MINI-SERIE - Little Dorrit (2008)
L’esprit Dickens
Par Emilie Flament • 11 février 2010
Fort du succès de « Bleak House » (2005), Andrew Davies s’attaque à un autre roman de Dickens, « Little Dorrit ». Même si l’œuvre est moins connue, elle n’est pas passée inaperçue aux Baftas ou aux Emmys... ni au Village !

« Little Dorrit » a été publiée entre 1855 et 1857, en 20 livrets. Autant dire que ce roman était fait pour être adapté en mini-série ! 8 heures de balade dans le XIXème siècle entre Londres, Marseille et Venise... Un voyage difficile à refuser, surtout quand on est guidé par Dickens !

Amy Dorrit a toujours vécu dans la prison de Marshalsea où son père, endetté, est emprisonné depuis 20 ans. Libre d’aller et venir durant la journée, elle survient comme elle peut au besoin de son père et prend soin de lui. Arthur Clennam revient à Londres après de nombreuses années en Chine pour annoncer la mort de son père à sa mère, la dure Mrs Clennam, et reprendre son indépendance, après avoir sacrifié sa jeunesse aux affaires familiales. Au milieu des histoires croisées de dizaines de personnages, leurs destins sont liés, comme leurs deux familles.

L’univers de Dickens

J’adore Dickens. J’adore sa façon de décrire une scène. Il la détaille comme si il s’adressait à un ami, à travers sa perception, pas de façon aseptisée. L’expression “il le porte sur son visage” a tout son sens avec lui : les radins n’ont pas de feu dans la cheminée, juste une minuscule bougie qui les éclaire et les réchauffe ; les gentils ont de grands et beaux yeux, souvent tristes au début du livre mais remplis de bonheur à la fin. Lire Dickens, c’est comme aller voir un film de Tim Burton, on sait qu’on plonge dans un univers à part, une vision altérée de la réalité et en même temps si juste.
Ce « Little Dorrit » réussit à donner cette sensation. La maison décrépie des Clennam est à l’image de Mrs Clennam : elle ne tient plus debout, elle est rongée. Amy est comme un petit moineau, fragile et innocente. Rigaud fait froid dans le dos au premier regard. On déteste immédiatement Fanny rien qu’à son petit air. Certains trouvent que l’adaptation essaie d’en mettre plein les yeux, que les décors sont un peu « too much ». Ce n’est pas mon cas. Cette co-production BBC / PBS transpire assurément son budget conséquent, ne serait-ce que par son casting, ses costumes et ses décors, mais elle réussit à recréer les sensations liées à la lecture d’un Dickens et cette mission vaut bien ce budget.

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Une satire toujours d’actualité

Dans toute son œuvre, Charles Dickens a pointé du doigt les travers de la société britannique de l’époque. « Little Dorrit » s’attaque aux illogismes et aux injustices.
La prison de Marshalsea est quasiment, dans l’adaptation, un personnage à part entière. A la fois protectrice et angoissante pour ses habitants, elle est le symbole des dysfonctionnements du système : tant que les dettes ne sont pas payées, les endettés y restent enfermés, incapables de travailler pour rembourser. Le choix de la prison n’est pas innocent, le père de Dickens y ayant lui-même été emprisonné.
Même si il est moins présent que dans le livre, le « Circumlocution Office » n’en est pas moins ridicule, avec ses escaliers sans fin, sa paperasse et ses multiples services (jamais le bon !). Un peu à la façon des « 12 travaux d’Astérix », il renvoie à la plupart des administrations anciennes ou actuelles et à leur organisation improbable.
Coïncidence, la mini-série diffusée fin 2008 a eu un écho inattendu dû à l’actualité : le scandale Madoff. Le parallèle entre Madoff et Merdle est facile et met en avant la modernité du roman.

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La version d’Andrew Davies

L’univers de Dickens est rempli d’intrigues et de personnages secondaires. Il est donc logique de simplifier l’intrigue pour se concentrer sur les personnages principaux. Comme à son habitude, Davies ne s’est pas contenté de ça.
Initialement écrite du point de vue d’Arthur Clennam (majoritairement), l’histoire est maintenant racontée de celui d’Amy Dorrit. Il s’en justifie en s’appuyant sur le titre du roman. On notera que, si tous les rôles sont tenus par des têtes d’affiche, celui d’Amy a été donné à une jeune actrice inconnue, Claire Foy. Les héroïnes de Dickens sont très différentes de celles écrites par Jane Austen par exemple. Amy Dorrit n’est pas là pour ajouter le piquant à l’histoire par de bons mots ni pour intriguer. C’est la plus innocente et la plus gentille des créatures, toujours prête à se sacrifier pour les autres. Cette pureté de cœur, en plus de la rendre attachante, permet de surligner tous les traits moins « parfaits » des autres personnages, et ça, Davies a su l’exploiter en choisissant un casting haut en couleurs pour les personnages moins vertueux, révélant ainsi tout leur comique.
Même si dans le texte Davies n’a rien modifié [1], à l’image il réduit cette différence d’âge en choisissant l’acteur Matthew Macfadyen (35 ans) pour jouer Arthur Clennam en face de Claire Foy (26 ans). La différence d’âge entre les 2 personnages se rapproche plus, à l’écran, des 10 ans que des 20 ans du roman. Davies s’en défend en soulignant qu’un homme de 40 ans suivant une jeune fille de 20 ans à peine jusqu’à la prison de Mashalsea aurait pu donner un aspect malsain à la relation, élément totalement en opposition aux personnages de Dickens. Ce choix reste tout de même surprenant de la part d’un homme qui a pour habitude d’amplifier la sexualité sous-jacente des œuvres qu’il adapte. Il n’a d’ailleurs pas hésité à faire de la relation Miss Wade / Tattycoram une relation quasi-lesbienne, amplifiant ainsi cette aversion pour les hommes qu’éprouve Miss Wade suite à ses déboires sentimentaux.

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Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses « adaptations », Davies a sensiblement modifié la fin et, de ce fait, l’histoire d’Arthur et d’Amy, et de Tattycoram. Attention ! Si vous ne voulez pas savoir la fin, passez au paragraphe suivant !!!! A l’écran, Tattycoram quitte Miss Wade après la découverte de la boîte pour l’amener à Arthur qui apprend ainsi ses origines et le lien qui lie son secret à celui d’Amy. Dans le roman, Tattycoram amène la boîte aux Meagles, en les suppliant de la reprendre dans leur famille. Amy, pour protéger Arthur, décide de lui cacher l’héritage qu’elle aurait du toucher et de ne lui révéler la vérité sur sa mère biologique que plus tard. Davies choisit donc d’épargner ce secret (voire mensonge) à Amy, conservant au personnage toute sa pureté. Quant à Tattycoram, il choisit de l’émanciper. Rien de si étonnant étant donné l’approche de Davies sur ce personnage. En choisissant Freema Agyeman et en omettant d’expliquer son intégration à la famille Meagles, il accentue l’aspect « esclave » du personnage. A partir de là, il semble évident qu’il ne pouvait moralement la faire revenir vers cette famille.

Emouvant et drôle

Une grande partie de l’humour de la série réside en ses nombreux personnages secondaires. Flora (Ruth Jones) est absolument désopilante dans sa façon de « faire la belle » à chaque apparition d’Arthur, par ses poses, par sa manière de sentir les fleurs. Elle traîne cette folle tante par alliance (Annette Crosbie) à l’allure complètement improbable, qui mange le coeur des tartines et lui laisse les croûtes. Dans l’épisode 2, Davies a pris une très grande liberté avec la scène du diner chez Mr Casby en y ajoutant cette énorme pièce montée en jelly et tous les jeux de scènes qui s’y rapportent. Cette simple scène de repas est particulièrement drôle et rythmée. Les petits bruits de Panks sont très drôles.
Panks n’est pas qu’un élément comique, il incarne « l’injustice ». Il est détesté par les habitants dont il exige le loyer alors que Casby, son employeur secret et le réel créancier qui les ruine, passe pour un homme généreux en redistribuant quelques cents. Cette souffrance qu’il éprouve en remplissant sa tâche et ses activités parallèles pour aider les Dorrit montre toute la fragilité du personnage, très bien interprété par Eddie Marsan. Amy est également extrêmement touchante. Courageuse à Mashalsea, elle est totalement oppressée par son changement de fortune, et par le comportement de son père spécialement.

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Quant à Tom Fontenay, il est impressionnant en William Dorrit. Il est d’une justesse remarquable et montre toute la fragilité de ce vieillard qui, après 20 ans de honte et d’enfermement, essaie de conserver sa dignité, tout en mendiant. Lorsque Chivery lui propose dans l’épisode 6 de faire quelques pas dans la rue devant la prison, il refuse, apeuré par ce monde où il n’existe plus. La scène du bal masqué à Venise où il est pris de délire est le moment le plus émouvant de la mini-série. Il vole définitivement la vedette aux premiers rôles. A voir absolument...

Post Scriptum

« Little Dorrit »
D’après le roman de Charles Dickens
14 épisodes, épisodes 1 et 14 de 60 minutes, épisodes 2 à 13 de 30 minutes
Version de 2008 pour BBC, avec Claire Foy et Matthew Macfadyen
Adaptation : Andrew Davies
Réalisation : Adam Smith, Dearbhia Walsh et Diarmuid Lawrence
Inédit en France