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Bojack Horseman - Bilan d’une saison 5 en "pleine" forme

Bojack Horseman (Bilan de la Saison 5) : Je déteste ma vie

Par Max, le 23 septembre 2018
Par Max
Publié le
23 septembre 2018
Saison 5
Episode 12
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On nous le dit depuis des années comme un message subliminal : le cheval, le cheval, le cheval, c’est génial ! Mais cinq saisons à suivre un cheval dépressif, addict et égocentrique, est-ce toujours trop génial ? (spoiler alert : oui).

La quatrième saison nous plongeait dans une crise existentielle profonde et bousculait Bojack et ses amis dans toutes leurs relations. C’était cruel mais nécessaire. Cette nouvelle fournée devait en toute logique renouer avec un certain calme et, oserai-je le dire, optimisme. Diane était libérée de son mariage dysfonctionnel, Todd trouvait enfin un projet à suivre et une vérité sur lui-même quand Bojack se rassemblait et décrochait enfin un rôle conséquent. C’était mal connaître la série. Elle nous plonge encore plus dans la dépression latente de ses personnages qui fait ici surface de bien des manières, de la plus cathartique à la plus violente.

Comme tout le monde, j’ai des défauts

Il est difficile de croire que les scénaristes n’ont pas écrit la saison en pensant à #MeToo [1] tant toute la saison se construit autour de cela, de ses débuts à sa toute fin. Bojack Horseman s’attaque gentiment au sujet avec le personnage que l’on aurait pensé le plus virulent. Après une remise en question de son entière existence, Diane rejoint un peu plus tard dans la saison “Philbert”, le show de Bojack, en tant que ghost writer. Elle tente alors de rattraper l’écriture désastreuse de son comparse masculin et faire du personnage quelqu’un de plus complexe. Mais face à son succès et à l’appropriation de cette image par les “white male tears” et le showrunner, elle démissionne. Elle ne veut plus participer à ce cirque. À cause du peu d’exposition de cette problématique, la série loupe un peu sa sortie sur le sujet, en faisant un événement secondaire alors que le propos est rare. Dommage, elle qui s’évertue depuis quatre saisons à se faire une satire au vitriol de l’industrie du spectacle.

Mais la série ne quitte pas son combat féministe et s’y adresse avec un épisode où Bojack devient le représentant du féminisme pour le public. Tout vient d’une révélation qu’il a sur son propre sexisme. C’est juste mais il en fait quelque chose de plus important que cela ne l’est, attirant une nouvelle fois l’attention sur lui et se permet du mansplaining à tout va. Avec ça, Bojack Horseman se permet de critiquer toute une frange de la population (les faux féministes) tout en ne blâmant pas totalement ceux qui essaient vraiment (lui-même ici). La série a cette aptitude à toujours être dans la zone grise, à avoir la subtilité de nous présenter tout et d’en faire une satire quand même.

Mais d’adjuvant à la cause, il va passer opposant. C’est d’ailleurs assez problématique de voir que toute la saison nous montre le glissement de plus en plus noir dans l’addiction et la dépression du cheval pour mieux préparer une justification à l’agression qui conclut l’avant-dernier épisode. C’est à la fois une plongée encore plus triste et épatante dans la psyché du personnage mais aussi problématique. Par ce travail précis, extrêmement bien écrit, on entre dans la tête de l’agresseur et on a tendance à le comprendre voire le pardonner (il ne subit qu’une conséquence “heureuse” : il va en désintox et on le soutient). Il est rageant d’adhérer à l’explication d’une violence, si révoltante soit-elle. Ça, c’est pour ce que la série réussit avec brio et avec lequel on se débrouille. C’est la contrepartie de la victime qui pose plus de problème : Gina, sa nouvelle (et donc ancienne) petite-amie, choisit de passer dessus publiquement pour conserver sa carrière naissante. S’il est intéressant de se pencher sur la peur des répercussions sur les victimes, il est compliqué de se faire à l’idée que l’on perpétue le schéma sans y apporter une critique sur le système qui le reconduit. Et ne pas se pencher un peu plus sur le point de vue du personnage mais terminer sur notre “héros” n’aide pas à ne se mettre que du côté de l’agresseur.

La série choisit alors de reproduire la société plus soucieuse d’apparences que de justice et d’égalité sans apporter autre chose. Est-ce son rôle ? Peut-être pas. Est-ce que l’on pouvait attendre encore plus ? Peut-être, oui. La crise de démence arrivée, on sait que nous n’avons pas un héros devant nous, bien entendu. Une victime, sûrement. Mais tout voir par le prisme de notre équidé peut poser un petit souci de légitimité et de représentation. On pourrait arguer que c’est une interprétation un peu trop poussée mais les niveaux de lecture et de critique de la société que la saison maîtrise à la perfection ne peut pas nous invalider ça.

Mais j’ai toujours les mots qu’il faut

Sinon, l’écriture comique est réglée comme un métronome. Elle se fait dans les détails (un arrêt sur image nous permet de voir un panneau “You should stop pausing and watch the show”) et sur la globalité. Elle se permet de faire de longs running gag comme celui du robot obsédé sexuel sans qu’il stagne ne serait-ce qu’un moment et s’épuise en le renouvelant. Elle se permet aussi les blagues à retardement, des private jokes entre épisodes qui fonctionnent au millimètre près. Bref, Bojack Horseman maîtrise le tempo de sa comédie à la perfection, il n’y a rien à redire.

La série joue également avec une structure narrative complexe et s’en amuse beaucoup. Pour exemple, 5.11 - The Showstopper où les médocs de Bojack nous font se superposer la série télévisée dans laquelle il a le rôle principal et sa réalité pour ensuite les faire se rencontrer tragiquement à la fin. Cela permet quelque chose de rare dans une série animée : la surprise. Elle utilise ce parallèle pour faire rire, pour conforter nos attentes une fois que nous sommes à l’aise avec le dispositif et cela pour mieux nous choquer quand arrive la collision entre les deux univers. Et la série se permet cela alors que nous sommes pourtant au fait du slow burn qui consume Bojack par l’addiction et le déni. Depuis deux saisons. Mais non, cette saison parvient à intensifier cette spirale en y mêlant des sujets qui s’y imbriquent plus ou moins facilement (#MeToo, le deuil). La noirceur est totale et effarante.

Mais ce n’est pas le seul épisode à le faire avec brio. 5.02 - The Dog Days Are Over se concentre sur Diane après son divorce. Avec comme marqueur temporel sa coupe de cheveux, la séquence fait l’aller-retour entre trois moments de sa vie récente. Le procédé peut paraître commun mais la série le tient assez pour en faire sortir le plus sur la psychologie de son personnage. Qu’elle soit au Vietnam, prête à partir ou de retour et face à son ex ou son meilleur ami, Diane perd pied et c’est la diffraction de la narration qui le rend le mieux, l’intensifie.

Autre exemple peut-être encore plus frappant quoique processus prévisible pour la série : le bottle episode. Après le démentiel 3.04 - Fish Out of Water, on pouvait se douter que Bojack Horseman allait renouveler un exercice de ce type. Ici, c’est Mama Horseman qui meurt et tout le sixième épisode, Free Churro, qui se consacre à l’éloge funèbre de son fils pour celle qui l’a tant fait souffrir. L’expression “passer du rire aux larmes” trouve ici son illustration la plus littérale et parfaite : aux souvenirs meurtris s’enchaînent les tentatives d’un homme de garder la face de la seule manière qu’il peut, en faisant rire. Le scénario est dingue, la mise en scène calibrée, aucune fausse note. C’est un travail de longue haleine, ce rapport mère-fils, qui vient ici trouver une conclusion amère et pourtant nécessaire.

C’est peut-être ce qui fait de Bojack Horseman la meilleure série animée de ces X dernières années et une des meilleures séries actuelles : elle prend en compte le temps. Contrairement aux Simpson, à Rick & Morty ou encore Bob’s Burger et consorts, elle fait évoluer ses personnages et son univers, c’est même son moteur principal. Elle est moins une série de contexte et à message (bien qu’elle se passe à Hollywoo) qu’une série de personnage à développer, à comprendre, à connaître.

Si elle n’en est pas dénuée - et nous l’avons dit un peu plus tôt -, Bojack Horseman n’est pas vraiment une série politique mais utilise ce qui l’entoure pour mieux dessiner ses personnages et les complexifier. Ils évoluent avec les saisons, que ce soit en bien (Todd est plus mature, Princess Carolyn sort de ses clichés, veut adopter mais ne peut pas tout avoir) ou en mal (l’exploration de la dépression de Bojack). Il y aurait beaucoup à dire de plus sur cette saison, de l’utilisation de l’anthropomorphisme comme éloge du multiculturalisme au spectre des représentations des sexualités. Mais aujourd’hui, on va se limiter à ça.

Cette cinquième saison n’est pas parfaite, et c’est peut-être pour ça qu’elle est essentielle : elle nous montre ses propres défauts par ceux de ses personnages, elle nous fait nous interroger, elle surprend, elle saisit chaque occasion pour prendre à revers et continuer l’exploration d’un monde en manque de sens. Bojack Horseman n’est pas une série pudique, elle expose ses personnages plus que jamais, nous expose en même temps, et nous mènent dans une spirale incontrôlable vers un point de rupture. C’est probablement même une série qui est vouée à mourir bientôt, pour son propre bien. Et c’est tant mieux.

Max
P.S. Oui, ce texte est sponsorisé par le Québec.