MINI-SÉRIE – L’École du Pouvoir
La grande désillusion
Par Sullivan Le Postec • 2 juillet 2012
En deux épisodes de deux heures, « L’école du pouvoir » brosse, de 1977 à 1986, le portrait de la promotion Voltaire de l’ENA, celle qui, à peine diplômée, a connu l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand.

L’École Nationale d’Administration, la voie royale de formation des élites françaises, constitue un sujet de fiction politique passionnant auquel se sont attelés conjointement Canal+ et Arte.

Arte a été co-producteur de nombreux films du réalisateur anglais Peter Kosminsky (« Les années Tony Blair », notamment). La chaîne lui propose en 2006 de tourner un film en France sur un sujet de son choix. Avec Capa Drama, il se fixe sur le sujet de l’ENA, et développe le projet. Au fil du développement, Canal + monte dans le train. La chaîne a cryptée, qui a une longue tradition de fictions politiques, a diffusé la mini-série en première fenêtre en janvier 2009. Arte la propose à son tour sur son antenne les 23 & 24 septembre 2010. Pour des raisons ’’d’agenda et d’indisponibilité’’, pour reprendre la formule officielle, Kosminsky n’a finalement pas réalisé le projet. C’est Raoul Peck (« L’affaire Villemin ») qui le remplace.

Au-delà de l’ENA, la mini-série de deux épisodes de deux heures fait le choix de s’intéresser à cinq amis au sein d’une promotion célèbre, la promotion Voltaire. Celle qui fut diplômée juste avant que la gauche n’accède au pouvoir via l’élection de François Mitterrand en 1981. Les étudiants de gauche de l’école ont alors vus leurs idéaux être immédiatement mis à l’épreuve du pouvoir, et ils se sont très vite heurtés au "tournant de la rigueur". Le trauma de la désillusion de 1983 est la question autour de laquelle tourne une grosse partie des œuvres de fiction politiques françaises, comme le trauma de l’assassinat de Kennedy a hanté la fiction politique américaine des décennies durant. « L’École du Pouvoir » en traite très directement, quitte à déboucher sur un paradoxe intéressant, sur lequel nous reviendrons plus loin.

Le scénario est divisé en quatre parties : « le pacte », « rang de sortie », « l’engagement », « le pouvoir ».

Sur la politique

Printemps 1977. Cinq personnages passent le grand oral d’entrée à l’ENA. Abel Karnonski est un avocat idéaliste, marié et père d’une petite fille, et dont la femme thésarde participe au mouvement de défense de l’université de Vincennes menacée. Matthieu Ribero est un fils d’ouvrier, exception dans sa famille. Caroline Séguier, franche et directe, déborde d’ambition et d’exigence envers elle-même et les autres. Louis de Cigy est un notable issu d’une famille où l’on est énarque de père en fils – et où l’on se doit de finir dans les quinze premiers de sa promotion. Sa sœur Laure de Cigy était plutôt destinée à faire un bon mariage qu’à réussir dans les études, mais elle est en rébellion contre ce système.
Ces cinq personnages intègrent l’ENA dès octobre 1977. On les accueille dans ce qui “symbolise la méritocratie à la française”. Féroces, les scénaristes font suivre cette déclaration d’intention de l’appel des deux seuls élèves issus de milieux prolétaires faisant partie de cette promotion, qu’on expose en alibis.

« L’École du Pouvoir » est, à raison sans doute, sévère avec l’ENA de la fin des années 1970 : on la présente comme une école qui enseigne avant-tout le conservatisme, la reproduction d’un système fermé et sexiste, bref : une institution qui vise à freiner la réforme, et surtout pas à la promouvoir. Elle sait aussi démontrer à ses élèves qu’ils sont des pions au service d’un État qui devra disposer d’eux.
Je n’imaginais pas à quel point l’État était devenu un frein au changement dans ce pays,” déclare Matthieu, déterminé à changer les choses. L’ENA est régie par « la botte » : les quinze premiers élèves peuvent choisir leur affectation et se réservent les débouchés les plus prestigieux dans les grands corps : Inspection des Finances, Conseil d’État, Cours des Comptes. Pour protester contre ce système, les quatre amis de gauche, Abel, Matthieu, Caroline et Laure font un pacte : refuser les grands corps s’ils finissent classés dans les quinze premiers.

Le premier stage est déjà l’occasion de confronter les idéaux aux réalités de la France. Il ne leur faut pas longtemps pour mesurer que l’État a ses contradictions, ses secrets, voire ses vices. Sauf peut-être Louis qui, là avant-tout par tradition familiale, n’en a pas tellement, d’idéaux. Ça lui laisse plus de temps pour draguer les femmes.
En parallèle, ils sont témoins de la montée dans le pays d’un désir d’alternance qui tend le pouvoir en place.

JPEG - 37.2 ko

Cette première partie, qui se termine au soir de l’élection de François Mitterrand, est une franche réussite. Le scénario est centré, le propos est fort, les personnages sont crédibles et intéressants. Il faut dire que la dimension roman à clef de la mini-série entre en ligne de compte. La promotion Voltaire fut celle de Ségolène Royal, François Hollande et Dominique de Villepin. Si les héros de « L’Ecole du Pouvoir » sont des personnages de fiction en partie composites, l’empreinte de ces figures célèbres, toujours au coeur du pouvoir vingt-cinq ans plus tard, est évidente sur les personnages de Caroline, Matthieu et Louis. Les comédiens vont clairement dans ce sens et Élodie Navarre, notamment, incarne une Ségolène plus vraie que nature. Le casting est globalement très bon, même si Robinson Stévenin est nettement meilleur quand il ne parle pas.

On n’est pas dans la satire poujadiste, il y a autant de respect que de critiques dans ces portraits — même si la mini-série se montre assez cruelle avec son crypto-Dominique de Villepin, Louis de Cigy, charmeur qui fait tomber les femmes unes à unes, et avec lesquelles il se montre tantôt machiste, tantôt goujat. (Mais de Villepin rigolait beaucoup à l’époque de la diffusion sur Canal+ quand les journalistes cherchaient à savoir s’il avait vraiment eu une liaison avec Ségolène Royal : il a eu l’air d’apprécier son portrait, ce qui en dit long, n’est-ce pas ?...)
La reconstitution d’époque est très réussie et la réalisation pas désagréable, même si elle est un peu plate.

Contre la politique

La seconde partie suit les personnages lors de leurs premières années de travail et d’engagement, à la sortie de l’ENA. C’est en quelque sorte l’épreuve finale opposant leurs idéaux aux réalités du terrain, et leur volonté, ou leur refus, d’accepter le compromis — voire la compromission.

Comme dit l’OLP, si tu veux détourner un avion, vaut mieux être dedans !
— L’avion est entre de bonnes mains.

Malheureusement, ce deuxième volet est beaucoup moins réussi que le premier qui arrivait à bien gérer le développement en parallèle des différents personnages. Le récit manque de colonne vertébrale et donc de rythme (on regarde souvent sa montre). Il se montre parfois un peu démonstratif dans son portrait du tournant de la rigueur. Une scène très ratée du premier épisode — l’épreuve filmé, écrite avec un didactisme maladroit qui force les comédiens à jouer faux — semble parfois se diffuser dans le deuxième et s’y multiplier.

La campagne électorale de Caroline retient l’attention dans la première moitié de l’épisode 2. Dans la seconde, on s’attache surtout au parcours du personnage de Matthieu, qui doit trahir les siens quand l’industrie de son territoire de naissance, la Lorraine, est sacrifiée sur l’hôtel de la compétitivité. Mais, au-delà de cela, la narration repose surtout sur les histoires de cœur et de cul des personnages, qui ne sont pas tout à fait l’intérêt principal de la mini-série.
Sur le plan personnel, le récit s’attache surtout à suivre les amoureux contrariés, Abel et Laure. Des personnages qui deviennent un peu agaçants, certainement beaucoup moins complexes et intéressants que les Matthieu et Caroline en butte avec leurs paradoxes et un monde très gris.

Abel et Laure se retrouvent finalement quand ils décident chacun de quitter la politique pour... Pour quoi, en fait ? C’est un peu là le problème. Les cinq dernières minutes les montrent réaliser des interviews de français ordinaires, façon de dire par opposition que les autres sont déconnectés des réalités vécues par les "vrais gens". Un grand moment de démagogie neuneu, qui n’essaye même pas de cacher que la pureté retrouvée des personnages est totalement dénuée de perspectives et de traductions concrètes.

C’est le paradoxe que j’évoquais plus haut, qu’on retrouve en fait dans plusieurs autres fictions politiques, du fait de leur racine commune dans la désillusion de 1983. « L’École du Pouvoir » est une fiction politique qui entend plonger son auditoire quatre heures durant dans les coulisses du pouvoir, auprès des élites politiques, tout en affichant au final son dégoût unilatéral pour ceux-ci. L’entreprise nous paraît un peu bancale, et surtout assez vaine...

Post Scriptum

« L’École du Pouvoir »
2x120’, 2009. Capa Drama / Canal+ / Arte.
Écrit par Ève de Castro, Didier Lacoste, Aaron Barzman et Raoul Peck avec la participation de Peter Kosminsky.
Réalisé par Raoul Peck.
Avec Robinson Stévenin (Abel Karnonski), Elodie Navarre (Caroline Seguier), Céline Sallette (Laure de Cigy), Thibault Vinçon (Mathieu Ribeiro), Valentin Merlet (Louis de Cigy).

Dernière mise à jour
le 20 octobre 2010 à 07h33