-être que vous ne connaissez pas, et on ne vous en voudra pas totalement, tant ce monsieur de la comédie US est quasiment passé inaperçu dans notre pays. Dans les années 80, Shandling, bénéficiant d’une bonne notoriété, lance « It’s Garry Shandling Show » sur Showtime. Une sitcom qui intègre le public à la narration, lui parle, et y font constamment appel. Une approche révolutionnaire d’un genre éculé, qui est encore aujourd’hui une référence. Puis vient l’heure de la consécration avec le chef-d’œuvre de Shandling, le « Larry Sanders Show », seule de ses série à avoir franchi l’Atlantique. Le show se centre sur Larry Sanders, animateur de talk-show hypocondriaque, asocial, obsessionnel. Un pur chef d’œuvre d’humour basé à de nombreuses reprises sur la mise en scène de situations gênantes ou qui génèrent du malaise. Le fond de commerce de Gervais.

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Garry Shandling (g) et Ricky Gervais (d)

« Ricky Gervais Meets… Garry Shandling ». Ca ressemble à quoi ? Bon, déjà, c’est formellement assez moche. La réalisation comme le montage sont assez pauvres. C’est un peu l’équivalent de ces émissions où les stars nous montrent leur intérieur. Donc pas d’attrait à ce niveau. Ricky Gervais n’est pas un interviewer, il l’admet. Donc la forme est moche et le fond c’est quoi ? Ricky Gervais rencontre ses idoles et est payé pour. Ok, super. Qu’on ne se trompe pas, je trouve Ricky Gervais très souvent hilarant, et assez génial. De plus, il est très compliqué de se faire une idée de l’homme public tant certains comiques ont pour faculté de rester dans leur personnage fictionnel lorsqu’une caméra les filme. Mais quand même, vu le concept de l’émission on a envie de se dire « pourvu qu’il se prenne une leçon ».

Ca ne loupe pas.

Shandling commence par faire attendre Gervais. Puis, une fois dans le champ avec ce dernier, plutôt que de le saluer comme il se doit, l’agresse avec une question. Gervais est déjà déstabilisé, et tente maladroitement de balancer deux-trois vannes. Il cite Larry David (créateur de « Seinfeld » et « Curb your Enthusiasm »), qui déclare que l’humour juif, c’est de se plaindre. Garry adoube la citation, renchérissant « oui, on peu le dire, c’est se plaindre de façon amusante. » Gervais « c’est pour ça que c’est de l’humour juif, si ce n’était pas amusant ce serait juste juif ». Un ange passe. Gervais encore, attaque en déclarant que Shandling lui rappelle un personnage de show pour enfant, qui a de grandes dents. Shandling prend le coup, encaisse, puis sort l’artillerie lourde « Dans Extras, vous avez une scène ou vous portez un casque Nazi. C’est assez drôle comme ça, mais vous choisissez de sourire, un faciès qui dit au public, je suis un vilain garçon, et je le sais » « J’ai l’impression que vous ne devez pas être à l’aise quand vous castez des juifs » « Vous trouvez ça drôle ? c’est votre sens de l’humour ? ». Gervais n’est pas un interviewer. Shandling, lui, sait poser des questions, et celles qui font mal. Gervais veut le faire sortir, Shandling attend, regardant la réaction de l’anglais quand il se rendra compte qu’il est sorti tout seul. Point d’orgue de l’interview : Shandling va se servir un café, mais jamais n’en propose à Gervais. Ce dernier se plaint hors champ et va ensuite insister devant Shandling, sans rien lui dire. Et Shandling de jouer la surprise « Quoi ? Ah, vous en vouliez ? »… K.O.

L’émission est en elle-même à mourir de rire, tant est qu’on soit réceptif à ce type d’humour. J’étais persuadé au départ que tout avait été agencé, la phrase finale de Shandling « sorry, did the best I could » me semblant une crainte de ce dernier de ne pas avoir fait correctement son show. Mais en fait non. C’était juste la remarque ironique d’un comique confirmé qui dit simplement qu’il a fait avec ce qu’il avait, Ricky Gervais. Dur, mais sur ce coup-là, justifié.

Gervais a arrêté son émission après « Ricky Gervais meets Garry Shandling ». Pas une grande perte, tant l’entreprise avait tout de l’éloge de l’autosatisfaction. Morale de l’histoire : si vous rencontrez vos idoles, contentez vous d’un appareil photo, laissez la caméra à la maison. Et surtout, n’essayez pas de le vendre à une chaîne de télé, on ne sait jamais.