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MasterChef - Différences entre les recettes française et américaine de MasterChef

MasterChef (MasterChef France vs MasterChef US) : Il est temps de dresser !

Par Jéjé, le 5 septembre 2012
Par Jéjé
Publié le
5 septembre 2012
Saison 2
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La boucle est bouclée. Il y a près d’une dizaine d’années, Koh Lanta me conduisait à Survivor. Je découvrais l’un des programmes de télé qui m’a le plus marqué, l’un de ceux que l’on aime avec passion, avec un enthousiasme qu’on sait proche de l’irrationnel. Je comprendais, en même temps, grâce à lui que ce genre nouveau (dit de télé-réalité) avait à offrir autre chose que des plaisirs coupables inavouables. [1] .

L’année dernière, Top Chef US et ses spin-offs m’ont poussé à donner une chance à la version française de Masterchef.
Premier programme de télé-réalité français dont j’ai suivi une saison entière depuis Koh-Lanta 4 et le Loft 2, il a déclenché en moi un enthousiasme similaire à celui de mes premières rencontres avec Survivor.

Un programme de TF1 !

Conscient de cette donnée perturbante, je me suis demandé si sa réussite tenait plus à la force du concept qu’à son exécution par la production française. A l’instar de Survivor et Koh-Lanta qui descendent d’un ancêtre scandinave, Masterchef est à l’origine une vieille idée anglaise, qui a essaimé suite à un succès australien phénoménal dans de nombreux pays.
J’ai alors décidé de m’intéresser à la version américaine, qui, comme la française, entre cette année dans sa troisième saison.

Disons-le sans attendre : les Français ont fait un bien meilleur travail que les Américains.
Ca va même plus loin que ça, l’émission française est une réussite majeure, l’américaine un sacré ratage.

Mais c’est quoi Masterchef ?

Un concours réservé aux cuisiniers amateurs, une sorte de Pop Idol de la cuisine au déroulement on ne peut plus classique : après une phase de pré-sélection, une vingtaine de candidats prometteurs enchaînent des épreuves dont l’issue (en général, l’élimination de l’un d’entre eux) est déterminée par un jury de professionnels.
Du côté US, un restaurateur et deux chefs, dont Gordon Ramsey, un habitué des petits écrans anglais et américains.
Du côté français, il y a un critique et deux grands chefs. Et Carole Rousseau, qui apparait fugitivement toutes les demi-heures pour lancer les épreuves, faire un petit jeu de mots vaseux mais qui surtout ne goûte à rien.
Sa présence n’est pas l’explication fondamentale de la supériorité de la version française.

Un ton différent

La version américaine continue dans sa troisième saison de creuser le sillon d’American Idol en laissant/forçant ses juges tenter d’imiter l’acidité de Simon Cowell.
Exercice relativement commun à ce genre d’émission, mais au final très compliqué. J’ai vu très peu de juges de télé-réalité parvenir à conjuguer sens de la formule et justesse du reproche. La plupart du temps, ils n’expriment qu’une méchanceté abrasive et peu pertinente pour ne mettre qu’eux-même en valeur.

Ce genre de commentaires peut être drôle face à des candidats aux égos démesurés et aux performances médiocres, du type des modasses prétentieuses et en dehors de la réalité de Project Runway.
Mais avec des cuisiniers amateurs, qui ne se présentent pas aux concours persuadés d’être des dons du ciel pour le monde de la gastronomie, ils tombent à plat et font passer les juges pour des égocentriques odieux prenant du plaisir à expliquer à des amateurs qu’ils n’ont pas le niveau de professionnels…
Merci de l’info !

La première saison française souffrait du même défaut, avec un Sébastien Demorand (le critique) souvent gratuitement méchant, mais le ton a radicalement évolué à partir de la deuxième.
Les deux chefs ont pris plus de place et ancrent leurs interventions dans la pédagogie, le conseil, l’encouragement, avec une pointe de fermeté. L’équilibre marche à fond et redonne de même coup sa valeur d’avertissement aux commentaires négatifs.
Cette simple différence de ton donne à l’émission française une maturité nouvelle dans le genre de concours télé d’amateur tandis que l’américaine, en se condamnant à répliquer l’existant, apparaît dâtée.

On retrouve le même contraste dans les rapports entre les candidats.
Masterchef US insiste, par les injonctions permanentes des juges (qui insistent lourdement sur la différence entre looser et winner), par l’esprit des épreuves, sur le fait que la réussite individuelle passe par la défaite de l’autre.
L’ombre de Survivor et des stratégies de manipulation planent constamment sur une émission où il n’a y pas d’intérêt de monter les candidats les uns contre les autres. Si ce n’est à créer une tension dramatique artificielle, qui, malheureusement une fois encore, apparaît vieillotte.

Les Français étaient au départ partis dans cette direction, et en y mettant les bouchées doubles, puisque c’étaient les candidats eux-mêmes qui proposaient aux juges après un vote deux noms à l’élimination. Résultat : séances pénibles d’explication de vote à la mauvaise foi, tension inutile entre les candidats et élimination injuste de concurrents très compétents dès les premiers rounds.
La rectification fut implacable. En saison 2, toute élimination ne repose plus que sur le choix d’un jury devenu, on l’a déjà dit, plus soutenant.

On est passé d’un mode "maître-sujets" à un mode "maître-apprentis", qui a conduit au développement d’une solidarité des candidats dans l’adversité des épreuves et d’une empathie réelle pour les difficultés ponctuelles de leurs concurrents, rendant les victoires encore plus belles et les éliminations encore plus tragiques.

La place de la cuisine

Dans tout concours, ce qui compte, c’est le résultat. Et le spectateur doit pouvoir s’en rendre compte. Pour des émissions avec des apprentis chanteurs ou des apprentis créateurs de mode, c’est facile, les résultats se voient et/ou s’entendent.
Mais dans les concours télé de cuisine, le gros problème pour le spectateur, c’est qu’il ne peut pas goûter les plats.
Comme la cuisine est essentiellement une affaire, avant de créativité, de règles et de technique. Un résultat splendide passera toujours pas une technique maîtrisée. Masterchef FR l’a compris et si mon investissement pour les candidats dans cette émission est si grande, c’est que l’émission passe un temps gigantesque sur la préparation des plats et que l’on apprend à connaître véritablement leurs forces et leurs faiblesses en matière culinaire.

En France, Masterchef est diffusé à raison d’une émission hebdomadaire de 2h10 quand aux Etats-Unis, il y a un épisode de 40 minutes deux soirs de suite.
130 minutes contre 80.
La longue durée des épisodes, en général une faiblesse de la télé réalité française qui étend ses émissions à coups de portraits répétitifs de ses candidats, de délayages explicatifs, de retours en arrière multiples, la grande durée de Masterchef FR constitue dans ce cas une très grande force.

Pour l’épreuve classique dite de la "boîte surprise", les candidats doivent cuisiner des ingrédients imposés.
Dans sa première incarnation de la saison 3, avec 19 candidats, Masterchef FR propose un montage de 17 minutes de l’heure de préparation. Masterchef US, elle, de 4 minutes. Pour la première épreuve en équipe, c’est 12 minutes pour la France contre 3 minutes 30 pour les Etats-Unis.
En proportion, la version US diffuse trois fois moins d’images de véritable cuisine.

L’émission française prend aussi le temps de montrer les juges… goûter les plats.
Pour la "boîte surprise", on les voit dans un montage de plus de cinq minutes goûter une dizaine de candidats et faire des commentaires avant déterminer les meilleurs plats et les moins bons. On peut légitimement se dire qu’ils ont goûter tous les plats.
Dans la version US, quand le temps de l’épreuve est écoulée, les juges désignent immédiatement sur ce qu’ils ont vu pendant l’épreuve trois candidats…. SANS AVOIR MANGÉ UNE BOUCHÉE D’AUCUN PLAT TERMINÉ !! (Bon, pour tenter de justifier ce choix, la voix off nous expliquent qu’ils ont goûté quelques éléments durant l’épreuve…) Ils les appellent, les félicitent. Petite pause le temps d’avoir en gros plan leurs visages satisfaits, et leur annoncent que ce sont les trois plats qu’ils estiment être les moins bons. SANS EN AVOIR MANGÉ UNE BOUCHÉE !! Et ensuite, ils les goûtent.
Surprise, ils ne les aiment pas…
Comment, pour le spectateur, faire confiance au jury dans ces conditions ?

Quand Yves Candeborde déclare

Quand j’ai vu l’assiette arriver, je me suis dit : (grimace) "aïe, c’est assez grossier". Par contre, c’est bon !

, c’est toute sa légitimité d’intermédiaire entre le spectateur et le plat jugé qui est assise.
Quand Gordon Ramsey déclare le nom du vainqueur de l’épreuve, il ne peut assurer qu’il n’y a pas dans son plat un élément complètement raté ou mal assaisonné. La confiance est dès lors rompue, puisque le goût des plats terminés n’est pas l’élément qui entre en jeu dans sa décision.
Quand je vous disais que Masterchef US était raté dans les grandes largeurs…

Et puis, faut être clair, et c’est un avantage injuste, le niveau culinaire n’est pas le même chez les Français que chez les Américains. (Ca n’a rien de chauvin, je pense…)
Et ce n’est pas que la faute des candidats, la culture locale entre évidemment en ligne de compte.

Quand les deux émissions proposent de bâtir une épreuve sur un dessert emblématique, on a d’un côté l’Apple Pie américaine, de l’autre le Mille Feuille. D’un côté une grosse tranche de morceaux de pommes coincée entre deux couches de pâte sèche, de l’autre, le MILLE FEUILLE !
Gustativement et techniquement, c’est deux mondes différents…

Le niveau de maîtrise culinaire des candidats français permet aux producteurs de ne proposer que des épreuves très simples, épurées, sans "twist" incroyable, qui testent ce qu’il y a de plus télégénique dans la cuisine, comme je l’ai dit plus haut, leur technique.
Depuis deux saisons, l’épreuve finale de l’épisode est toujours la même : les candidats doivent tout bêtement refaire en une heure et demie la recette d’un grand chef invité. On est loin des défis "spectaculaires" où un amateur est opposé à un chef qui a les yeux bandés, où les candidats doivent cuisiner dans un rayon de supermarché en pleine nuit, non, chaque semaine, ils doivent "juste" suivre une recette.
C’est suffisant pour que certains des gestes filmés créent des images d’une grande beauté, qui alors, font écho à la poésie du vocabulaire technique culinaire dans les commentaires du chef invité.
Parfois, Masterchef FR, c’est juste beau.

Là où Masterchef FR surpasse toutes les concours culinaires que j’ai pues voir (ceux de Bravo [2] et de la FOX aux US [3], Top Chef sur M6 en France, Masterchef sur la BBC en Angleterre…), c’est qu’elle intègre et montre au sein des épreuves ce que les autres demandent aux spectateurs simplement d’accepter.

A commencer par la légitimité des chefs-juges.
Les C.V. de Yves Candeborde et Frédéric Anton (qui nous sont rappelé en ouverture de chaque épisode) pourraient suffire pour comprendre que les candidats acceptent de leur part la moindre remarque et semblent les plus heureux du monde quand on leur propose comme récompense d’épreuve un cours de cuisine avec l’un des deux.
Mais c’est en les voyant cuisiner que le spectateur prend conscience de ce que signifient vraiment leurs références. Car Masterchef FR propose régulièrement une épreuve où les candidats doivent "simplement" cuisiner un plat en même temps que Frédéric Anton le réalise. Cette épreuve tout basique permet vraiment de mesurer la différence entre un grand professionnel et un amateur tout averti qu’il est.

C’est la même chose sur les notions de "connaissance des produits et de la culture gastronomique". En général, les autres émissions se contentent de souligner par les paroles leur importance.
Masterchef FR les utilise de façon ludique, avec l’épreuve (très futée) dite de "reconnaissance". Présente dans chaque épisode, elle rappelle que ces notions vont être essentielles pour les candidats pour avancer dans le concours.
Aux US où cette épreuve n’existe pas (ou alors pas de façon suffisamment régulièrement pour que je la voie dans la dizaine d’épisode que j’ai regardés), quand il faut cuisiner des abats, les trois quart des candidats se mettent à hurler, se pincer le nez, avant que Gordon Ramsay ne leur explique que "oui, c’est horrible (awful), mais depuis quelques années, ces mets étranges ont intégré les grandes cuisines…"
C’est beau, l’ouverture d’esprit, l’esprit de découverte et la connaissance de la gastronomie !

En France, l’épreuve, n’a, une fois encore, rien spectaculaire : un étalage de fromages, de poissons, de gâteaux est présenté. Un à un, les candidats doivent en identifier un maximum. Une erreur et leur tour s’arrête. Tout simple.
Et d’un seul coup, la tension dramatique atteint des sommets.
La première de la saison 3 a vu le cliffhanger incroyable dit de la tarte aux poires amandine !

PAS LA TARTE !!!

Les candidats parvenaient à reconnaître de nombreuses pâtisseries, mais chutaient quasiment tous sur cette tarte qui ressemblait à une tarte aux pommes. La dernière candidate arrive. Pour ne pas risquer l’élimination, elle doit en reconnaître au moins deux. Elle se lance sur le Kougloff, pas de souci. Elle tourne, elle en regarde d’autres, on sent qu’elle reconnait la Forêt Noire, le Fraisier, et pourtant, on la voit être attirée irrésistiblement par la tarte.
Elle s’en approche.
Elle hésite.
Elle dit : "Tarte…"
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J’étais dans le même état qu’au conseil tribal de Survivor au moment de l’élimination d’Ozzy dans Fans vs. Favorites.
Réussir à faire des moments de télé aussi intenses avec trois gâteaux, c’est le signe d’une très grande maîtrise de son concept !

Et pour toutes ces raisons, je le dis, mon émission de télé réalité favorite en ce moment est française !

Jéjé
P.S. Désormais, les chefs américains, je les préfère les voir dans Treme que dans Top Chef !
Notes

[1Et qu’on pouvait même écrire à son sujet sans l’accuser de tous les maux des paysages audiovisuels contemporains.

[2J’en ai vu sur cette chaîne : 7 saisons de Top Chef, 1 saison de Top Chef Just Desserts, 2 saisons de Top Chef Masters, 1 saison de Around the World in 80 Plates

[3Quelques épisodes de Hell’s Kitchen et de Masterchef