THE KILLING (FORBRYDELSEN) — Saison 1
La série porte-étendard du renouveau Danois.
Par Dominique Montay • 15 février 2012
Parlons de « Forbrydelsen ». Un titre de série plus facile à écrire qu’à prononcer. Une série qui fut diffusée l’an dernier sur ARTE sous le titre « The Killing ». Et qui fût encensée par la critique, avant d’être relativement boudée par le public, la faute à une promo absente et une diffusion assez tardive.

Une jeune femme, Nanna Birk Larsen, est retrouvée morte enfermée dans une voiture noyée dans un lac. Cette mort va monopoliser l’inspecteur Sarah Lund, qui doit très prochainement déménager en Suède pour y suivre son petit ami. Mais par un effet domino, cette mort va aussi avoir une influence sur la campagne politique qui bat son plein pour l’investiture de la mairie, car la voiture dans laquelle a été retrouvée Nanna appartient aux services de la mairie. Un mort, du drame, une enquête, une élection. Voilà la base de cette série phénomène qui vient d’être remakée aux USA.

« Forbrydelsen », on en avait déjà parlé plus tôt dans ces pages, mais pas forcément en donnant envie de la voir. Si nous y revenons aujourd’hui, c’est autant pour louer ses innombrables qualités qu’exposer ses limites. Aussi riche soit-elle, la série est tout de même enfermée dans le genre du whodunnit, genre foncièrement populaire, mais qui est enfermé dans des codes et des gimmicks auxquelles la série n’échappe finalement pas.

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Sarah Lund
Prête à pourchasser un nouveau suspect

Quand on lit le résumé de la série, on s’attend à un « Twin Peaks » dépressif. Et au final, on tombe à côté. « Twin Peaks » partait du principe de nous montrer une communauté via la meurtre d’une jeune fille populaire. Une communauté composée de différents cas de psychologie clinique, où l’enquêteur était aussi allumé que les coupables. Elle explosait plus les codes du soap que du whodunnit. Pas de folie dans « Forbrydelsen », et si on doit la comparer à une autre série américaine, il faudrait plus certainement choisir « 24 ».

La série prend pour principe qu’un épisode couvre une journée. Cette temporalité donne une dimension d’urgence, à l’égal du Jack Bauer-show, avec un réalisme plus poussé, une héroïne qui observe et agit plus qu’elle ne réagit et observe, ce que Jack Bauer faisait. Comme « 24 », la série est gavée de twists, de traîtrise, de machinations, de morts, de grosses montées d’adrénalines savamment distillées dans un réel savoir-faire de la science sérielle. Aussi habile est l’ouvrage, il n’est pas pour autant le point fort de la série.

Les cliffhangers d’épisodes, aussi intenses soient-ils, ont tendance à se répéter, se dupliquer. L’un des personnage de l’histoire se retrouve ainsi suspecté 4 ou 5 fois, et arrêté presque autant, avant d’être à chaque fois relâché par manque de preuve, ou à la suite d’un aveu. Parfois, cette mécanique semble artificielle, et très souvent, si l’enquête n’avance pas (elle dure 20 épisodes, soit 20 jours), c’est parce que certains personnages décident de dissimuler des informations. Autant parfois, c’est très logique, autant d’autre, on reste un peu circonspect. Certains, dans cette histoire, préfèrent en effet tout risquer de leur vie et passer pour le meurtrier d’une jeune fille plutôt que d’avouer un événement embarrassant. Ces retournements de situations sont parfois même assez balourds, et viennent s’opposer à la finesse incroyable du reste de l’œuvre.

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Troels Hartman
Un politicien au milieu d’une affaire de meurtre

L’air de rien, « Forbrydelsen » nous met un pied dans la vie politique danoise. On y suit un jeune idéaliste, Troels Hartmann, décidé à faire tomber un vieux maire revenu de tout et corrompu jusqu’à la moelle. On s’y délecte des jeux de dupes, des alliances, des trahisons… tout bonnement passionnant. Cette portion de récit est tellement forte, sans didactisme mais d’une clarté incroyable qu’on en vient même à se dire qu’elle aurait été aussi formidable sans le meurtre qui vient s’y greffer.

Même si la partie enquête n’est pas votre tasse de thé, elle a le mérite d’être animée par des personnages tridimensionnels et parfaitement caractérisés. La série connaîtra deux chefs du service homicide, l’un bonhomme et d’apparence sympathique, l’autre raide comme un piquet et d’une froideur sans limite. Avec ces deux personnages, la série joue avec les codes du délit de faciès pour mieux nous surprendre. La palme revient évidemment au duo d’enquêteurs, Jan Meyer et Sarah Lund, qui inversent les archétypes féminins et masculins. A Meyer les attitudes névrotiques, l’expression continuelle de ses sentiments, et à Lund l’attitude taiseuse en totale maîtrise de ses émotions.

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Sarah Lund again
Qui regarde le vide avec son incroyable pull

La thématique de la série, au-delà du whodunnit, s’avère bien plus intéressante si on réfléchit en terme de personnage. Car elle pose une question que peu (voir aucun, ou alors de façon non significative) de cop show pose. La conséquence d’une mort violente dans la vie de ceux qui restent. Car c’est bien cela la force de la série, le regard posé sur la famille de la décédée, sur ses camarades de classe, ses professeurs, et donc cette élection.

Les retentissements de la mort de Nanna Birk Larsen sont proches du Tsunami. Ses parents vont vivre des moments capitaux, difficiles, violents. Ils ne se contentent pas d’observer en pleurant, non, ils agissent, ils se posent des questions, s’opposent. Ce pan de l’histoire montre qu’au final, on ne peut pas, après un décès, s’arrêter de vivre et contempler son malheur. Il faut payer l’enterrement, avoir des conversations surréalistes avec un représentant de sa religion (la mère de Nanna s’effondre quand le prêtre lui annonce que Nanna est aux côté de Dieu. Elle lui répond dans un mélange de justesse et de désespoir que sa place est à côté d’elle), puis faire face aux problèmes d’argent, de son travail, ceux posés par l’irruption continuelle de la police dans sa vie, de la presse… Une machine impossible à arrêter qui empêche tout recul, ou tout simplement de faire son deuil.

Ce point de vue permet de soulever de multiples questions : un couple peut-il se relever d’un tel évènement ? Est-on aussi proches de nos enfants qu’on aimerait le croire ? Faut-il se borner à vivre dans le souvenir du défunt ou vite mettre de côté pour s’occuper des vivants ? Doit-on faire vengeance soit-même ou laisser la police œuvrer ?... Sans donner de réponse franche (fort heureusement), la série aborde tout cela, intelligemment, et savamment.

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Les parents Birk-Larsen
Une famille au bord de l’implosion

La difficulté à s’intéresser au cas de la petite Nanna Birk Larsen, si elle vous pèse, ne doit pas vous empêcher de découvrir cette série, car derrière ce principe basique se cache une série bien plus riche et surprenante. Une série sombre, dure, noire, froide et passionnelle à la fois.

Post Scriptum

« Forbrydelsen »
Danemark. 2007. DR1.
Créé par Søren Sveistrup.
Avec : Sofie Gråbøl (Sarah Lund), Morten Suurballe (Lennart Brix), Mikael Birkkjær (Ulrik Strange), Nicolas Bro (Thomas Buch), Kurt Ravn (Gert Grue Eriksen), Ken Vedsegaard (Jens Peter Raben).