LUTHER — Saison 2
Retour sur la saison 2 de la série-événement de Neil Cross
Par Dominique Montay • 25 mai 2012
« Luther », la sombre. « Luther » la torturée. Mais « Luther », la miraculée. Donnée pour morte au terme d’une première saison aux audiences faiblarde, le véhicule d’Idris Elba est revenu en 2011 pour une seconde saison bancale, mais toujours fascinante. Retour sur cette série, dont la diffusion vient de s’achever sur Canal+.

La saison 2 reprend quelques mois après les évévements du cliffhanger de la saison passée. Rappel : l’ex femme de Luther vient d’être assassinée par son collègue et ami Ian Reed, flic pourri. Une scène finale opposait Reed à un trio formé d’Alice, de Luther et de Mark North, qui partageait depuis peu la vie de l’ex femme de Luther. Alice tue Reed, exprimant ainsi le sentiment de revanche des deux hommes, et en paye aujourd’hui le prix. Elle est en prison, ayant prit sur elle toute la responsabilité de l’affaire. Luther, lui, évolue toujours parmi les flics... mais plus trop parmi les humains.

John Luther est devenu encore plus suicidaire que la saison passée. Son jeu favori du matin, voir s’il est capable de se coller une balle dans la tête. Il donnait déjà l’impression d’être au bout du rouleau la saison passée, mais son opposition/attraction à Alice Morgan l’avait maintenu en vie pour une raison : lui prouver que l’amour existe, elle qui ne ressent rien.

Bravo à lui, c’est une réussite. Alice a admis que l’amour existe, et pour elle, Luther le personnalise. Si elle est toujours autant détachée des autres humains et si elle est incapable d’empathie, une seule personne révèle son humanité. C’est John Luther. Le duo, quand il est à l’écran en cette saison 2 (très rarement, et juste dans les 2 premiers épisodes), est toujours aussi fascinant à observer. Il n’est cependant, contrairement à la première saison, pas au cœur du récit. Et c’est un des problème de ce nouvel opus.

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Batman et Robin
Presque...

L’autre vient de sa conception même. On l’a dit, « Luther » est une miraculée. Mais elle n’a pas été sauvée à n’importe quel prix. La BBC, si elle voulait revoir Idris Elba en gabbardine, c’était dans deux 90 minutes, et pas 6 épisodes. Le temps a passé, la série a eu un bon retentissement aux USA, couplé à de belles critiques. Les 2x90 sont devenus des 4x52. Un peu bancales, du coup.

La première partie de la première histoire manque d’intérêt, on tarde à retrouver le « Luther » qu’on aime. Une histoire qui nous apparaîtra peu intéressante, la faute à un antagoniste un peu caricatural et pas assez terrifiant. Le double-épisode vient finir de nous décevoir en forçant la séparation du couple Ruth-Luther, en ouvrant sur celui beaucoup moins attrayant qu’il forme avec la très jeune et en danger Jenny.

L’intérêt du personnage de Jenny, jeune femme embarquée dans une histoire de pornographie et sous la menace d’une mère sous l’influence de la mafia, est juste d’empêcher Luther de se coller cette fameuse balle dans la tête. Intrinsèquement, Luther veut soit mourir, soit quitter les forces de l’ordre, métier qui semble faire ressortir le pire de sa personnalité. Avec Jenny, il constate son utilité pour les autres. En faisant cela, Luther se pose définitivement en figure sacrificielle, quasi-religieuse, un personnage qui s’ouvre à la souffrance constante et potentiellement la damnation pour le bien de ses congénères.

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Alice Morgan
Ruth, quand tu auras fini de fricoter avec Jude Law, tu reviens quand tu veux, hein ?

Le second opus est beaucoup plus intéressant, poussant le concept de la série dans ses derniers retranchement. Un homme couvert d’une casquette agresse quelqu’un qui vient faire le plein de sa voiture dans une station service, le tout filmé du pointe de vue des gens qui sont dans la station. Le plan est d’une violence rare, et déclenche une terreur absolue. La réalisation joue sur la distance pour provoquer la crainte avec maestria. Dans une autre scène, le même personnage, recouvert d’un casque de moto, entre dans une entreprise et défonce les crânes de ceux qu’il croise avec un marteau.

Une violence rare, ressentie de façon viscérale, et mise en scène avec une simplicité qui, là encore, accentue le propos. A contrario de cette économie, certains plans jouent sur l’accentuation, comme celui, très esthétisant, montrant Luther s’asperger d’essence, peut-être un peu too much. « Luther » est une série assez funambule en soit, souvent à deux doigts de tomber dans le grotesque ou dans le grand-guignol. Cette saison plus que la précédente, la série est un peu tombée dans le piège. Son traitement de la pornographie n’est pas des plus fin, pour ne citer que ça.

La série reste pour autant un véhicule formidable pour Idris Elba. Une série souvent brillante, très belle à regarder. Si la série, auréolée d’une célébrité qui dépasse les frontières britanniques (la série est très commentée aux USA, et la diffusion française a battu des records pour une série étrangère diffusée sur Canal+), connaîtra une troisième saison dont on ne connaît pas encore le nombre d’épisodes. L’ambition de Neil Cross et (surtout) d’Idris Elba qui voit en « Luther » un moyen de marquer les esprits une bonne fois pour toute sur grand écran, est de faire "Luther, le film".

S’il existe une série qui ne serait pas trahie par un tel portage, c’est bien celle-là. Sa cinégénie est déjà affirmée, son fonctionnement par épisode bouclés à enquêtes se prêtera sans problème à un récit de 2h... on peut espérer (c’est tellement rare qu’on en profite), qu’un tel chantier ne dénaturera pas une œuvre si originale, si différente, si simplement agréable à suivre, même dans cette saison 2 qui laisse une légère impression d’être moins aboutie.

Post Scriptum

« Luther »
Saison 2 : 4x60’ - 2011.
Une production BBC.
Créé et écrit par Neil Cross. Réalisé par Sam Miller.
Avec : Idris Elba.