PREVIEW – Très Corsée, la saison 3 de Mafiosa
Deuxième saison à la tête du programme pour le duo Rochant – Leccia. Cette fois, la réappropriation paraît aboutie
Par Sullivan Le Postec • 10 novembre 2010
« Mafiosa » sera prochainement de retour sur Canal+, pour une saison qui revient à la Corse. Et la vraie, cette fois.

Dès les premières minutes, le ton est donné. Fini l’arrière-pays Marseillais cadré serré dans l’espoir désespéré de le faire plus ou moins passer pour l’Île de Beauté. Nous voilà sur la Corse, la vraie, dont la caméra peut saisir le paysage dans un panoramique large...

Et puis vient le nouveau générique. Oui, cette troisième saison de « Mafiosa » ouvre ses épisodes sur un troisième générique différent, très simple : la caméra serpente sur une route le long d’une montagne Corse. Ce générique-là devrait être le bon. Le co-scénariste et réalisateur Eric Rochant nous glisse qu’il ne devrait “probablement pas” y avoir de changement pour la saison 4, que l’équipe espère pouvoir livrer dans 18 mois...

Tourner en Corse revient plus cher, et c’est la raison pour laquelle cela n’avait pas été possible jusque-là. En arrivant sur « Mafiosa », Eric Rochant avait insisté pour qu’une large partie de la saison 2 se déroule à Marseille, afin que le problème soit un peu atténué. Mais pour la saison 3, ce fut une condition sine qua non : ce serait en Corse, ou ce serait sans lui. On imagine bien qu’il était difficile pour la chaîne d’envisager un troisième changement complet d’équipe, le premier ayant déjà largement affaiblit la saison 2. L’écriture a tenu compte de cette nécessité Corse : il a fallu se limiter un peu niveau nombre de décors ou figuration pour ne pas faire exploser les coûts. Au total, les 8 épisodes ont coûté 11 millions d’euros.

Les deux Mafiosa

« Mafiosa », c’est une de ces histoires très compliquées dont la télévision accouche parfois. La série est au départ créée par Hugues Pagan, un des rares scénariste-vedettes de la télévision française, qui a acquis une notoriété via « Police District » (aujourd’hui, il gère en parallèle deux séries de 90 mn de France 2 : les excellents « Un Flic » et « Nicolas Le Floch »).
Pagan écrit sur un fantasme, celui de la Mafia, quand bien même elle n’existe pas en Corse : il n’y a pas d’organisation pyramidale, pas de structure hiérarchique, pas de groupe ayant la main tant sur la politique que les affaires. Seulement des clans de voyous qui s’affrontent et dont l’un ou l’autre peut prendre le dessus pour un temps donné, toujours limité.
Pagan renforce la dimension fantasmatique de sa proposition par la nature de son pitch : une femme devient chef de Clan. Impensable sur une terre immensément machiste. La série ne prétend aucunement au réalisme, la réalisation du Canadien Louis Choquette va dans ce sens. La proposition est forte, tranchée... et controversée.

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A l’issue de cette saison, la chaîne souhaite ramener du réalisme dans la série, sans doute histoire de la raccrocher au reste de sa Création Originale. Hugues Pagan a sa propre vision de « Mafiosa », elle n’est plus celle de la chaîne (voir notre entretien avec Fabrice de la Patellière de novembre 2008). Il est débarqué.

Pour la saison 2, Canal+ et Son & Lumière, le producteur, font appel au réalisateur Eric Rochant, qu’ils ‘‘marient’’ à Pierre Leccia, scénariste Corse. Les deux hommes ne se connaissent pas, ils vont devenir un duo efficace. Mais derrière ce ‘‘vont devenir’’ se cache en fait une saison entière. La saison 2, si elle a ses bons moments, apparaît de plus en plus comme une charnière assez bancale entre deux « Mafiosa ».

Un auteur et son sujet

Quand on lui fait remarquer que les deux premiers épisodes de la saison 3 remettent nettement en avant le thème des rapports homme-femme et du machisme, un peu passé au second plan en deuxième saison, Eric Rochant ne prend aucun détour : ‘‘Remettre ce thème en avant, c’est moins une volonté qu’une nécessité imposée par la réalité. Le problème de la saison 2, c’est que je ne connaissais pas le sujet. Mafiosa a au départ été écrite et conçue par un auteur, une production et un réalisateur qui n’étaient pas Corses. Personne ne connaissait le sujet, à aucun niveau de la production de la série. On m’a demandé de venir en saison 2, et je ne suis pas Corse non plus. Heureusement, on m’a mis dans les pattes un mec [Pierre Leccia] qui est Corse, qui adore la Corse, qui a un vrai point de vue sur la Corse, et qui connaît très, très bien les milieux dont on parle. Et qui, en plus, aime les mêmes séries que moi. Sur la saison 2, il m’a déjà amené beaucoup de choses, mais lui-même n’a pas osé me « censurer ». C’est vrai que j’ai fait des bêtises sur la saison 2, parce que je ne connaissais pas mon sujet. Je suis quelqu’un de très travailleur dans la vie. J’ai accepté d’apprendre, mais cela prend du temps.’’
Eric Rochant pointe un exemple précis : une scène clef ou la chef Mafiosa harangue ses hommes rassemblés autour d’elle pour l’écouter. ‘‘C’est absurde, ça ne peut pas exister. Moi, je me réfère à des films que j’ai vus, mais là on est dans la caricature et la référence fausse. Pierre Leccia n’a pas osé me le dire. Il était mal à l’aise, sûrement, mais il n’a pas osé.’’

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L’apprentissage est aussi passé par les acteurs : ‘‘dans la saison 2, il y avait déjà des acteurs Corses. Ils auraient pu me dire « ça je ne peux pas le jouer, ce n’est pas du tout réaliste ». Ils ne me l’ont pas dit. Mais entre la saison 2 et la saison 3, je me suis beaucoup rapproché de ces acteurs, et j’ai créé les conditions pour qu’ils puissent me le dire. Aujourd’hui, ils me diraient « Eric, je le fais si tu veux, mais c’est ridicule ».’’
Ces conditions créées par Rochant, c’est notamment la place plus grande laissée à l’improvisation, directement inspirée de la technique de réalisation de « Friday Night Lights ». Comme dans cette série, Eric Rochant laisse beaucoup de liberté aux comédiens, bon nombre de scènes étant tournées sans leur imposer de marques : à charge aux cadreurs de suivre l’action. De même, une large partie des dialogues peut être improvisée (l’intention de Rochant est d’aller encore plus loin à ce niveau lors de la saison 4). Si « Friday Night Lights » tourne à trois caméras, Eric Rochant se contente de deux, afin de ne pas être obligé de filmer caméra à l’épaule (‘‘je ne veux pas faire de portée, je trouve ça très académique’’) et de préserver une certaine qualité de lumière. Autre grosse influence du show Texan : Eric Rochant a fait sauter toutes les règles au niveau du montage.

« Mafiosa » met de plus en plus en scène les réalités Corses. La série montre les affrontements entre les bandes, les règlements de compte, la volonté des uns de s’imposer face aux autres. Mais les conflits entre bandes de voyous ne seront pas le seul souci de Sandra Paoli cette saison, qui va la confronter à une autre dimension importante de la Corse...

La Mafiosa et les Nationalistes

Le duo Leccia-Rochant a une autre raison pour avoir tenu absolument à situer la saison 3 en Corse : il tenait à confronter les Paoli aux Nationalistes. ‘‘C’est une réalité incontournable,’’ explique Pierre Leccia. ‘‘Avec 35% aux dernières élections, c’est devenu une réalité politique. Ils veulent changer le cours des choses en Corse, ils veulent reprendre son destin en main’’.

‘‘Il y a quatre enjeux principaux cette année,’’ raconte Eric Rochant. ‘‘Le premier, c’est la réapparition lente, sourde, et perverse du conflit entre le frère et la sœur. La contestation du frère de l’autorité de la sœur va prendre une tournure beaucoup plus sournoise et intelligente. Le deuxième, Sandra Paoli va se heurter à une puissance qui n’a pas l’air très importante mais pourrait le devenir : les Nationalistes. Ils ne sont pas dangereux tant qu’ils sont morcelés. A elle de faire en sorte de ne pas être celle qui va les réunir. Le troisième enjeu est sentimental : il est compliqué pour Sandra de satisfaire à la fois sa volonté de puissance et sa féminité. Les femmes politiques y arrivent très bien, je pense que pour les femmes voyous, si ça existe, c’est sûrement très compliqué. Et le quatrième enjeu, qui n’est pas un des moindres et qui est lié au précédent, c’est le conflit intérieur à l’équipe de Sandra qui va la fragiliser. Tony et Manu vont en venir à refuser d’être des petits soldats. Tout cela est imbriqué : ces quatre fils narratifs n’en font presque qu’un.’’

Après avoir été un avocat dans « Un Prophète », Pierre Leccia s’est vu à nouveau proposer de chausser la casquette d’acteur. ‘‘Grimaldi, il fallait qu’il parle en Corse. Petit à petit, Eric Rochant a fini par me proposer de passer des essais’’. Le co-scénariste incarne ainsi l’un des principaux adversaires de à Sandra Paoli dans cette saison, s’opposant à ses projets immobiliers sur 35 hectares de bords de mer qu’elle a acquis. Une histoire qui trouve ses racines dans la réalité : ‘‘les actions du FLNC sont condamnables, mais sans lui on aurait construit partout sur le littoral Corse,’’ explique Leccia. ‘‘Il suffit d’aller à Nice pour voir ce que la Corse aurait très bien pu devenir…’’

Et justement, comment la série est-elle vue par les Nationalistes ? Plutôt bien, finalement. L’accueil de la première saison, avec sa volonté de transposer l’idée de la Mafia en Corse, avait été beaucoup plus négatif. La relation entre l’île et la série est devenue plus apaisée depuis le virage réaliste. Sachant, cela dit, que le pitch de la série, qui place une femme à la tête d’un clan, est lui tellement irréaliste qu’il ancre clairement « Mafiosa » dans la fiction, et désamorce les tentations de voir trop la série comme un roman à clef.

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Un showrunner ?

‘‘Le plus important dans une série, ce sont les personnages. Ce qui veut dire que le plus important, c’est l’écriture et ce sont les comédiens. Après, la mise en scène, l’image, ça peut-être pourri. Si c’est bien écrit et bien joué, ça n’a aucune importance. J’ai plein d’exemples en tête’’. Alors Eric Rochant ne se verait-il pas plus showrunner que réalisateur, contrairement au crédit qui lui sera systématiquement attribué ?

Sur ce sujet non plus, il ne donne pas dans la langue de bois :

‘‘Je préfèrerais être showrunner que réaliser tous les épisodes,’’ explique-t-il. ‘‘Mais aujourd’hui, en France, cela ne se fait pas. L’organisation du travail n’est pas faite pour cela. Je pousse pour l’être. J’ai un autre projet de série, là je pense que je serais showrunner.’’

‘‘C’est une évolution qui arrive. Il faut modeler les gens à cette nouvelle organisation. Mais cela se fera, c’est obligatoire. Soit en France on a l’ambition de faire des séries qui se vendent à l’étranger, qui soient concurrentes des américains sur le marché mondial, et dans ce cas-là il faut s’organiser un peu comme eux. Soit on va rester franco-français.
On est dans une période où non seulement on doit expérimenter, mais où on doit aussi se former. Le showrunner est producteur, et aujourd’hui, en France, aucun système de production n’accepte cela. D’abord, les producteurs ne sont pas totalement à jour sur cette idée. Ensuite, les diffuseurs doivent y croire. Ils y croient pour les américains, ils n’y croient pas encore pour les français. En fait, ils ne pensent pas qu’on puisse trouver des réalisateurs qui acceptent d’avoir le même rôle que les réalisateurs américains, en se fondant dans un système où le patron est un showrunner. Pourtant, on voir que même Scorcese accepte ce système. Moi je pense que les chaînes se trompent. Mais pour l’instant, ils n’y croient pas. Du coup, ça n’a encore jamais été tenté. Jusqu’à présent, on a l’expérience pour les séries d’un auteur et ensuite de plusieurs réalisateurs qui se partagent une saison. On a décrété aujourd’hui que c’était un échec. Mais c’est tout simplement que plusieurs réalisateurs sur une saison, cela ne sert à rien s’il n’y a pas un showrunner au-dessus d’eux !
’’

Au Village, on n’a rien à ajouter !

Post Scriptum

« Mafiosa »
Une production Son & Lumière pour Canal+.
Saison 3, 8 épisodes.
D’après un concept de Hugues Pagan. Ecrit par Eric Rochant et Pierre Leccia. Réalisé par Eric Rochant.
Avec : Hélène Fillières, Thierry Neuvic, Éric Fraticelli, Frédéric Graziani, Phareelle Onoyan, Joey Starr, Jean-Pierre Kalfon, Reda Kateb, Helena Noguerra.

En novembre sur Canal+.