PREVIEW – Moffat et Gatiss réinventent « Sherlock »
Trois épisodes de 90 minutes programmés par BBC1 l’été 2010 arrivent sur France 2 après France 4...
Par Sullivan Le Postec • 21 juillet 2010
Après BBC1 l’été 2010, et France 4 an janvier, c’est au tour de France 2 de diffuser à partir du 15 juillet les trois épisodes d’une adaptation contemporaine de Sherlock Holmes, réinventé conjointement par Steven Moffat et Mark Gatiss.

Il y a trois ans, Steven Moffat, l’actuel showrunner de « Doctor Who », surprenait en réinventant Dr Jekyll and M. Hyde pour l’époque contemporaine dans son génial « Jekyll », mini-série en six épisodes (critique enthousiaste de « Jekyll » ici), plusieurs fois diffusée en France (dans l’une des pires VF que j’aie jamais entendu, ce qui faisait tâche sur Arte...). Aujourd’hui, en compagnie de Mark Gatiss, aussi à l’origine de quelques épisodes récents de « Doctor Who », il s’attaque à un autre pilier de la littérature britannique : Sherlock Holmes.

Le personnage n’avait plus été adapté depuis des années, et finalement une nouvelle version cinématographique réalisée par Guy Ritchie vit le jour pendant le développement de la série proposée par Steven Moffat et Mark Gatiss. Heureusement, l’angle contemporain adopté par Moffat et Gatiss leur permet de s’en distinguer facilement. Le pitch de la BBC est le suivant :

« Sherlock Holmes a toujours été moderne – c’est son monde qui est devenu vieux. Le voilà de retour comme il aurait toujours dû être – tendu, contemporain, difficile, et dangereux !
John Watson – Docteur, soldat, héros de guerre. A peine rentré d’Afghanistan, le hasard le fait entrer dans le monde de Sherlock Holmes – solitaire, enquêteur, génie. Les deux hommes ne pourraient pas être plus différents, mais les bonds intellectuels inspirés de Sherlock couplés au pragmatisme de John forment bientôt une alliance solide.
 »

Mais trêve de bavardage : voici quelques images promotionnelles diffusées par la BBC, qui vous permettront de voir ce que cela donne. La vidéo comporte une bande-annonce et une interview croisée des deux co-créateurs sur les origines du projet (le tout sous-titré en français) :

Des prédécesseurs illustres

Ce Sherlock Holmes des années 2000 est incarné par Benedict Cumberbatch, brillantissime acteur vu notamment dans « Small Island » l’hiver dernier ou avant dans « Stuart, a life backwards ». ‘‘Les romans originaux ont touché une audience large et variée, et beaucoup considèrent encore Sherlock Holmes comme le plus grand enquêteur de tous les temps,’’ expose l’acteur. ‘‘C’est un phénomène culturel qui a été traduit dans 160 langues – c’est vraiment quelque chose d’international.
‘‘Si le cadre contemporain est ce qui rend cette adaptation unique, notre source a été les romans originaux. Nous racontons l’histoire depuis le début. Le premier épisode, « A Study In Pink », réplique beaucoup de ce qui arrive dans « The Study of Scarlet », écrit en 1887, et qui reste l’une des rares fois où la rencontre entre Sherlock et John Watson a été racontée
”.

Comme dans le roman, Sherlock parvient à deviner que Watson vient de servir en Afghanistan. Pour Mark Gatiss, cette idée a d’ailleurs été une des bases du projet : alors qu’il parlait à la Sherlock Holmes Society of London, et évoquait le fait que le Watson original avait été blessé en Afghanistan, il réalisa : ‘‘c’est la même guerre aujourd’hui, la même guerre ingagnable’’.

‘‘Arthur Conan Doyle était un auteur de génie et cela vaut la peine de le souligner,’’ insiste Mark Gatiss. ‘‘Ce n’est pas assez dit. Ses nouvelles, en particulier, sont passionnantes, drôles, folles et étranges, de merveilleuses et excitantes aventures qui se prêtent formidablement bien à un traitement contemporain’’. Steven Moffat va dans le même sens : ‘‘certaines adaptations traitent ce matériel comme si c’était avant tout un récit d’époque, le rendant trop révérencieux. Sherlock Holmes n’est pas comme ça, c’est si rythmé ! Et c’est pour cela qu’il a séduit le public aussi longtemps.
‘‘Sherlock Holmes est unique. Là où les autres enquêteurs ont des affaires, lui a des aventures. Sherlock n’est pas une série à propos des procédures policières – la police est impliquée mais les affaires sont celles de Sherlock et seules celles qui sont étranges l’intéressent’’. Le duo n’a pas eu peur de déplaire : il y a suffisamment d’adaptations pour que ceux qui n’aimeraient pas celle-là aient autre chose à regarder
.’’
Il a cependant des points immuables, comme le chien de Baskerville et Moriarty : pour Gatiss, ‘‘ces choses vont ensemble comme « Doctor Who » et les Daleks’’. Ce Sherlock a donc un ennemi mortel et un frère futé, joue du violon, a une propriétaire appellée Mrs Hudson (Una Stubbs), un collègue policier nommé Lestrade (Rupert Graves)...

Loin d’être rares, les adaptations de Sherlock Holmes sont légion. D’ailleurs, il est le personnage de littérature qui a été le plus adapté à l’écran. ‘‘J’en ai vu pas mal en grandissant,’’ admet Cumberbatch. ‘‘Jeremy Brett était formidable, il a été une grand influence pour moi durant mon enfance, mais cela ne m’effraie pas – on s’écarte de la période victorienne ce qui nous offre beaucoup de liberté et de possibilité d’interprétation’’.
En fait, le nouvel environnement est-ce qui a attiré l’acteur : ‘‘Je dois dire que cela ne m’aurait pas autant intéressé de jouer un Holmes d’origine parce que j’ai le sentiment que cela a été fait superbement par Rathbone en noir et blanc et Jeremy Brett en couleurs. La nouvelle période et l’équipe scénaristique ont créé une série dramatique unique. Les pages se tournent toutes seules – le premier script qu’on a lu était fantastique’’.

Une dynamique travaillée

Benedict est venu auditionner et nous nous sommes dits : ‘regardez ça !’,’’ raconte Steven Moffat. ‘‘Il avait la bonne apparence, sonnait comme il faut et a un talent immense. Il a un visage extraordinaire, des yeux incroyables et sa structure osseuse – tout cela forme un tout.” Mark Gatiss ajoute : “un regard moderne sur Sherlock requiert une apparence moderne et Benedict amène ça au rôle. Le challenge c’est que tellement d’acteurs ont joué le rôle, mais si peu ont laissé une empreinte. Il a été notre premier et seul choix”. En effet, aucun autre acteur n’a auditionné pour le rôle.
Un des points critique est d’être capable de jouer l’intelligence et les déductions sans avoir l’air hautain,’’ confie Steven Moffat. Benedict Cumberbatch évoque une autre difficulté : ‘‘c’est une grosse charge de le jouer à cause de la quantié de mots dans votre tête et de la rapidité de ses pensées – il faut vraiment faire les connections incroyablement rapidement. Il a un temps d’avance sur le public, et qui que ce soit autour de lui dont l’intellect est normal. Et il leur est difficile de supporter la manière dont ses sauts intellectuels le font avancer. Zip zip zip”.

Le casting de Cumberbatch a été une décision naturelle, mais trouver le bon Watson a été plus compliqué. ‘‘Mais dès que nous avons vus Benedict et Martin Freeman ensemble, cela a été une évidence,’’ explique Gatiss. ‘‘On m’a envoyé le scénario et avant la fin de la quatrième page, j’ai pensé que c’était brillant,’’ raconte Martin Freeman. ‘‘C’est probablement le meilleur script que j’ai lu depuis une éternité, c’est incroyablement bien écrit.’’ Futur Bilbo le Hobbit de l’adaptation en deux parties du roman de Tolkien que Peter Jackson va tourner prochainement — le planning de tournage du film a été établi pour permettre à l’acteur de reprendre son rôle dans la saison 2 de « Sherlock » — Martin Freeman s’est glissé dans la peau de Watson et se révèle parfaitement à la hauteur de Cumberbatch.
Freeman fut également satisfait de voir que le rôle de Watson était réellement intéressant : ‘‘dans cette version, Sherlock et le Dr. John Watson équilibrent la balance. John n’est pas juste un side-kick, il a vraiment un bon rôle à jouer. Je ne voyais aucune raison de le voir autrement que comme quelqu’un de très capable. C’est un médecin militaire, quelqu’un qui peut s’occuper de lui-même et prendre des décisions de vie ou de mort de façon quotidienne.
‘‘Par ailleurs, une partie de ce qui m’a attiré dans cette version, c’est que comme dans les histoires de Doyle, Watson est le raconteur. Il est l’œil de Sherlock sur le monde, mais aussi le regard du monde sur Sherlock. Nous faisons l’expérience de ces aventures au travers de ses yeux et de ses mots. Mon personnage retranscrit ces affaires pour son blog, tout comme Watson écrivait les histoires des livres
’’.

Londres reste au cœur de l’histoire,’’ ajoute Cumberbatch à propos de l’adaptation à un cadre contemporain. ‘‘Cela inclue l’utilisation de lieux iconiques tels que Soho, China Town, Piccadilly Circus, Westminster Bridge et tout ce que le Londres modern implique – les taxis, la tamise, les bouchons, les téléphones portables et les ordinateurs’’. D’ailleurs, Sherlock a son propre site internet, The Science of Deduction. Il utilise des patchs de nicotine pour arrêter de fumer, et s’exclamera d’ailleurs : « ceci est un problème à trois patchs » quand son prédécesseur parlait de pipes.
‘‘Holmes envoyait des télégrammes, maintenant ce sont des sms. Il se sert des outils de son temps, comme il le faisait à l’époque,’’ explique Moffat.

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La relation d’amitié avec Watson, et la manière dont elle est regardée par les autres, est l’un des cœurs de cette adaptation. ‘‘Dans les livres, Watson se marie assez vite, donc je ne pensais pas que c’était un sujet,’’ confie Benedict Cumberbatch. ‘‘Cependant nous faisons allusion au fait qu’il y a peut-être une ‘mauvaise compréhension’ des gens autour d’eux qui croient qu’ils sont en couple ! Nous venons d’emménager ensemble en colocation, et nous ne savons peut-être pas très bien nous-même ce qu’est notre relation à un certain moment.’’
La dynamique du duo Holmes/Watson repose aussi sur leur approche différente, comme l’explique Martin Freeman. ‘‘Sherlock aime l’aspect ludique de tout cela, alors que John, au départ, est horrifié de la manière dont Holmes traite un cadavre comme un jeu. Sherlock veut être la personne la plus intelligente au monde – il a vraiment beaucoup d’égo. Il est aussi désocialisé, et c’est ce que John aime chez lui, mais cela le rend aussi furieux. Watson est aussi flatté d’être la personne avec qui Sherlock a envie de se trouver’’.

Et puis, au cœur du projet, il y a aussi une obsession partagée par Steven Moffat et Mark Gatiss : un besoin d’effrayer les gens. ‘‘Une bonne frayeur, c’est comme un bon éclat de rire,’’ explique Gatiss. ‘‘Cela permet de réaliser que vous avez touché les gens’’.

« Sherlock » est arrivée à l’antenne en juillet dernier, entâché d’une polémique : un épisode pilote de 60’ a été tourné, mais la BBC, inspirée par le succès de Wallander, a trouvé que l’histoire y était un peu à l’étroit, et a commandé trois épisodes de 90mn plutôt que des épisodes d’une heure. La première version de 60mn de « A Study in Pink », devenue inutilisable vu l’ampleur de la ré-écriture nécessaire pour rajouter une demi-heure, n’a pas été diffusée (elle figure aujourd’hui en bonus dans le coffret DVD anglais de la série).

Toute l’équipe s’est donc remise au travail pour peaufiner le projet, et notamment renforcer son dynamisme et la complexité des histoires. Le pilote original ne sera donc jamais diffusé. Les tabloïds ont sauté sur l’occasion d’une attaque populiste, criant au gaspillage des 800 000 Livres que le Pilote avait coûté.
Evidemment, ce qui est vraiment surprenant c’est que la qualité de la fiction BBC soit si élevée quand en réalité elle diffuse pratiquement tout ce qu’elle tourne, à l’opposé d’un système américain ou seuls un tiers de pilotes tournés arrivent à l’antenne...


Vous pouvez découvrir un aperçu de la version française de la série via notre reportage sur le plateau du doublage : « Sherlock » in French.

Source des citations : dossier de presse de la BBC.
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Post Scriptum

« Sherlock »
Créé par Steven Moffat et Mark Gatiss. Produit par Sur Vertue pour Hartswood Films. Producteurs exécutifs : Beryl Vertue, Steven Moffat, Mark Gatiss.
Saison 1 (2010) : 3 épisodes de 90’.
Épisode 1 (25 juillet 2010 sur BBC1, 1er janvier 2011 sur France 4, 15 juillet 2011 sur France 2) : « A Study In Pink », écrit par Steven Moffat, réalisé par Paul McGuigan.
Épisode 2 (1er aout 2010 sur BBC1, 8 janvier 2011 sur France 4, 22 juillet 2011 sur France 2) : « The Blind Banker », écrit par Stephen Thompson, réalisé par Euros Lyn.
Épisode 3 (7 aout 2010 sur BBC1, 15 janvier 2011 sur France 4, 29 juillet 2011 sur France 2) : « The Great Game », écrit par Mark Gatiss, réalisé par Paul McGuigan.
Avec Benedict Cumberbatch, Martin Freeman, Una Stubbs, Rupert Graves, Louise Brealey et Vinette Robinson.

Dernière mise à jour
le 14 juillet 2011 à 09h46