LES OUBLIÉES
La première collaboration d’Hervé Hadmar et Marc Herpoux
Par Dominique Montay • 13 juin 2012
Avant de battre le pavé dans les rues de Pigalle, le duo Harpoux-Hadmar avait déjà marqué le PAF avec une série-enquête : "Les Oubliées".

Le Capitaine de gendarmerie Christian Janvier (Jacques Gamblin) est sur la même affaire depuis 15 ans dans la région de Boulogne-sur-Mer. 15 ans, 6 jeunes femmes disparues, aucune piste sérieuse. Les oubliées étaient vierges, blondes, et ne restent d’elle que les vêtements, propres et repassés, trouvés le lendemain de leur disparition sur des bancs publics, à côté d’une petite statuette de la vierge.

En plein cœur de l’hiver, cette série fait un effet conséquent dans l’univers des spécialistes télé français. Une pure anomalie. Une série d’une noirceur incroyable, à la réalisation très éloignée des canons francophones, le tout sur la chaîne de « Louis la Brocante ». Une anomalie, qui, bien évidemment, obtint des audiences faméliques pour la chaîne.

Un générique remarquable

Dès le générique, nous sommes ailleurs. Une musique remarquable, qui tranche là encore avec les normes “à l’économie” de la fiction française. « Les Oubliées » possède l’un des plus beaux générique de série française de tous les temps. Enlevons même “série française” de l’équation. Ce générique est un modèle. Un tour de force.

Il utilise les lieux où vont se dérouler l’action, situant géographiquement l’intrigue. Dans ces lieux se développent des ondulations noires, comme de la mauvaise herbe qui se développe à toute vitesse et pollue l’image. L’immersion de la noirceur dans un environnement banal ? Représentation de l’esprit du héros, Christian Janvier, Capitaine au bout du rouleau dont l’esprit est pollué, occulté ? Une imagerie qui exprime à la perfection la thématique de la série.
Le dernier plan nous offre l’éclosion d’une fleur blanche, personnification de la pureté des Oubliées au moment de leur disparition, image explicite qui en dit encore plus, à mesure qu’on avance dans le récit.

Un générique qui allie beauté plastique et fidélité thématique, qui raconte en sous-texte l’histoire que nous allons suivre sans jamais donner les pistes avant l’heure. Une pure merveille, tout simplement.


Le générique de la série "Les Oubliées", réalisé par Leaphar, musique d’Eric Demarsan

Le héros est fatigué

Christian Janvier est usé. Il ne dort plus. Il est victime d’hallucinations et de pertes de mémoire sévères. Nous suivons ce personnage du début à la fin. Nous ressentons son désespoir, son incompréhension. Nous partageons son épuisement complet. La série joue intelligemment avec son état. Il s’auto-médicamente, se pousse à bout, et devient un être mi-mort, mi-vivant, dans un état de conscience transitoire.

Les interactions entre Janvier et sa famille proche sont là encore, très justes. Qu’il s’agisse de sa femme, qui en a ras-le-bol de le voir sur cette affaire, et ne vivre que pour ça, sa fille, adolescente, ou son père, atteint d’Alzheimer... Ses échanges avec les parents des Oubliées sont tout autant émouvants. Ils verbalisent l’importance que représente Janvier à leurs yeux. Il est érigé tel un chevalier, un Samouraï qui ne s’arrêtera jamais d’enquêter. On comprend, de fait, l’écrasante pression qui est sur les épaules du Capitaine.

Malgré ses poches sous les yeux, son attitude parfois abrasive, Janvier est charmant, séduisant. Jacques Gamblin est, dans cette histoire, absolument parfait lui aussi. Sa justesse s’inscrit dans la continuité de la série. Aucune fausse note dans ses attitudes, dans ses réactions. Le voir réaliser qu’il a complètement oublié une partie de sa journée de la veille, rester là sans mouvement, tenter de recoller les morceaux est désarmant.

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Christian Janvier
Un être perdu à la recherche d’oubliées

La série joue évidemment avec ces troubles, mais pas seulement. La notion de culpabilité se transfère d’un personnage à l’autre. Souvent, les fins d’épisodes nous offrent un nouveau coupable. La mécanique, très convenue, ne donne pourtant pas ici lieu à des scènes rebattues d’interrogatoires ou d’exposition de preuves. Tout se règle souvent dans la plus grande simplicité : deux personnes qui s’assoient et parlent, mécanique déjà constatée dans « Pigalle La Nuit ».

Une réalisation forte

La réalisation des « Oubliées » ne tient pas la main du téléspectateur. Si le récit est totalement chronologique, tout n’est pas montré, tout n’est pas à l’écran. Très souvent, on entre dans les scènes au milieu, voir vers la fin d’une conversation. Ce qu’on montre plus que l’échange de mots, ce sont les silences entre deux protagonistes, les moments de gêne, d’introspection, de réflexion. Malgré ce parti-pris qui peut être assimilé au contemplatif, « Les Oubliées » est très rythmé, le montage est dynamique, la caméra mobile, comme attachée à un œil qui balaie, qui hésite avant de se fixer sur un élément d’importance.

Ce qu’on peut reprocher aux « Oubliées », c’est la facilité avec laquelle Janvier résout l’affaire. Si le cheminement de sa réflexion est considérablement boosté par les découvertes du premier épisode, ce qui lui permet de comprendre l’ensemble est tellement basique qu’on se demande comment il a pu, en quinze ans, passer à côté. Et ce même si un personnage-oracle, en milieu de récit, lui fait comprendre que si en tout ce temps il n’est arrivé à rien, c’est parce qu’il cherchait au mauvais endroit.

Mort-vivant, spectres et Oracles

Peut-être qu’en devenant un mort-vivant, détaché des humains, à milles lieux de sa fonction d’homme de loi, marchant sur le fil entre conscience et cauchemar, Janvier a pu remettre à zéro son mode de fonctionnement, illustrant les propos de l’Oracle. Il lui fallait peut-être devenir un autre pour comprendre l’évidence qui était sous ses yeux toutes ces années. Qu’il laisse ses oubliées qui continuent de hanter ses journées lui montrer le chemin.

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Le lieutenant Ducourt
Partagé entre fidélité à Janvier et envie de ne pas se brûler à son contact, il œuvrera surtout pour faire avancer l’enquête

En dehors de ce point, l’enquête évolue émotionnellement d’épisode en épisode, si bien que dans les scènes finales, on ne peut être que bouleversé, pris aux tripes et, plus simplement, soulagé comme si nous aussi, nous n’avions pas dormi pendant des semaines.

Comme beaucoup de grandes séries françaises, « Les Oubliées » restera une anomalie, mais une très belle anomalie, qui a fait exploser aux yeux de tous le talent du duo qui accouchera quelques années plus tard du remarquable « Pigalle La Nuit », et de « Signature », leur œuvre qui a le plus divisé à ce jour.

« Les Oubliées » est encore disponible en DVD, à ce jour, et reste une mini-série de six épisodes à voir absolument.

Post Scriptum

« Les Oubliées »
Une production Cinétévé / CRRAV / AT Productions / RTBF pour France 3.
Créé par Hervé Hadmar.
Écrit par : Hervé Hadmar et Marc Herpoux.
Réalisé par : Hervé Hadmar.
Produit par : Fabienne Servan-Schreiber et Jean-Pierre Fayer.
Avec : Jacques Gamblin, Fabien Aïssa Busetta, Nathalie Besançon, Priscilla Attal, Frédéric Bouraly, Arsène Jiroyan, Didier Constant.