ECRITURE — Plus belle la vie à la recherche de l’équilibre parfait
La formule élaborée du soap de France 3 est un travail en perpétuelle évolution
Par Sullivan Le Postec • 13 janvier 2008
Routinier le soap de France 3 ? Oui et non. Certes, certaines intrigues se répètent parfois tellement qu’on jurerait voir des redifs. Mais, en coulisse, on s’affaire en permanence à perfectionner la machine et concocter une formule parfaite : une quête sans fin.

2008 sera l’année de la série quotidienne de journée. Sur France 2, le feuilleton « Cinq Soeurs » arrivera à la fin du mois de janvier. La série de TF1, « Seconde Chance » devrait suivre assez rapidement. Quant à M6, elle prépare aussi de son coté son retour sur le terrain de la série quotidienne française de fin d’après-midi, mais elle s’oriente vers une formule façon telenovella, c’est à dire des séries à durée de vie limitée, d’une centaine d’épisodes. En tout état de cause, les autres chaînes ne pouvaient plus ignorer le succès devenu massif de « Plus belle la vie », un succès qui s’est construit sur les bases d’une construction scénaristique très rigoureuse, et très ambitieuse pour une série quotidienne.

Profitons-en, d’ailleurs, pour essayer de clarifier un malentendu. Lorsque je dis que « PBLV » est une série excellente – ce que je n’hésite pas à dire – à aucun moment dans mon esprit ne s’établit une comparaison avec toutes sortes de séries de prime-time avec lesquelles on ne cesse, très stupidement, de la comparer. Les contraintes propres à la conception d’une série quotidienne de journée sont énormes. Mon propos sur la qualité de la série se résume donc à cela : prenez les meilleurs scénaristes, la meilleure équipe au monde, et demandez leur de s’atteler à l’écriture de cinq épisodes par semaine, 52 semaines par an. Il y a très peu de chances que la qualité du résultat dépasse celle de « PBLV », à fortiori sur la longueur : la série de France 3 est ce qu’il se fait de mieux dans son genre. Les concurrents vont avoir fort à faire, et la vision d’une production aussi immonde que « Baie des Flamboyant » ne peut que renforcer ce sentiment. C’est sûr, on peut à loisir déverser à flot son mépris sur le genre tout entier, mais ce serait oublier un peu vite que, à la fois exigeant (contrairement au idées reçues, on ne s’improvise pas scénariste d’une série comme « PBLV » : les auteurs ont, à minima, reçu une solide formation très portée sur la pratique) et formateur (on est forcément meilleur scénariste après une telle expérience), il est crucial au développement d’une fiction de qualité.

La mécanique scénaristique de « PBLV », nous vous la décrivions dans un article publié l’année dernière, au moment où la durée des Arches A de la série venait de passer de trois à deux mois. En effet, depuis la mise en place des principes d’écriture très rigoureux qui ont fait le succès de la série, la principale critique à laquelle les auteurs sont soumis à la lecture des commentaires des téléspectateurs, notamment sur internet, est celle-ci : les histoires sont trop longues.
Le reproche, d’ailleurs, a quelque chose de curieux, surtout lorsque l’on compare les trois mois de la durée maximum originelle aux intrigues interminables, qui courent régulièrement sur une année ou deux, des soaps quotidiens américains. Mais la volonté de se renouveler, de ne pas rester sur ses acquis, caractérise l’équipe des auteurs du feuilleton, menée par Olivier Szulzynger.

Cependant, on sait que le public des séries a une tendance lourde à réclamer à corps et à cri des évolutions avant de hurler son dépit et de se détourner des programmes quand elles lui sont accordées. L’instinct d’auteur reste donc le seul outil véritablement efficace, à coup sûr le moins dangereux.
En l’espèce, ce raccourcissement de la durée des intrigues opéré il y a un an n’a pas visiblement réduit les plaintes des habitués du forum de France3.fr dont la plupart n’ont pas remarqué que, calendrier en main, les nouvelles intrigues étaient pourtant plus courte d’un mois que les précédentes. Pourtant, on ne peut pas dire que cette évolution fut sans effet, d’abord, l’audience de la série a continué d’augmenter, ensuite, un effet pervers devint rapidement notable. Une grosse majorité des intrigues principales de la série reposent sur (ou, à tout le moins, contiennent) un whodunnit, c’est à dire qu’un meurtre dont il faut identifier le coupable est très souvent à l’origine de l’intrigue. Le raccourcissement de trois à deux mois des arches A a donc multiplié les morts, à fortiori quand on sait que les arches qui se concluent par la mort du coupable sont relativement nombreuses. Par ailleurs, le premier prime, diffusé fin 2006, reposait sur une intrigue policière et se concluait aussi sur une mort violente. La tendance de la série à empiler les cadavres devint bien vite une plainte majeure des téléspectateurs pendant la saison 2006/2007, à coup de jeux de mots sur le titre et une vie au Mistral plus vraiment très belle. Pour être complet, signalons aussi que la mort d’un des personnages principaux et apprécié de la série, Nicolas, décidée pour négocier le départ de l’acteur, a sans aucun doute renforcé le sentiment d’une série en état de deuil permanent.
Ces deux critiques formulées par les téléspectateurs s’ajoutaient sans doute à une difficulté interne de l’équipe d’écriture : faire rentrer chaque histoire dans le cadre d’une durée fixe. « PBLV » avait en effet connu plusieurs cas de figure, que ce soit dans la formule à deux ou à trois mois. S’il y a bien eu des cas d’intrigues parfaitement à l’aise dans leur durée (Picmal/Vernet, par exemple), d’autres ont du être passablement délayées pour tenir la durée (les Mercoeurs, arrivés bien péniblement au bout du trimestre, la vraie fausse mère de Nathan) tandis que le passage à deux mois freinait la mise en place d’intrigues à tiroir un peu complexes, ce qui ne pouvait que renforcer le sentiment de répétition.
A l’été 2007, pour terminer la troisième saison de la série, les auteurs mirent en place une formule originale qui fit figure de ballon d’essai. L’arche A consacrée à Vassago dura bien deux mois, mais le premier fut mai, et le second aout. Entre les deux, l’intrigue fut « mise en sommeil », maintenue à l’esprit du public de la série par le biais de quelques développements en tant que story B de plusieurs épisodes. L’intrigue en question ne compte pas parmi les plus mémorables de la série – en tout cas pas pour les bonnes raisons – mais la formule originale, en plus de casser la routine de la série, ce qui est toujours une bonne chose, a eu plusieurs bienfaits. D’abord, celui de stabiliser un peu la distribution de guest de la série, l’accélération du rythme des intrigues ayant eu pour conséquence directe une accélération équivalente des entrées et sorties de personnages secondaires. Celui aussi, de permettre une plus grande adaptabilité des intrigues.

La saison 4 de la série s’amorça par un nouveau coup d’accélérateur : l’histoire A de la rentrée inaugurait une nouvelle durée : six semaines. On s’interrogeait sur la capacité des auteurs à tenir sur la longueur en carbonisant les histoires à un tel rythme (c’est aussi parce que leurs intrigues s’étalent sur des échelles d’années que les soap américains peuvent durer 20, 30 ou 50 ans). Et, sur le coup, il faut bien dire que cette évolution parut surtout renforcer les défauts de la série. Grosso modo deux mois (en comptant la période d’introduction développé en story B avant que l’histoire ne devienne centrale) pour rencontrer un homme, décider de l’épouser, tomber amoureux d’un autre homme, en faire son amant, épouser le premier, ne plus savoir choisir, découvrir que le mari a été assassiné, devenir suspecte au même titre que l’amant qui finit assassiné en prison, c’est un peu abusé. Sauf que l’évolution née avec l’intrigue Vassago avait été pleinement intégrée. L’intrigue suivante, complexe, fut développée sur une durée de deux fois six semaines, au milieu desquelles s’insérait une intrigue sur six semaines sans morts, plus humaine, puisque centrée sur la colère de Charlotte d’avoir été trainée dans la boue par le quartier pendant l’intrigue de septembre.
En plus d’aboutir à une formule enfin capable d’enchaîner des intrigues de complexité et de registres très différents, on découvrait que celle-ci avait aussi l’avantage de venir avec cette histoire reposant sur la mémoire de ce qui s’est passé précédemment. (Le bouton « reset » sert assez souvent dans « PBLV » mais, à la décharge des auteurs, c’est incroyablement difficile de maintenir une continuité très forte à ce rythme d’écriture.)

On lit régulièrement, y compris dans des titres de presse qui nous avaient habitués à faire preuve d’une certaine hauteur de vue, que « PBLV » aurait obtenu son succès un peu à l’usure, un peu grâce à une case facile (c’est oublier très vite le nombre impressionnant de programmes qui ont fait un four à la même heure sur la même chaîne...), mais en tout cas sans grand travail. Force est pourtant de constater que l’intérêt du public fut arraché, et est conservé jour après jour, par une remise en question conceptuelle qui est d’autant moins facile que l’écriture ne s’arrête jamais. Nombre de séries hebdomadaires de prime time, qui ont des possibilités infiniment plus grandes en terme d’histoires possibles, de peaufinage des dialogues, et de travail sur les personnage, bénéficieraient grandement de s’inspirer du sens du rythme et de la rigueur scénaristique du « petit » soap quotidien de France 3. La conclusion nous ramène donc au point de départ : les concurrents vont avoir fort à faire. Reste que leur succès serait un signe très positif pour la fiction française.


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