MAISON CLOSE — Saison 1 : le bilan
Un bordel sans femmes...
Par Sullivan Le Postec • 25 octobre 2010
On a déjà dit (beaucoup) de mal de « Maison Close » au fil de la diffusion. On ne va donc pas passer la nuit sur ce bilan, mais revenir sur certains éléments de contexte qui pourraient peut-être expliquer comment on en est arrivé là...

Ceux qui ont lu mes Impressions postées au fil de la diffusion savent que je n’y ai pas été tendre avec « Maison Close ». Pour les autres, résumons en disant que j’ai vite été décontenancé par un terrible manque de profondeur et de propos, les personnages apparaissant de plus en plus au fil des épisodes comme autant de poupées creuses au service d’une intrigue anémique, incohérente et vide de sens...

Un souffle visuel

Si quelqu’un espérait encore que « Maison Close » trouverait un sens et une justification au finish, l’espoir est douché. Les deux derniers épisodes, même s’ils étaient un peu plus riches en action (pas difficile), n’ont pas altéré le jugement construit au fil des semaines précédentes.

Au terme des huit épisodes, le bilan est vraiment très dur, d’autant que les deux premiers épisodes, loin d’être parfaits, avaient quand même un certain souffle que la série ne retrouve plus jamais ensuite.
Parce que « Maison Close » n’a pas tout raté. Mabrouk El Mechri a proposé un renouvellement visuel de la fiction historique, traitée façon Barz Luhrmann light. On accroche ou non, mais il s’agit d’une pierre posée dans une direction impérieusement nécessaire en France. Surtout que ces cinq dernières années à France Télévisions, Duhammel et de Carolis ont rajouté une couche supplémentaire de naphtaline sur le genre, qui n’en avait vraiment pas besoin.

Signalons aussi que, si aucune n’est aboutie, il y a certaines tentatives dans l’écriture, notamment la volonté d’écrire sur des moments quotidiens, déconnectés de l’intrigue, qu’il faut encourager. Mais ces tentatives échouent devant la superficialité effarante des personnages, et le manque total d’empathie qu’ils provoquent. (La saison 3 de « Mafiosa » propose des choses immensément plus convaincantes allant dans cette même direction. On vous en parle très vite.)

C’est le bordel !

« Maison Close » au départ, c’est l’idée d’un producteur, Jacques Ouaniche : une jeune femme se fait enrôler contre son gré dans une Maison Close dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Il trouve des scénaristes pour développer le projet. La Bible et les arches sont signées Paul Labeuche & Pierre Chosson, Anne Viau & Clara Bourreau.
Ce développement est sinueux et compliqué. Au bout du compte, Anne Viau et Clara Bourreau écrivent le séquencier des deux premiers épisodes (Paul Labeuche & Pierre Chosson ont déjà quitté le projet à ce stade, je ne sais pas s’ils ont travaillé avec les deux femmes scénaristes ou bien seulement avant elles). Après cela, déclarées “épuisées” par ce processus de développement, elles sont remplacées par Jean-Baptiste Delafon, connu de Canal+ pour laquelle il a déjà participé à plusieurs développements qui n’ont jamais abouti à un tournage. Il doit écrire les continuités dialogués des deux premiers épisodes sur la base de ces séquenciers qu’il n’assume pas vraiment, et la suite de la série à partir d’arches qu’il n’a pas participé à développer.

Il y a déjà suffisamment d’influences potentiellement discordantes pour qu’on puisse s’en inquiéter un peu. Mais là-dessus, la chaîne rajoute un réalisateur vedette venu du grand écran, chargé d’imprimer son style fort sur la série. Un processus de développement qui fait sens au cinéma, le réalisateur ayant, et les moyens, et le temps de ramener tout le matériel à sa propre vision. Ce n’est pas le cas à la télévision où, dans ce type de configuration, la réalisation n’est guère plus qu’une influence discordante de plus, qui achève d’éclater le projet. Et cela sans même rentrer dans la débâcle de la deuxième moitié de la saison, qu’un autre réalisateur devait initialement diriger, avant que tout ce beau monde se rende compte que rajouter une voix supplémentaire avait toutes les chances de transformer la polyphonie mal calée en absolue cacophonie.
Dans les faits, on constate aussi que même Mabrouk El Mechri n’est pas capable de tenir sur les quatre autres épisodes qu’il a dirigé le style flamboyant posé sur les deux premiers, et qui finit par apparaître comme un coup d’esbroufe destiné aux journalistes qui écrivent souvent leurs papiers sur la base des deux premiers épisodes.

Pour résumer, c’est le bordel, et cela se voit indéniablement à l’écran, tant la série manque de jus, d’unité, et de propos. Les éléments qui piquent le plus l’intérêt sont d’ailleurs issus de la documentation approfondie effectuée pour soutenir le projet, sur le fonctionnement des Maisons Closes et le système de la dette, par exemple. Mais un bon documentaire de 52’ sur le sujet nous aurait certainement plus plu que la série à ce niveau.

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Où sont les femmes ?

Ajoutons enfin que « Maison Close » a un autre problème criant. A l’exception de Gaillac, tous les personnages sont des femmes. Or, du coté des scénaristes, du réalisateur, du producteur, il n’y a pratiquement que des hommes ! Contrairement aux Etats-Unis (ou de nombreuses équipes de scénaristes de séries ne comptent qu’une seule femme, voire aucune, pour dix hommes), la France à la chance d’avoir une proportion conséquente de scénaristes de sexe féminin qui travaillent régulièrement. Il serait très certainement légitime de faire appel à elles, à fortiori dans un projet qui ne parle QUE des femmes.

Du coup, je ne suis pas vraiment surpris que le seul moment où la relation entre Hortense et Véra est intéressante et un petit peu crédible et touchante soit justement les deux épisodes où l’influence d’Anne Viau et Clara Bourreau est encore importante.
Pas étonnant, non plus, que la série manque au final autant de féminité ; et donc qu’elle dérape si souvent dans le mauvais goût et le racolage facile dans sa représentation de la sexualité.

Faut-il fermer la Maison Close ?

Alors, après avoir dit tout ça, difficile de ne pas en venir à poser la question : faut-il arrêter les frais ? « Maison Close » devrait-elle rejoindre « Scalp » et « La Commune » dans la catégorie des expériences limitées à une seule saison ?

En vérité, le plus gros problème de « Maison Close », c’est son succès ! Du fait d’une campagne promotionnelle très réussie et absolument massive (4x3 à foison, pubs animées spécialement tournées pour Internet partout sur la toile, mini-site animé à gros budget...), ainsi que d’un sujet définitivement vendeur, la série a acquis un succès d’audience important. 30% du public a beau être parti après la première semaine, celle-ci avait établi un nouveau record pour une série française sur Canal+, les audiences se sont donc stabilisées à un excellent 1,2 millions d’abonnés. Un succès qui « oblige » pratiquement Canal+ et Noé Productions à pondre une saison 2.

Tant pis si, le cas de « Sécurité Intérieure » mis à part, « Maison Close » m’apparaît comme le plus gros échec créatif de Canal+ depuis la saison 1 d’« Engrenages ». Alors pour la suite, il n’y a guère d’autre choix que de tout réinventer...

Bon courage ! Parce que les Virginie Brac [1], ça ne court pas les rues...


  • En bref :

Ennuyeuse, la série aligne des personnages creux, pour lesquels il est pratiquement impossible de développer de l’empathie, poupées sans vie au service d’une intrigue très mince et complètement improbable. Racoleuse, elle compte essentiellement sur ses scènes de sexe pour se vendre et propose un traitement misogyne, parfois malsain, de son sujet. La réalisation de Mabrouk El Mechri, si elle a l’avantage de renouveler le genre de la série française en costume, anesthésié par des décennies de productions sans intérêt, étouffe parfois l’ensemble, constituant un barrage supplémentaire à l’attachement aux personnages. La résolution, improbable et ridicule, achève malheureusement de classer l’ensemble dans le rayon des nanars de luxe.

Post Scriptum

« Maison Close »
Noé Productions / Canal+. 8x52’
Sur une idée de Jacques Ouaniche. Ecrit par Jean-Baptiste Delafon avec la collaboration de Eric Benzekri. D’après une histoire de Jean-Baptiste Delafon, Paul Labeuche & Pierre Chosson, Anne Viau & Clara Bourreau.
Réalisée par Mabrouk El Mechri (épisodes 1 à 4, 7 et 8) et Carlos Da Fonseca Parsotam & Jacques Ouaniche (épisodes 5 et 6).
Avec Anne Charrier, Valérie Karsenti, Jemina West, Catherine Hosmalin, Blandine Bellavoir et Nicolas Briançon.

Disponible dès aujourd’hui en DVD.