HARD - Saison 1 • LES NOUVELLES COMEDIES FRANCAISES
Du porno, chic !
Par Sullivan Le Postec • 2 octobre 2008
Dramédie romantico-pornographique, la série « Hard », développée dans le cadre de la Nouvelle Trilogie, la case ‘‘innovation’’ de Canal+, manie à fond le paradoxe. Avec subtilité et panache.

Il y a des projets comme « Hard » où tout semblait réuni pour le pire, et que la grâce semble avoir touché. Une comédie dans l’univers du porno diffusée sur Canal+, cela aurait pu être un sommet de vulgarité et de mauvais goût. Dans les faits, « Hard » est une série crue mais sensible, lucide mais optimiste. Bref, un vrai petit miracle tout en paradoxes, et qui voit éclore une vraie plume, celle de sa scénariste-réalisatrice, Cathy Verney.

It’s hard for the women

Sophie, mère au foyer bourgeoise de deux enfants, Jules et Violette, se trouve soudain veuve après que son mari ait été victime d’un accident domestique. Le jour de l’enterrement, sa belle-mère, Louise, doit bien vite sécher ses larmes pour annoncer à Sophie une nouvelle... compliquée. Contrairement à ce qu’elle a toujours cru, Alexandre ne travaillait pas dans une société spécialisée dans le transport de marchandise. Il gérait en fait Soph’X, une société de production de contenus pornographiques destinés à internet et au marché de la vidéo. Il y a pire : Soph’X connaît quelques difficultés passagères, qui l’ont conduit à hypothéquer la maison familiale. Sophie doit reprendre la société, sans quoi elle risque de tout perdre.
Abasourdie, Sophie doit découvrir un univers très codifié dont elle ignore tout, et qui la dégoûte. Peu à peu, pourtant, il l’oblige à se confronter à son propre univers intime, à ses fantasmes, au poids que son cadre normatif fait peser sur sa vie. Et puis il y a Roy Lapoutre, le hardeur au grand cœur, qui fait du charme à Sophie. L’attraction l’emportera-t-elle sur la répulsion ?

Un équilibre juste

Le secret de « Hard » repose sur sa capacité à évoluer avec grâce sur un fil tendu entre tous les différents écueils dans lesquels elle aurait pu sombrer. La série n’hésite pas à se confronter de manière directe à l’univers du porno, elle ne cherche pas esquiver. Mais elle s’applique à déconstruire les aspects fantasmatiques, à ramener les choses à leur nature besogneuse. Rapidement, ‘‘spoon, spoon anale, sodo, et on fera l’éjac’ à part’’ en vient à sonner aux oreilles comme ‘‘NFS, chimie, iono et gaz du sang’’ par ailleurs.
L’effet comique est garanti et la série en use bien.

En fait, Cathy Verney, la scénariste-réalisatrice, à qui on a proposé ce sujet, l’a traité de la même manière que Sophie le fait dans la fiction : elle explore et cherche à comprendre cet univers sans jamais perdre son point de vue de femme. Le porno lui est étranger. Au départ, Sophie cherche à trouver un espace où elle pourrait adapter le porno à elle ; elle tente de développer la ‘‘fiction de qualité’’, désignant par là un porno qui pourrait plaire aux femmes. Mais Sophie se heurte aux réalités du métier (on tourne trop vite, pour trop peu cher) et à la simple inexistence de ce marché. Cette réalité la pousse à s’interroger sur la sexualité et les fantasmes féminins. C’est là aussi que « Hard » se montre subtile. Oui, Sophie et la majeure partie de son entourage appartiennent à un univers bourgeois coincé. Mais jamais la série n’assume que coincé signifie l’absence du sexe, du désir, de l’érotisme et des fantasmes. Ceux-ci sont justes tabous, non-dits. Mais afleurent très vite, à la première occasion. Et Sophie de se retrouver quasi-proxénète quand elle se met à exploiter le marché des fantasmes féminins qui ne demandaient qu’à être enfin libérés.

Evidemment, « Hard » est une série sur le poids que fait peser sur nos vies un univers normé qui étouffe et qui enferme. D’ailleurs, les enfants de Sophie sont le produit de ce cadre rigide et aliénant. Violette ne trouve d’autre moyen de s’exprimer que de déclamer des listes, dans lesquelles elle cache à l’occasion une provocation qui ne trompe pas sur un conformisme sidérant ; Jules a la dépression autiste, se réfugiant en lui-même séparé du monde par la porte de sa chambre et un casque vissé à ses oreilles. La première prend très mal de reconnaître la star du X Roy Lapoutre au coté de sa mère. Le second n’apparaît en voie d’épanouissement qu’après une longue conversation avec une transsexuelle employée de Soph’X — soit quelqu’un qui s’est fermement détourné des conventions pour partir à la recherche de son identité propre.

Avant tout, pourtant, « Hard » est une comédie, une comédie drôle et même parfaitement hilarante à l’occasion. Elle le doit tout autant à cette écriture fine qu’à une distribution parfaite, ce qui est pour le moins rare par ici. Lindinger joue la froideur et la distance avec ce qu’il faut pour laisser devenir d’autres choses en surface et rester attachante. Michèle Moretti est hilarante en grand-mère ultra-pragmatique et pas très porté sur l’affectif. François Vincentelli fait preuve d’un charme incroyable dans ce rôle très lumineux. La série lui doit une bonne partie de sa fraîcheur.

Au final, le principal défaut de ces six épisodes serait... d’être trop courts ! Dommage que la décision de poursuivre par une seconde saison n’ait pas été prise plus tôt. En l’état, le passage de Sophie du stade d’épouse écrasée par les conventions à celui de femme libérée mariée à un hardeur est beaucoup trop rapide pour que l’on puisse y croire.
Le défaut est essentiellement concentré dans le dernier épisode de la saison, l’évolution ayant été progressive et bien gérée jusque là. Mais au final, le désir d’une jolie conclusion l’aura visiblement emporté sur la véracité psychologique. Cette conclusion pose aussi la question de l’approche qui sera développée pour la seconde saison actuellement en écriture. Reviendra-t-elle sur les neuf mois zappés par ce dernier épisode ou bien leur fera-t-elle suite ? Réponse en 2010 sur Canal+. Pour la première fois, une série de La Nouvelle Trilogie aura gagnée ses galons de grande. Mérité.

Post Scriptum

« Hard »
Saison 1, 6x26 minutes.
La Parisienne d’image / Canal+ - Unité la Fabrique sous la direction de Bruno Gaccio.
Produit par Gilles Galud
Créé, écrit et réalisé par Cathy Verney
Avec Natacha Lindinger (Sophie), Michèle Moretti (Louise), François Vincentelli (Roy Lapoutre).

Dernière mise à jour
le 4 octobre 2010 à 20h36