A l’origine, il y avait le néant, puis le Big Bang et Alec Baldwin
Lorsque Fey s’est pour la première fois essayée au développement de série, le projet qui est devenu 30 Rock ne se déroulait pas dans les coulisses d’une émission à sketchs à la Saturday Night Live, mais dans dans celles d’un journal télévisé. [1].
NBC, peu convaincue par le pilote, demande à l’auteur de revoir sa copie. Kevin Reilly, président de la chaine de l’époque, est bien plus intéressé par une série qui puisse jouer sur ce que le public connait de Tina Fey, et le concept de 30 Rock est alors validé.
Cependant, lors de la longue gestation du projet, interrompue par celle du bébé de Fey, Reilly informe Lorne Michaels (producteur de SNL et de 30 Rock) et Tina Fey, qu’il va aussi commander un drama d’Aaron Sorkin sur le même sujet. Arguant que Scrubs et Urgences ont longtemps partagé l’antenne de la chaine, l’équipe de 30 Rock n’a rien à craindre. Et, effectivement, les deux séries se retrouvent sur la grille 2005/2006 de NBC.
Mais si Kevin Reilly commande la série, ce n’est pas juste par confiance aveugle envers Tina Fey. Le recrutement d’Alec Baldwin dans le rôle de Jack Donaghy y est pour beaucoup.
Alors que la plupart des valeurs sûres de la télévision américaine se tournent vers le projet de Sorkin, pour lequel Scott Adsit avait auditionné, de par ses liens avec Saturday Night Live, Baldwin accepte un rôle dans 30 Rock. Tout comme Brooke Shields avant Suddenly Susan dans Friends ou Eddie Falco avant Nurse Jackie dans 30 Rock, Baldwin s’était déjà essayé à la sitcom avec un rôle de guest-star dans Friends.
Et bien plus que ses apparitions quasi annuelles dans Saturday Night Live, 30 Rock va mettre en avant les talents comiques méconnus de l’acteur. Il s’agit d’une vraie révélation pour un acteur qui réussit la difficile transition entre cinéma et télévision avec brio.
Non seulement, Baldwin est un acteur talentueux, mais il a la chance d’avoir une scénariste qui a déjà écrit pour lui et qui connaissait ses forces grâce à ses participations à SNL. Si Tina Fey confirme son talent avec 30 Rock, Alec Baldwin en est la vraie révélation. Et ce, dès les premières minutes de la série : Jack est probablement le seul élément de 30 Rock qui n’a pas nécessité de profonds ajustements.
Parce que si l’arrivée de Baldwin dans le projet est une bonne chose, les problèmes ne sont pas finis pour Fey. Le pilote pose certains problèmes. Et principalement, Rachel Dratch dans le rôle de Jenna. NBC demande à ce que son rôle soit recasté.
Et c’est chose faite lorsque Jane Krakowski est engagée. Dratch restera dans la série dans une série de rôles de secondaires tout au long de la première saison. Rachel Dratch étant une bien meilleure humoriste que Krakowski, des critiques ont laissé suggérer qu’un problème de physique soit à l’origine de la demande de NBC. Après avoir vu le pilote original de 30 Rock, il faut avouer que la décision de NBC était probablement la bonne.
Ta gueule, t’es moche ?
Le pilote diffusé est loin d’être le meilleur épisode de la série. Le pilote non diffusé était encore pire.
En lui laissant du temps, il est probable que Fey aurait pu donner du meilleur matériel à Dratch et peaufiner le personnage de Jenna. Mais, sur la base unique du pilote, Jenna est le personnage le moins intéressant et le moins drôle de la série. Elle est plus pathétique et n’est pas l’actrice difficile que Krakowski joue si bien. Du plus, la dynamique de la série à ses débuts et bien différente de la suite de la série. Alec Baldwin, tout comme Martin Sheen dans The West Wing, ne devait pas avoir une part si importante dans la série.
Dans les deux pilotes de 30 Rock, Jack et Liz ne sont pas amis. Liz est personnage central normal qui réagit aux excentricités de ses acteurs et de sa direction. Un peu comme Dave Foley dans Newsradio ou Maya Gallo dans Just Shoot Me.
Au cours de la première saison de 30 Rock, une redéfinition sur deux plans s’opère sur Liz. Tout d’abord, l’amitié Jack et Liz procure une ancre à la série qui fait que 30 Rock n’est pas une simple version en direct d’une série animé de Seth MacFarlane. A ce jour, c’est là où la série opère le mieux.
La deuxième amélioration sensible de la série est que Liz joue dorénavant sur le même tableau que le reste de la distribution. Elle n’est plus le personnage passif qui réagit face à sa distribution, elle devient aussi ridicule et drôle qu’eux. La Liz du pilote ne se serait pas mariée en Princesse Leia, la Liz du pilote de se serait pas ridiculisée auprès des amis républicains de Jack.
Le rôle en retrait de Liz vient peut-être du passé de Fey.
En tant que scénariste de Saturday Light Live, elle se devait de mettre en avant les talents de la distribution. A l’entendre parler de ses années d’improvisation, elle explique qu’il fallait toujours aider son partenaire et lui tendre des perches. C’est dans cette optique que son rôle est défini dans le pilote. Cependant, en laissant Dratch quitter le projet, elle donne des qualités de la Jenna originale à Liz. Fey et Dratch ayant un humour similaire, la Liz que l’on connait et la Jenna du pilote sont souvent des cibles de ridicules. Les deux actrices aiment les personnages qui s’humilient. La Liz que l’on connait ne pouvait pas exister avec la version de Jenna sous Dratch sans risque de doublons.
A long time ago, we used to be friends
Cependant, l’arrivée tardive de Krakowski ne résout pas tous les problèmes que la série a en Jenna. La première moitié de la saison transpose petit à petit des aspects de Jenna à Liz.
Krakowski ne joue pas aussi bien que Jenna la fille humiliée. En revanche, comme le montrent des épisodes comme "Hardball", Krakowski n’est jamais aussi douée que lorsqu’elle joue l’actrice écervelée. Rapidement, la méchanceté d’une actrice imbue de sa personne est une seconde découverte des talents de Krakowsi qui donne du nouveau matériel aux scénaristes. Ce matériel était inaccessible avec Dratch dans le rôle.
En revanche, ces nouvelles qualités assignées à Jenna rendent difficiles à croire que Liz et Jenna soient, ou aient été, meilleures amies. Leur relation étant basée partiellement sur celle de Fey et Dratch, Jenna a tellement évolué que cet aspect est de moins en moins crédible. "The Rural Juror" en saison 1 montrait une Liz jalouse du succès de Jenna. Ce qui était crédible lorsque cette dernière n’était encore pas le monstre égocentrique que l’on connait.
En saison 7, Liz est heureuse de voir Jack à son mariage, mais il n’est fait aucune mention de Jenna. Et lorsque Jenna se marie, elle semble plus axée à se venger de Liz parce qu’elle lui a volé la vedette que blessée de ne pas avoir été invitée au mariage de son amie.
Si l’amitié entre Liz et Jenna est un des axes les moins bien exploités de la série, celle de Jenna et Tracy a été une excellente trouvaille qui a bénéficié aux deux personnages.
Tracy Jordan était, lui aussi, un problème des premiers épisodes. Dans l’univers de 30 Rock, Tracy est un humoriste reconnu. Mais un peu comme Olivia Pope est formidable dans des premiers épisodes de Scandal, c’est un fait que la série affirme sans vraiment le montrer. Tracy Jordan, seul, ne nous faisait pas vraiment rire. En revanche, lorsque les scénaristes lui assigne un compère, le personnage montre sa vraie force.
Tracy Jordan EST drôle
Tracy et Jenna sont bien plus drôles en « Problem Solvers » ou en acteurs qui rivalisent en égocentrisme. En les associant, on réalise que les deux éléments à problèmes de la série peuvent devenir une force comique solide. Et c’est une qualité de Tracy assez étonnante. Si la plupart des séries s’essaient à plusieurs permutations d’associations pour avoir une certaine longévité, Friends en tête de ligne, 30 Rock ne joue que très rarement cette carte.
Mis à part le biopic sur Janis Joplin, Jack et Jenna n’ont que très rarement partagé la même intrigue.
Tracy, en revanche, est un homme d’affaire qui sait parler à Jack. De la saison 1 où ils s’essaient au développement de The Tracy Jordan’s Meat Machine, à la dernière saison en date où ils s’affrontent lorsque Jack découvre qu’il est l’inspiration d’un des films de Jordan, c’est un terrain que les scénaristes aiment fréquenter.
Les caprices de Tracy sont aussi une source facile d’intrigues pour le confronter à Liz. "Black Tie" donnera à Pete ses meilleurs moments lorsque Tracy essaie de le convaincre de tromper sa femme. Et enfin, et surtout, ses intrigues sont celles qui utilisent le mieux Kenneth. Et bien évidemment, lorsque sa femme est impliquée, la qualité des intrigues de Jordan augmente considérablement.
La référence obligée d’un article de Drum sur Frasier
L’absence totale d’histoire d’amour entre personnages principaux au profit d’une profond amitié qui les lient (et Jenna qui traine dans le studio) donne une qualité à 30 Rock que bien peu de séries peuvent se vanter d’avoir.
Un peu comme Frasier, malgré l’intrigue de Niles et Daphné, les épisodes de 30 Rock ont une qualité intemporelle. Même si certains de mes épisodes préférés s’y trouvent, la saison 1 prend un peu de temps à trouver son équilibre et son rythme souffre de la comparaison avec le reste de la série.
Passé, donc cette première saison, on peut enchainer les épisodes dans n’importe quel ordre sans être gêné. Il y a des périodes dans la série généralement définies par les partenaires de Jack comme Salma Hayek, Eddie Falco ou Elizabeth Banks, par exemple, ou, ceux de Liz qui affiche à son palmarès Jon Hamm, Matt Damon, et Jason Sudeikis.
Même si 30 Rock à la recherche de la voix de l’Amérique profonde en saison 4 a testé notre patience, la constante qualité de la série et l’absence de longues intrigues agaçantes comme la prise de poids de Daphné dans Frasier ou les imbloglios sentimentales de Friends font de la sitcom une valeur sûre sur toute sa durée.
30 Rock est une série qui arrive à fournir des dialogues solides ou des gags visuels remarquables sur des intrigues. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il s’agissait uniquement d’avantages inhérents au mode de production de la série. Sans les impératifs d’un tournage en une soirée devant un public, la série est plus libre d’être plus subtile, plus travaillée et peut se permettre bien plus qu’une sitcom traditionnelle.
Lors de sa saison 5, Tina Fey a prouvé que j’avais tort.
Tina Fey, pré-si-den-te ! Tina Fey, pré-si-den-te !
En mettant en avant tout ce qu’elle apprit sur Saturday Night Live, et en appelant en renfort quelques uns de ses anciens collègues, son épisode en direct devant un public reste l’un des plus mémorables de la série. Et le plus étonnant est qu’elle s’en charge en utilisant une structure similaire aux épisodes de sa première saison et non pas sous la forme où 30 Rock s’est épanoui.
Cela met en avant la principale force de la série : Tina Fey.
Peu importe la structure de sa série ou son mode de production, ou en allant plus loin, peu importe que ce soit dans une émission à sketchs, une série, un film ou un livre, Tina Fey a quelque chose à dire. Et elle dit de façon brillante.
Que ce soit sur le monde de la télévision, sur la pop culture, sur la politique ou le féminisme, Tina Fey est une femme brillante qui a sait être piquante, qui possède de l’auto-dérision, et qui a le mérite d’être drôle. Avoir une opinion ne justifie pas le fait d’avoir une série, tout comme être drôle ne suffit pas à maintenir une sitcom sur sept ans. 30 Rock l’a fait sans changement majeurs derrière la caméra sur six de ses sept saisons à l’antenne.
30 Rock n’a jamais été une machine à gags sans âme. Tina Fey a toujours su insuffler assez de profondeur à sa série sans se prendre au sérieux. Elle aussi su se moquer de la pop culture américaine, mais pas à outrance, l’empêchant comme Will and Grace, d’être trop marquée par son temps. C’est ce qu’elle faisait déjà avec talent sur Saturday Night Live.
Tina Fey est un talent qui semble être là pour durer, et c’est pour cela que la fin de 30 Rock, tout comme son départ de SNL à l’époque, ne me chagrine pas. Il y a de très grandes chances qu’elle ne revienne vite.
Je ne suis pas triste de la voir partir mais, en revanche, je suis très impatient de la voir revenir.
[1] Notez que je résiste à un « Dans ta gueule, Sorkin ! » via un parallèle facile avec The Newsroom
