C’est l’événement de la rentrée.
HBO l’a voulu ainsi.
Martin Scorsese.
Le retour des gangsters sur la chaîne.
Ecrit par un scénariste des Sopranos.
Le pilote le plus cher de l’histoire des séries [1].
Et Martin Scorsese.
HBO l’a obtenu.
Les critiques qui crient au chef d’œuvre depuis le mois d’août.
C’est la meilleure audience d’un pilote sur la chaîne depuis Deadwood [2].
La série est déjà renouvelée pour une deuxième saison.
Mouais.
C’est quand même un peu chiant...
Encore un truc de mafia ?
Avec les histoires de gangsters, je pars en général avec un degré de tolérance assez faible. Je n’ai aucune fascination pour les histoires de mafia. Mais vraiment aucune. L’honneur des gangsters est un truc qui m’a toujours fait mourir de rire. C’est comme la paix dans le monde ou la bisexualité, je n’y crois pas. Ce qui fait que je n’accroche pas facilement aux histoires de familles, d’alliances et de trahisons de pourritures en mal de reconnaissance. Et que je n’ai aimé ni Le Parrain, ni Casino...
Il n’empêche que le travail de Scorsese sur Les Affranchis m’a laissé admiratif et que je tiens les Sopranos sinon pour le meilleur drama que j’ai jamais vu [3], au moins pour la série qui a créé les personnages les plus complexes et les plus fascinants de la télévision américaine.
Successeur des Sopranos ?
Et je n’ai pas trop choix que de mesurer la réussite de Boardwalk Empire à l’aune de ces deux derniers exemples. La faute à HBO qui s’en est servi pour promouvoir la série. Et la comparaison est loin d’être flatteuse.
De la fresque épique aux personnages grandioses qu’on nous a annoncée, je n’ai vu qu’une histoire simplette sans âme.
Soyons clairs, en 72 minutes, seuls deux personnages sont un peu creusés.
"Nucky" Thompson, celui de Steve Buscemi (heureusement, vous me direz), avec lequel on enchaîne des scènes bien distinctes les unes des autres pour bien appréhender un trait particulier de caractère.
On commence avec un discours devant une association de femmes, il est très brillant.
Il rencontre une jeune femme enceinte, il regarde avec insistance un portrait de femme. Il était très amoureux de son épouse défunte.
Il regarde longuement des bébés dans une couveuse, il regarde le ciel ou la mer sur le ponton. Il a très envie d’avoir des enfants.
Il est aussi très violent, très fidèle en amitié... Etc...
Tous les traits de caractères sont exagérés et amenés de cette même façon grossière. Un personnage aussi subtil que le générique...
Jimmy Darmody, le protégé de Nucky, s’en sort un peu mieux. Porté par la finesse du jeu de Michael Pitt, il est un personnage d’action aux motivations troubles, qui a préféré partir à la guerre en Europe que terminer ses études. Je pense même que sa relation avec Nucky peut être un point fort de la série si elle trouve un équilibre : dans ce pilote, Jimmy est l’homme fort tandis que Nucky reste assez passif. Il bascule quasiment malgré lui dans les hautes sphères de la criminalité. Un point de départ original qui m’intrigue pour la suite de la série mais qui arrive trop tard dans cet épisode.

Et c’est tout. Il n’y a pas d’autres personnages pour l’instant, que des vignettes (le domestique à l’accent marrant, le gangster new-yorkais sophistiqué, son acolyte aux dents très blanches et deux cents autres dont la description ne peut dépasser sept mots...) qui pullulent, se superposent, s’entrechoquent et embrouillent le récit. Qui a compris ce qui s’est passé autour de la table lorsque Nucky et ses potentiels associés discutent de son chargement d’alcool du Canada ? Pour le coup, alors que l’épisode se satisfaisait jusque-là d’une présentation contemplative de son travail de reconstitution (impressionnant, je le reconnais, les ambiances de cabaret sont assez incroyables...), tout se joue en l’espace de cinq minutes confuses entre des individus que l’on ne connaît pas [4].
Ce qui donne goût amer à la scène au téléphone, très drôle à l’origine, avec les deux agents du FBI, parce qu’au final,on est aussi paumé que le pauvre gars, dont on a ri quelques minutes auparavant.
Quant aux femmes, le peu qu’on en voit ne rend pas optimiste. Je veux bien comprendre qu’il ne s’agit que du pilote de la série (de 72 minutes, je le rappelle), mais avec le temps que l’on a perdu à regarder Buscemi contempler la mer, on aurait pu par exemple affiner notre perception de Margaret, qui n’est pour l’instant que le cliché de la "femme à secourir".
Successeur de The Pacific, oui !
J’ai toujours refusé de dire que HBO s’est perdu d’un point de vue créatif après la fin des Sopranos et de The Wire.
John from Ciccinati, Tell Me You Love Me et In Treatment sont trois expériences uniques et fascinantes, qui ont expérimenté avec les codes de la narration des séries. C’est à mon sens une ambition plus noble que de tenter de photocopier les succès passés, même si le nouveau papier est d’une qualité excellente.
The Pacific, c’est Band of Brothers, dix ans plus tard.
Et Boardwalk Empire, c’est la vaine tentative d’agréger les Sopranos, Deadwood et The Wire ! Il faut bien que l’apparition d’Omar de quelques secondes dans l’épisode signifie quelque chose...

Entre True Blood, The Pacific, Boardwalk Empire et l’arrivée prochaine du Game of Thornes et de la série avec Dustin Hiffman et Nick Nolte, j’ai l’impression que HBO est devenue une caricature d’elle-même, la garante un peu pompeuse (et chiante) de la fiction de "qualité" américaine, qui comme à son époque le "cinéma de qualité" français des années 1950, préfère impressionner par ses moyens que dire quelque chose.
Vite une nouvelle vague pour HBO (et pas forcément une autre série de surf, mister Milch !)
Et merci Feyrtys pour le titre !
[1] On parle de 18 millions de dollars (deux fois plus que le pilote de Lost) mais il faut tenir compte dans ce prix de la construction d’un plateau gigantesque, qui sera rapidement rentabilisé selon les experts. La saison 1 aurait un budget de 65 millions de dollars, Rome gardant ainsi le titre de la série la plus chère, pour l’instant.
[2] 7,1 millions de téléspectateurs ont vu l’épisode, diffusé deux fois dimanche dernier.
[3] Ca se joue forcément avec The Wire !
[4] Même Alan Sepinwall, grand admirateur de la série, le reconnait. Il donne une explication très détaillée et bienvenue de cette scène pour comprendre la suite de l’épisode.