SOAP — Plus belle la reconquête
« Plus Belle la Vie » brille d’un nouvel éclat…
Par Sullivan Le Postec • 14 avril 2011
2010 a été une année difficile pour « Plus Belle la Vie » qui donnait des signes inquiétants d’essoufflement. 2011 marque une reprise en main spectaculaire qui s’est vite vérifiée dans les audiences.

La semaine du 28 mars au 1er avril, « Plus Belle la Vie » a réalisé sa meilleure moyenne hebdomadaire de la saison 2010/2011, avec plus de 5,6 millions de téléspectateurs et 21,5 % de part d’audience. La part d’audience atteint 22,7% chez les ménagères de moins de cinquante ans. Et le score est encore meilleur chez les 11-34 ans : 24%. Pourtant, le dernier semestre 2010 avait été particulièrement difficile pour la série.

La crise de la série s’était un peu ressentie au niveau des audiences, même si la baisse avait été très modérée. Mais elle était beaucoup plus visible à l’écran, et dans les réactions des téléspectateurs.

« Plus Belle la Vie » est une machine impitoyable. Comme nous avons eu l’occasion de vous l’expliquer au Village — je vous renvoie à l’article d’analyse Plus beau le soap et au grand entretien avec Olivier Szulzynger : ‘‘Il faut expérimenter, quitte à se planter’’ — « Plus Belle la Vie » a une particularité unique dans le monde des soaps quotidien : il est story-driven, et pas character-driven. Il faut l’alimenter tous les deux à trois mois avec une nouvelle intrigue principale, qui devra fournir pendant cette période suspense et rebondissements. La plupart de ces intrigues reposent sur des mystères d’ordre policier, et notamment des whodunnit, c’est-à-dire à des intrigues dont l’objectif est de trouver qui est le meurtrier.
L’inconvénient : deux à trois mois, c’est le rythme auquel il faut fournir un nouveau cadavre à la machine. De quoi donner l’impression que le Mistral est, de très loin, le quartier de France avec le plus haut taux de mortalité (d’autant que les scénaristes se sont rarement contentés d’un seul mort par arche). Résultat, le trop grand nombre de victimes est la plainte qui revient les plus souvent chez les téléspectateurs. Les équipes de la série considèrent, à juste titre, que ces protestations étaient de surface, mais qu’au fond ces intrigues étaient aussi responsables de l’addictivité du soap.

Des intrigues à bout de souffle

Tout cela fonctionne en effet tant que les intrigues parviennent à se renouveler suffisamment, et qu’elles racontent quelque chose, au-delà des rebondissements parfois abracadabrantesques. C’est là qu’a été le véritable problème pendant presque toute l’année 2010. Intrigues poussives et répétitives, manque de fond, faiblesse des personnages. Heureusement, la série a pu compter sur le duo Samia et Boher.
Les choses se sont vraiment gâtées à l’été. Luna, sans doute le personnage préféré des spectateurs, celui dont beaucoup se sentent le plus proche, faisait son grand retour après quelques mois d’absence. En fait de retour, une « mort », immédiatement suivie d’une résurrection, et une intrigue ratée à partir de visions du futur et de secte maléfique. Pour finir, le mari de Luna depuis deux ans est tué. Ce n’était qu’un personnage récurrent qu’on ne voyait pas si souvent, mais c’est quand même autre chose que de tuer un guest apparu dans la série deux semaines plus tôt. Immédiatement après, le soap enchaîne avec une intrigue très noire autour du personnage de Thomas. Celle-ci se termine sur la mort du petit-ami de Thomas, et personnage régulier de la série depuis plusieurs années, le Juge Estève. Ça commence à faire beaucoup, et cela ne s’arrange pas : la série enchaîne avec une intrigue de veuve noire catastrophique. Poussive du début jusqu’à la fin, et n’impliquant quasiment aucun personnage principal du soap : ceux mis en vedette sont des guests artificiellement reliés aux réguliers par des amitiés ou des relations amoureuses sorties de nulle part. Et après ça, l’intrigue suivante mettait en scène une mère de famille désespérée, séropositive suite à une cocaïnomanie de jeunesse et qui désirait se venger de Luna, justement alors que celle-ci était de replonger dans la Cocaïne. Plus belle la vie, vraiment ?

Une image ternie

A ce moment, la série se met à vraiment tanguer. Six mois d’intrigues très noires, deux morts dans les personnages auxquels les personnages sont attachés, et une autre droguée. L’audience est en chute visible, même si elle est très modérée. Surtout, l’exaspération des téléspectateurs est telle qu’elle déborde des forums spécialisés pour atteindre les médias généralistes, ce qui dégrade l’image de « Plus Belle la Vie ». La noirceur des intrigues était-elle davantage en cause que leur simple manque de qualité ? Difficile à dire.
Georges Desmouceaux, qui a pris la direction d’écriture de la série en 2008, n’est pas en cause. Quand il a pris la succession d’Olivier Szulzynger, qui avait reconfiguré la série quelques mois après son lancement, en 2004, et l’avait mené au succès, le changement n’était pas du tout apparu à l’écran. Même fond, même forme. Mais « PBLV » est un rouleau compresseur épuisant qui, fin 2010, l’avait tout simplement épuisé.
Le personnage de Luna est sorti si abîmé de la période que la décision a été prise de l’exfiltrer et de la faire oublier. On murmure aujourd’hui que son retour se ferait au cours du prochain prime, en septembre. Les secousses subies signifient en effet que, contrairement à ces deux dernières années, il n’y aura pas de prime-time de printemps. A l’usage, « Plus Belle la Vie » s’est révélée de toute façon incapable de livrer deux primes par an : leur qualité a dramatiquement chuté depuis que ce rythme a été imposé.

Le ternissement de l’image de « Plus Belle la Vie » s’est, en 2009 / 2010, aussi opéré sur d’autres terrains. Une actrice enceinte virée sans ménagement (en première instance, les Prud’hommes lui ont donné raison). Des contrats publicitaires que les acteurs apprennent en se retrouvant face à leur photo dans les allées d’un supermarché ou les couloirs du métro. Un acteur qui avait eu le malheur de souligner que les salaires des comédiens avaient peu augmenté malgré le succès de la série (à juste titre, la comparaison avec la progression des bénéfices de Telfrance serait riche d’enseignement...) qui voyait sa fiche de paye publiée dans la presse par la production. Et même un chantage de Telfrance au moment du renouvellement du contrat : si France 3 ne pliait pas à leurs exigences financières, ils menaçaient d’aller revendre la série à la concurrence. Assez indécent quand on connaît l’investissement des équipes de France 3 dans la création de la série, dans la mise en place de son succès, et dans le fait qu’elle la finance quasi-seule : les risques au départ, étaient pour France 3, pas pour Telfrance.
Disons le, pas mal de comportements vraiment moches se sont accumulés en coulisses. Pas parmi les créatifs de la série, mais du côté de ceux qui, à Telfrance, tiennent les cordons de la bourse. Syndrôme de la grosse tête ?

La reconquête

Fin 2010, Olivier Szulzynger a repris les veines de « Plus Belle la Vie », avec une mission claire : lui donner un nouveau souffle et réinventer sa formule. Il faut en effet, au moins pour un temps, écarter le principe habituel de l’enquête policière, du meurtre et du personnage régulier injustement accusé et incarcéré.
La première solution trouvée : une grande intrigue sentimentale, très forte — parce que chargé en mélodrame et abordant une forme de tabou. Blanche Marci, l’un des personnages à la moralité la plus inébranlable de la série, tombe soudain amoureuse du nouveau mari de sa propre fille. Elle cède et a une liaison avec lui, évidemment bientôt découverte.

L’intrigue est un succès. Les personnages reprennent une forme de profondeur qu’on ne leur avait plus connue depuis longtemps. Malgré tout, l’intrigue n’arrive pas à faire sans le passage obligé du personnage soupçonné injustement de meurtre et emprisonné. Et puis la nouvelle formule a du mal à générer des cliffhangers.
Cela a toujours été un point faible de la série – les cliffhangers sont toujours mis en scène de la même façon, avec la même petite musique, chaque soir. Cela en devient horripilant, et surtout cela à viré depuis longtemps au comique involontaire. La volonté de faire chaque soir un cliffhanger « Tagada-tsouin-tsouin », alors que d’autres types de tension dramatique pourraient souvent donner autant envie de revenir le lendemain, se marie mal avec la volonté de déshystériser la série. L’intrigue Blanche / Gaspard / Johanna a ainsi donné lieu à une semaine entière avec pratiquement le même cliffhanger chaque soir — Blanche regardant Gaspard pleine de désir : va-t-elle céder à la tentation, ou pas, « Tagada-tsouin-tsouin » !
A côté de l’intrigue principale, les histoires B et C des épisodes font la part belle à la comédie, et aussi aux histoires d’amour, que le public réclamait à cœur et à cri. Quitte à ce que « Plus Belle la Vie » s’amuse à jouer la carte de la transgression, mettant en scène un trio à la « Jules et Jim ».

Pour sa deuxième intrigue, Szulzynger ramène un ancien méchant, le politique corrompu et criminel Picmal, qu’il fait évader de prison. Picmal était au cœur de ce qui reste peut-être la meilleure intrigue de la série qui mêlait, en 2006, la formule usuelle du whodunnit avec la fiction politique, Picmal étant alors dans une campagne pour les élections Cantonales et se livrait à sa meilleure imitation de celui qui allait être élu Président un an plus tard. En face, Blanche Marci lui donnait la contradiction, « comme Ségolène mais avec un petit côté Arlette ».
Mais l’intrigue déjoue vite les attentes quand Picmal profite de l’opportunité d’une fête qui tourne très mal : le saladier de Sangria auquel s’est abreuvé tout le quartier a été mélangé à une base servant à produire de l’ecstasy. L’enjeu devient donc de découvrir petit à petit ce que les personnages ont fait de cette folle nuit de désinhibition dont ils ne gardent aucun souvenir. L’évènement a même été annoncé par une bande-annonce spéciale :

Szulzynger manie le buzz comme au bon vieux temps, celui de l’accident de voiture de Johanna et de son frère qui avait été sans doute la première fois où « Plus Belle la Vie » avait animé les discussions de machine à café – ou plutôt les apéros en terrasse, on était en plein été 2005.
Le résultat est immédiat, la semaine de la fête est celle de la meilleure audience de la série de toute la saison 2010/2011 à ce jour. Les téléspectateurs sont réconciliés avec la série. La presse aussi. Plus Belle la Vie !

On soupçonne quand même que l’interrogation commence à remonter dans l’atelier d’écriture de la série : ‘‘quand est-ce qu’on peut recommencer à trucider du figurant ?’’ De fait, on vient d’apprendre que Picmal, porté disparu depuis la fête, avait perdu la vie lors de cette soirée mystérieuse...