MAFIOSA - Saisons 1 et 2
Le grand bouleversement
Par Emilie Flament • 20 mai 2010
Deux saisons, deux équipes différentes, deux axes de développement. Le changement était-il justifié ? La transformation est-elle réussie ? Alors que la saison 3 est actuellement en tournage, retour sur les deux premières saisons de cette série Canal +.

Une femme, Sandra Paoli, prend la succession de son oncle, parrain assassiné de la mafia Corse. Autour d’elle, un frère qui aurait du prendre la succession, des hommes qui ont du mal à accepter une femme à leur tête, d’autres parrains qui comptent en profiter, des trafics à gérer, un passif familial compliqué. L’idée est bonne et les axes de développement nombreux... trop nombreux ?

Pas besoin d’avoir lu le moindre article pour s’apercevoir que les 2 premières saisons sont le fruit du travail de 2 équipes complètement différentes. Créée par Hugues Pagan (« Police District », « Nicolas Le Floch ») et réalisée par Louis Choquette, le succès mitigé de la saison 1 pousse les producteurs à aborder la série sous un nouvel angle et à confier la réalisation et le scénario à Eric Rochant et à Pierre Leccia. Comparons les deux copies.

Des axes scénaristiques différents

Dans la saison 1, Pagan se focalise sur Sandra Paoli, avocate brillante, prenant la tête de la famille Paoli. Tout le concept repose sur cette phrase : “L’homme le plus puissant de Corse est une femme”. Qu’est-ce que ce bouleversement implique dans l’univers mafieux ? Les épisodes, relativement stand-alone, permettent d’explorer les réactions de son frère, de son propre clan, des clans rivaux, et de Sandra elle-même. Qu’est-ce que cela change sur la fonction de Parrain ? La réaction de Sandra aux différents business, notamment à la prostitution, est également traitée. Sa condition de femme a aussi un impact plus physique, à son avantage (elle utilise le rapport au sexe pour manipuler les hommes) et à son désavantage (tentatives de viol lorsqu’elle prend la tête du clan). D’ailleurs, Sandra, la tête pensante, démarre sur un passage à vide : elle est consciente que maintenant elle va toujours devoir regarder pas dessus son épaule, mais elle part s’envoyer en l’air avec un surfeur et manque de se faire tuer ! En réaction, elle devient plus froide et distante, exécutant elle-même ceux qui la menacent. De petite fille protégée par son oncle et son frère, elle vient de passer au statut de garce glaciale.

Dans la suite, Rochant préfère à cette exploration de la place de la femme dans ce monde d’hommes un cadre plus intime, le rapport frère/sœur et l’impact de la domination de l’un sur l’autre. Les 2 personnages sont différenciés dès le commencement de la série : Sandra est la tête, Jean-Michel, les bras. Sandra est froide, Jean-Michel plus sanguin. Pourtant, ils ne comptent quasiment que l’un sur l’autre. D’ailleurs, c’était à peu près la seule utilité de son frère dans la saison 1. Complètement écrasé par sa sœur, il ne se servait quasiment que de ses bras. Heureusement, il se rattrape dans cette deuxième saison, en prenant toute son ampleur : l’enfermement, le deuil, la vengeance... sa progression est passionnante. Il transcende le coté ‘homme de main’ de la saison précédente. Son enfermement, les décisions de Sandra, pour le business comme pour le piège dans lequel son frère était tombé, la relation de la sa sœur avec Andréani, sont autant d’éléments qui vont les éloigner et les amener à une séparation du clan et à une véritable guerre. « Mafiosa » ou comment un amour fraternel peut être aussi voire même plus destructeur qu’une passion amoureuse et se transformer en carnage.

JPEG - 59.1 ko

Le fossé

Si les 2 angles sont pertinents et intéressants, j’ai tendance à préférer celui de la première saison. D’abord, parce qu’il offre de très larges possibilités à la série, y compris structurellement. En effet, Pagan a réussi l’exercice difficile de développer véritablement les arcs ABC, malgré un format 8x52, en créant des épisodes quasi stand-alone. A cela, il faut ajouter que la série avait trouvé un ton, et que le virage de la saison 2 est un peu dur à digérer. Ce changement complet d’intrigue se ressent fortement dans la structure et dans l’intrigue.
Scénaristiquement, la saison 1 avait de grosses faiblesses : le rôle de la DEA est plus que questionnable. Elle est extrêmement fournie, même trop. Beaucoup de pistes intéressantes sont lancées sans pour autant être vraiment suivies faute de temps, notamment autour du « père » de Sandra ou de l’état de sa mère.
Le reboot fait avec la saison 2 permet certes de recentrer la série, mais avec pertes et fracas. Rochant ellipse totalement les éléments qu’il ne souhaite pas développer, sans les conclure. Caterina Paoli et la mère ne réapparaissent pas alors qu’elles vivaient avec Sandra par exemple. Plus grave, les révélations de la saison 1 tombent aux oubliettes : Sandra est la fille cachée de François, et par conséquent, Jean-Michel est son demi-frère, tout comme Andréani. L’omission d’un point aussi important passe mal, surtout quand Sandra finit par s’engager dans une relation très chaude avec Andréani.
A coté de ces incohérences, ce reboot a un effet très lourd sur la structure même de la série. Là où la saison 1 réussissait à gérer les 3 arcs scénaristiques. On ressent plus la présence de 2 courtes saisons dans la seconde : d’abord, une transition pour amener la série à Marseille et donner à Jean-Michel son nouveau rôle, puis la vraie saison 2 sur le conflit frère-sœur. Le coût de la réappropriation est donc élevé, et la deuxième saison n’est pas suffisante pour valider l’intérêt d’un tel bouleversement.

JPEG - 57.4 ko

Un virage visuel

La Corse, son soleil, ses villages, ses traditions... et ses familles mafieuses... Un vrai cliché ! Pas étonnant que cette première saison n’ait pas été bien reçue sur l’île de Beauté. On évolue ici dans un monde à part où tout est en fait lié aux clans. Politique régionale, commerce, querelle de voisinage, emplois... le clan gère tout. C’est une pieuvre gigantesque dont chaque épisode nous dévoile une tentacule. Les interventions du continent semblent pipées. Pour les Paoli, tout n’est que luxe, argent, puissance.
Pour la saison 2, au revoir la Corse, bonjour Marseille ! Suite à l’arrestation de Jean-Michel, le clan perd sa position et part à Marseille pour remonter son business. Ce qui peut passer pour un agrandissement du cadre n’est qu’un isolement des 2 têtes du clan Paoli. Du maquis Corse, on passe aux boîtes de nuit douteuses. Si les grandes villas sont de nouveau au rendez-vous dans la seconde moitié de la saison, c’est surtout les séquences « Baraque à Pizza » qui marquent. Adieu glamour ! Les rendez-vous sont donnés autour d’une table en plastique, sur le port devant la baraque.
Point commun entre les 2 saisons, les réalisateurs viennent du cinéma. Louis Choquette, réalisateur québecois, est en charge de la première, Eric Rochant, de la seconde. Chacun apporte son univers propre et du coup donne une esthétique différente à la série. En saison 1, le montage saccadé et les plans serrés donnent un rythme visuel, qui aide un peu à faire passer la lenteur globale du show. Les cadrages décalés installent l’identité de la série. Rochant revient à des plans plus classiques, plans séquence ou plans larges, et cherche à privilégier le jeu des acteurs et la mise en avant des personnages.

Au final, il existe véritablement 2 séries « Mafiosa ». Les 2 génériques suffisent à mettre en avant le fossé qui les sépare. L’un, placé en fin d’épisode, n’est qu’une succession de gueules, et met en avant la diversité d’intrigues de la saison. L’autre, montrant des images ‘amateurs’ de 2 enfants, une fille et un garçon, jouant aux cowboys, avec une musique en décalage avec la noirceur générale, centre clairement l’intrigue sur le lien fraternel et l’ampleur prise par ce conflit.
Reste que la saison 2 n’a pas réussi à faire oublier son manque de respect envers les intrigues de la saison 1, et du coup, ne prend pas réellement son envol. La saison 3 permettra sans doute de tirer un véritable bilan sur ce changement d’équipe, succès ou échec.

Post Scriptum

« Mafiosa »
2 saisons, 8 x 52 min, saison 3 en tournage, diffusion prévue fin 2010.
Créée par Hugues Pagan
Avec Hélène Fillières et Thierry Neuvic
Saison 1 écrite par Hugues Pagan, réalisée par Louis Choquette

Saison 2 écrite par Pierre Leccia et Eric Rochant, réalisée par Eric Rochant
Diffusion Canal Plus depuis 2006, disponibles en DVD

Dernière mise à jour
le 20 mai 2010 à 10h30