THE HOUR — Saison 1
7 à 8 et 5 à 7
Par Dominique Montay • 3 janvier 2012
En juillet dernier, la BBC mettait à l’antenne une série basée dans les années 50-60, sorte de réponse britannique à l’américaine « Mad Men ». « The Hour », écrite intégralement par Abi Morgan nous raconte les aventures de l’équipe créatrice et technique autour d’un programme d’information novateur et risqué, en plein milieu de la crise du canal de Suez.

Freddie Lyon et Bel Rowley se voient offrir la direction du programme d’information le plus avant-gardiste du pays par Clarence Fendley, pour la BBC. Une heure de journal d’investigation poussé, risqué, novateur, qui se veut être l’équivalent audiovisuel d’un journal papier. Mais la BBC est sous le contrôle de l’Etat, et Lyon et Rowley doivent contourner des règles qui les empêchent de faire leur travail. Freddie Lyon, dès le départ, se heurte à deux désillusions : il s’occupera exclusivement des affaires intérieures, et il doit laisser l’animation à Hector Madden, un séducteur qu’il estime sans talent.

La série est très belle. Joliment filmée, elle se hisse au niveau visuel d’un « Mad Men », l’ensemble étant réellement sans faute. Pas de risques inconsidérés : les plans en extérieur sont réduits à leur plus simples expression. On se concentre sur les intérieurs, où la reconstitution est plus aisée à maîtriser, et c’est le cas.

Le casting est assez remarquable. Dominic West est Hector Madden. Très éloigné de son rôle de « The Wire ». S’il est aussi séducteur de McNulty, il ne possède aucun courage. Sa vie est remplie d’absence de risque, et d’un mariage sans amour ni passion, mais de raison. Ben Whishaw est Freddie Lyon. Brillant, agaçant, talentueux, limite sociopathe. Une belle prestation pourtant pas exempte de défauts. Romola Garai est Bel Rowley… et est juste à tomber. Au-delà de sa simple beauté plastique, la jeune femme est charismatique, bouffeuse d’écran, et crédible dans toutes les situations. Un diamant étincelant qui assoit la crédibilité d’un personnage qui en a bien besoin.

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Romola Garai
(Ne pas se transformer en loup de Tex Avery, ne pas se transformer en loup de Tex Avery, ne pas se transformer en loup de Tex Avery)

Madden+Lyon=Draper

Il est difficile de ne pas jouer au jeu des sept erreurs avec son homologue américaine. Il est amusant de constater, par exemple, que la Grande-Bretagne de ces années là est plus avancée socialement que les Etats-Unis. Les femmes ont des postes à hautes responsabilités sans que ce soit ouvert à débat. Du coup, si vous cherchez Don Draper, vous pourrez le trouver, mais par bribes. Le talent et la brillance chez Freddie. Le charme et la décontraction chez Hector. Comme « Mad Men », « The Hour » se sert de son époque pour revisiter des évènements historiques. Ici, nous parlerons du Canal de Suez. Cet ancrage historique n’est pour autant pas plombant comme pour d’autres séries dont il suffit d’aller regarder la page wikipedia pour connaître l’évolution saison par saison, vu qu’ici, tout, sauf l’univers, est fictif.

Les éléments englobant le programme télé sont fascinants. La guéguerre de coqs entre Freddie et Hector, avec au milieu Bel, est savoureuse. Pour le coup, le trio amoureux, cet éléments scénaristique souvent plombant, est ici bien géré. C’est cohérent, parfois assez cruel (surtout pour Freddie), souvent juste (comme l’attitude de la femme d’Hector). Le travail d’équipe est bien retranscrit. Il montre des gens qui ne vivent que pour leur travail, et qui lui vouent une importance capitale. Chaque émission doit être un morceau de bravoure, doit soulever un problème de société, marquer les esprits. Se servir du journalisme pour transmettre, et pourquoi pas changer les choses.

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Freddie Lyon
Au travail, c’est rare

Des espions très envahissants

Pourquoi diable, alors, cette série n’est pas absolument parfaite ? Non, il ne s’agit pas juste du personnage de Freddie Lyon, qui oscille entre le remarquable et l’agaçant, la faute à un jeu un peu trop « présent » de Ben Whishaw. En réalité, le gros souci, l’énorme point noir de la série, c’est son fil rouge. Afin de rendre sa série plus attrayante, sans qu’on sache trop pourquoi, Abi Morgan a décidé qu’il y aurait une histoire d’espionnage dans la série. Une sorte de mystère obscur qui transforme Freddie Lyon de journaliste pugnace en détective privé solitaire. Un mystère pas très intéressant qui nous en apprend au final très peu sur les personnages, et qui provoque des problèmes en chaînes.

Déjà, en isolant Lyon des autres, on se prive de sa frustration initiale, et de sa volonté de vouloir gagner du terrain sur Hector. On se prive aussi de voir encore plus Hector et Freddie se lier autour de l’émission et de leurs qualités respectives. La dynamique entre les deux est en cela très réussie, mais mal exploitée à cause de cette trame d’espionnage. Hector envie Freddie pour son intelligence et son courage. Freddie envie Hector pour son charme et son charisme. A eux deux, ils forment une sorte d’homme parfait, et Bel, au milieu, passe de l’un à l’autre (l’amitié et la confession pour Freddie, le lit pour Hector) sans qu’elle ne s’en rende totalement compte. Un aspect évoqué mais mal approfondi, et c’est bien dommage, dans ce trio est juste. La profondeur émouvante des relations entre Freddie et Bel s’oppose en effet miroir à l’attirance strictement charnelle entre Bel et Madden, dans un ballet où la confusion et le trouble amoureux touche très souvent la corde sensible.

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Hector et Freddie
"C’est moi Madden, c’est toi Freddie
C’est toi le beau, et moi le petit"

Au lieu de cela, nous passons de longues (parfois très longues) minutes avec un Freddie Lyon qui pose des questions à tout le monde (souvent la même), qui du coup ne semble jamais « là », ni faire réellement son travail. Cette intrigue est confuse, se développe en plus assez lentement, sans que les surprises ne soient réellement ébouriffantes. La résolution finale de cette intrigue va même au-delà de la déception. Tout se règle par une phrase lancée au débotté, au moment où l’on pensait ne plus entendre parler de cette intrigue.

La façon anodine avec laquelle la révélation est faite trouve sa justification quelques minutes plus tard, mais là encore, la déception est grande. Une révélation choquante intervient à quelques minutes de la fin, mais semble plaquée, sans cohérence avec le reste. De plus, elle vient contredire le caractère d’un personnage jusqu’ici très juste. Une révélation qui, pour ne rien arranger, ne semble suivie de rien. Ni indignation, ni révolte.

Comme si cette histoire bancale d’espionnage avait été ajoutée après coup, collée sur cette superbe chronique d’une émission d’information. Un petit goût amer qui peine quand même à gâcher le plaisir que représente cette série, véritable bonne surprise d’une année charnière pour la BBC, et qui reviendra cet été pour une seconde saison qu’on espère un peu moins dispersée.