MINI-SERIE - Les Beaux Mecs : le bilan
Gangsters, humour & mélo...
Par Dominique Montay • 9 avril 2011
« Les Beaux Mecs », c’est fini. Comme vous avez pu le remarquer, nous avons aimé cette série, une fiction d’une qualité comme on en a rarement vu ces dernières années sur le service public. Retour sur la création de Virginie Brac et de Gilles Bannier.

Tony Roucas sort de prison pour se venger. Pourquoi ? Comment ? En 8 épisodes de 52 minutes, « Les Beaux Mecs » ont pour ambition de ne pas seulement traiter une histoire de vengeance, mais aussi de raconter 50 ans de Grand Banditisme via les yeux fatigués d’une de ses figures les plus marquante, même si totalement fictive.

On démarre sur les chapeaux de roues. Les premières minutes de la fiction nous jettent en plein dans l’action : une scène d’évasion chaotique. Si cette scène trahit légèrement le manque de moyens, son côté minimaliste ne fait pas trop désordre. Au contraire, on est portés. S’ensuit la satisfaction de voir le générique (une vraie réussite), enchaîner avec cette partie d’histoire. Oui, on est dans une série, une vraie.

Tony et Kenz

La suite s’avère du même acabit. Pour sortir de prison, Tony s’est greffé à Kenz, une petite frappe de banlieue qui rêve de devenir Tony Montana, le héros de « Scarface ». Véritable voix de cette frange de population, qui érige en modèle le narco-trafiquant le plus connu de la planète, idolâtrant le type qui se construit tout seul, qui devient un boss, mais oubliant sa fin, pathétique et solitaire, entouré de montagne de coke avec pour seul amies ses dernières armes à feu. Kenz n’a rien de « Scarface ». C’est juste une grande gueule sans envergure. Une grande gueule qui est extatique à la vue de sa cité, presque aussi moche que la prison qu’il vient de quitter, et dont les murs sont encore plus hauts. La médiocrité apparente de Kenz et de ses copains frappe Tony Roucas, qui profite de la première occasion pour leur faire faux-bond.

Mais voilà, Tony a perdu vingt-cinq ans de sa vie. Des années où il n’a pas connu l’émergence des portables, de la carte bleue, des caméras de surveillance… Plongé dans un autre monde, il va être obligé de tout réapprendre, et la seule personne qui peut lui venir en aide, c’est Kenz Bourriche. Au fil de leur collaboration, Tony va comprendre les qualités du jeune homme, qui est incapable de se lever tôt, qui ne sait pas s’organiser, ni garder son sang-froid lors de braquages. Tony comprend que sa grande gueule insupportable est un atout remarquable. Et il va l’utiliser plus que de raison.

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Tony
Pas là pour s’amuser...

C’est une des parties très réussies de la fiction. Une alliance habilement construite et sans faille. L’interprétation de Simon Abkarian et de Soufiane Guerrab se marie à merveille. L’union est crédible, comme l’expression de leurs divergences. C’est drôle, c’est rythmé, c’est profond. Jamais Tony ne se pose clairement en mentor, ou pire, en coach, ce qui aurait donné une mécanique beaucoup plus classique et, soyons francs, ennuyeuse à souhait. Tony est dur, directif, jamais paternaliste. Mais il est droit, honnête (si tant est qu’un ancien membre du Grand Banditisme puisse l’être). Et si au final, Kenz apprend quelque chose de Tony, c’est par lui-même plus que par la dispense de conseils avisés.

Kenz et son monde

L’univers de Kenz est très cloisonné. Il y a ses deux potes, deux pieds-nickelés incapables, des vrais boulets qui agissent comme des cadors. La palme à Moussa, qui se contente à chaque circonstance d’aller dans le sens du vent et d’appuyer les arguments de celui qui parle le plus fort. Il y a sa petite amie, une insupportable profiteuse, qui, Kenz en prison depuis peu, s’est jetée dans les bras du Caïd de la cité, puis retourne dans ceux de Kenz quand ce même Caïd disparaît. Et puis il y a sa sœur, Nassima, qui tient un cabinet médical dans la cité et qui, sans longue tirade sociologique, arrive à faire comprendre que sa volonté de rester est une affirmation de son humanité, une façon de ne pas tourner le dos à ceux qui ont besoin qu’on les guide.

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Kenz, Tony et les pieds nickelés
Une association improbable

Nassima est, en réalité, l’anti-thèse de Tony Roucas, sans forcément que les deux personnages s’opposent frontalement de manière systématique. En elle, Tony voit quelqu’un qui rassemble autour d’un élan positif, quelqu’un qui soigne, qui corrige, qui améliore. En lui, Nassima voit quelqu’un qui rassemble tout autant mais autour de l’argent facile, de la violence, qui détruit les vies qu’il touche et qui ne peut pas vivre sereinement. L’immersion du second dans le monde de la première va avoir plusieurs conséquences néfastes : destruction du cabinet de Nassima, et perversion définitive de Kenz, elle qui espérait le ramener sur le droit chemin. Pour autant, elle ne semble pas en tenir rigueur à Tony, sinon de manière superficielle. Après tout, elle n’essaie pas de le changer lui, mais son frère. Elle a bien compris que Tony était conscient de sa nature et de l’influence néfaste qu’il a sur la vie des autres, comme il est conscient qu’il ne doit qu’à lui seul sa solitude d’aujourd’hui, lâché par ses alliés, oublié par ses amis.

La quête du passé

Tony essaie de retrouver ceux qui formaient son passé. Ses alliés, donc, son avocat et un de ses bras droit. Les deux, pleutres notoires, sont gênés par le retour de Tony, et louvoient pour le voir retourner en prison, voir pire. Mais ils échouent de la pire des manières, en se mettant à dos les ennemis intimes de Tony, qui tirent les ficelles depuis que Roucas est en prison, les frères Balducci. Deux sales types, deux ordures finies, qui ont pour les enrober une bonhomie et un accent marseillais si cocasse qu’ils ont l’air de vieux types sympas. Les Balducci ont tout pris à Tony, et maintenant, Tony veut tout récupérer. Et pourquoi ? Tout ça parce que Tony a vu dans un écran de télévision le visage de son ancien bras droit, Guido.

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Guido et Tony, jeunes
Manouch, pas Gitan...

Guido, où le pathétique à l’état pur. Il était beau, jeune, destiné à un avenir de truand de classe aux côtés de Tony. Après un passage en prison et un premier retour, il a été ensuite laissé pour mort. Quand Tony le voit à la télé, il voit un fantôme. Et l’analogie n’est pas innocente. Guido vit maintenant seul dans une caravane, sans ami ni lien avec personne, il est devenu indic pour la police et en vit. Il a prit du bide et son regard autrefois perçant est devenu terne et sans vie. Il est un mort-vivant, condamné à trimballer sa culpabilité et sa solitude dans un endroit étouffant comme une cellule de prison. Sa vie s’est barrée sous ses yeux au contact de Tony, et le voir revenir aujourd’hui, est pour lui un désespoir, même s’il lui porte un amour immense, les deux entretenant une relation fraternelle forte.

Les Belles Filles

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Tony le Dingue
Dans ses oeuvres

Les Beaux Mecs, c’est aussi une histoire de belles filles. Tony s’est construit à leur contact, plus qu’il ne pourrait y paraître. Il y a d’abord sa mère, avec qui il entretenait, enfant, une relation exclusive et entière. Sa mère était une prostituée qui travaillait pour le plus gros gangster de Paris, Monsieur Jo. Ce dernier, une fois qu’il a comprit qu’elle donnait des informations à la police, décide de la tuer. Tony, la vingtaine, se retrouve seul, et profondément changé. S’il avait, auparavant, déjà fait montre de toute son audace et sa spontanéité (voler une voiture en pleine rue, rouler sur un flic qui allait faire capoter un casse), son surnom de Tony le Dingue lui vient d’après le meurtre de sa mère. A la suite de cet évènement, Tony ne prendra plus que des raccourcis avec les situations, loin de la négociation, il passe en force, quitte à tout détruire sur son passage.

Cet évènement fondateur met aussi Tony sur le même chemin que le personnage du roman de James Ellroy « LA Confidential » : Bud White. Ce flic aux méthodes directes se révélait être un monstre de violence quand il se trouvait face à des femmes battues. Tony se rapproche de cet homme en cela que, pour lui, il s’agit du pire des crimes, même si son attitude avec Olga, par moment, est tendancieuse. Durant une scène, il l’attache et la menace. On a du mal à imaginer Tony passer à l’acte, mais Olga l’en croit capable. C’est surprenant de la part de Tony, et autant de la part d’Olga. (Cette scène permet un autre clin d’œil, cette fois-ci cinématographique et plus anecdotique, pour qui a vu « Attache-moi » de Pedro Almodovar, où l’interprète d’Olga, Victoria Abril, tenait le rôle principal).

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Olga
"Olga est une grosse salope" Janvier

Les femmes de Tony

Sa première légitime sera Nathalie, jeune activiste communiste, qui voudra faire de Tony, d’abord un exemple et un martyr, puis un soldat de son combat. Or, Tony aspire juste à être en couple avec elle, dans une optique vieux jeu qu’elle récuse. On sent que l’investissement de Tony dans la quête de sa compagne l’est sans passion, et à la première occasion, il retourne à ses magouilles, tirant profit de son « beau-frère », chimiste, pour monter un business de vente de drogue. L’opération tourne court, comme son couple.

Ensuite vient Olga, simple objet de fantasme, un défi pour lui. Lorsqu’il la rencontre, elle est maquée à un type assez odieux et jaloux (à juste titre). Tony voulait récupérer l’affaire du bonhomme, un cercle de jeu, mais par goût du risque et l’envie de faire payer un homme qui maltraite sa femme, il décide de tout lui prendre et de l’éliminer. Olga, au final, plus que construire Tony, ne fait que le conforter dans ses choix de vie, et cultiver sa part d’ombre.

La lumière, il va la trouver avec Claire, dont l’insertion dans le récit n’est pas sans heurts. La jeune femme est trop belle, trop parfaite, trop vertueuse pour être automatiquement crédible après ce déluge de personnages doubles. Elle est d’abord très outrée, puis très amoureuse… puis outrée, puis amoureuse… et ainsi de suite. Les visions de Claire dans le passé sont autant de vignettes, d’images d’Epinal manquant de passion. Le personnage est compliqué à cerner et donne à la série une nouvelle approche qui peut en dégoûter certains tant elle est brutale.

Changement de rythme

De l’épisode 1 au 4, « Les Beaux Mecs » est un pur polar, voir un Buddy-movie par moment. Une histoire où ça flingue, ça braque, ça insulte, mais avec une mélancolie de tous les instants qui permet de garder une humanité à l’ensemble. Les épisodes 5 à 8 prennent la direction du mélodrame franc, teinté de polar. La rupture est brutale et on met deux épisodes à s’en remettre. Vu les pistes explorées, cette mutation était sûrement inévitable, mais elle laisse une mini-série en souffrance. Elle provoque aussi un dommage collatéral assez ennuyeux : le personnage de Kenz perd en temps d’exposition, et se retrouve, après-coup, plus comme observateur et suiveur que comme acteur.

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Guido et Kenz
Qui s’en vont régler un problème de voisinage.

Pour autant, cette seconde partie n’est pas dénuée d’intérêt ni de qualités. Le personnage de Claire finit par trouver sa voie, sans pour autant être aussi impressionnant que les autres. Guido atteint, lui, sa totale dimension d’homme voué au sacrifice (sacrifice de sa liberté, de sa solitude, de sa vie, au final), et Tony réussit à résoudre ses problèmes du passé. L’écriture s’y avère aussi très intelligente. Au début du septième épisode, les indices s’accumulent concernant un aspect de l’histoire que nous ne révéleront pas ici. A force de les empiler, il devient possible de comprendre cet aspect, avant qu’il ne nous soit montré. On peut avoir peur de s’être gâché une révélation finale. Mais, finement, plutôt que de la garder sous le coude, cette révélation arrive vite, et évite à la série le grand mal des bonnes séries française : le final qui expédie.

Un final contrasté

L’expérience d’« Engrenages » saison 2 a dû servir Virginie Brac à ce moment-là. Le dernier épisode de la série des flics de Canal (ceux qui essaient de respecter la loi, pas ceux de « Braquo ») bazardait deux heures de fiction en 50 minutes, sans épilogue. Ici, les révélations arrivent pas à pas, sans accumulation, sans impression d’overdose. Le dernier épisode (qui en passant possède hélas le moins bon prégénérique de la série) se permet le luxe de dépasser l’heure, et ainsi de boucler presque toutes ses pistes.

On reste sur notre faim avec cet épisode, car au final, si l’aventure de Tony trouve une satisfaction correcte (son passé est clarifié, il rencontre son fils qu’il croyait mort, il retrouve Claire), une résolution gêne cruellement. Car si Tony s’est évadé de prison, on se demande un peu pourquoi. Si les faits lui ont donné raison, on a du mal à comprendre ses motivations personnelles. Rappel des faits : Tony voit Guido furtivement dans un sujet de JT, et décide de sortir de prison. Au départ, on pense que c’est pour le tuer, ou lui arracher les vers du nez sur un élément de son passé. Or, rien de cela. Si leurs retrouvailles sont tendues, elles retournent vite vers de la complicité. Ensuite, on apprend qu’il veut récupérer son cercle de jeu des mains des Balducci, pour récupérer l’oseille et se barrer au soleil. En quoi la vue de Guido est-elle liée à cela, si ce n’est sur le simple principe du réveil ? On a l’impression qu’il manque une scène, en fait les retrouvailles entre Tony et Guido, pendant laquelle nous aurions pu tout comprendre des motivations de Tony et des raisons qui le poussent à "pardonner" Guido. Elle n’existe pas (du moins à l’écran), et c’est bien dommage.

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Claire et Tony
Une histoire d’amour qui tourne au vinaigre

Les Balducci avaient quitté la vie de Tony en menaçant sa vie, celle de Claire, et en tirant sur Guido. Or, Tous ces personnages sont restés vivre si ce n’est au même endroit, en tout cas dans les mêmes zones. Sortir de Paris pour la région parisienne semble une fuite bien minimaliste. Toujours est-il que ces personnages, maintenant revenus sont toujours en danger. Donc Tony ne doit plus seulement récupérer son cercle de jeu, mais éliminer les Balducci. Sa solution : les faire mettre en prison pour 10 ans pour fraude, et avec des chefs d’inculpation qui ne tiendront pas la route si les avocats des Balduccis sont un tant soit peu consciencieux. Et que vont faire les Balducci une fois libres ? Se retourner contre les vivants, en l’occurrence Claire et, s’ils apprennent son existence, le fils de Tony.

Cette résolution, à l’inverse des autres, gâche un peu le plaisir d’un final pourtant très satisfaisant émotionnellement, comme si, inconsciemment, les auteurs, une fois embarqués dans un mélodrame, avaient décidé de ne plus s’attarder sur la partie polar, pourtant fondatrice du projet.

Une fin centrée sur l’émotion

La fin de Tony est assez magistrale, et sa dernière scène arracherait une larme à un robot. Rien que pour ça, il est difficile de parler de ratage. De plus, la série se permet le luxe (même s’il est issu de la légère mise en retrait du personnage) de ne pas régler le cas de Kenz de manière conventionnelle. Nassima décide de couper les ponts avec son frère, qui devient peu à peu gangster. On s’attend à une prise de conscience convenue du personnage, suivi d’excuse et de rabibochage. Et rien de cela. Kenz suit le chemin tracé, devient gangster et on le quitte, accompagné de ses deux pieds nickelés, prêt à régler son compte à l’autre ordure de la série, qui pensait s’en sortir à bon compte, Janvier, un vieux flic ressorti de sa retraite pour aider la police à retrouver Tony, mais dont le passé est plus que chargé de zones d’ombres.

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Tony et sa mère
Une relation fondatrice pour le personnage

La série réussit son parti : brosser 50 ans de grand banditisme via les yeux d’un homme, expliquant comment un enfant de dix ans qui aime sa mère devient un vieil homme seul à qui tout le monde a tourné le dos. Elle réussit, par ricochet, à montrer l’évolution d’un gamin immature en homme, même si c’est par un vecteur peu vertueux avec le personnage de Kenz.

« Les Beaux Mecs », malgré ces points qui chiffonnent, est la série qu’on n’attendait plus sur France 2. Un mélange de polar dur et de mélodrame, avec une structure intelligente qui sous-entend que le téléspectateur est intelligent. A revoir sur Pluzz ou sur DVD, mais à revoir, assurément.

Post Scriptum

Pour tout savoir sur « Les Beaux Mecs », les intentions artistiques de ses concepteurs, le secrets de son tournage, regardez, si ce n’est pas déjà fait, notre série documentaire « Les Visages des Beaux Mecs » .